5: Calvaire, jour 1

Izuku a le nom de son ami d'enfance sur le bord des lèvres quand il se réveille tant l'idée qu'il vienne vivre chez lui pour la semaine a hanté sa nuit.

Il ne peut pas s'empêcher de soupirer en fermant les yeux, essayant tant bien que mal de chasser la tête blonde qui tourne en boucle sous ses paupières, épuisé et agacé d'être incapable d'avoir une nuit reposante même lorsqu'il ne fait pas de cauchemars.

Un coup d'œil en direction de son réveil lui fait savoir que c'est le quatorze mai, qu'il fait 7°C à l'extérieur et qu'il est trop tôt pour qu'il se prépare pour l'école mais bien trop tard pour essayer de se rendormir.

Ignorant la douleur sourde de ses muscles, Izuku se traîne péniblement jusqu'à la salle de bain pour prendre une douche chaude.

Habituellement, il ne lèverait même pas les yeux pour voir son visage mais ce matin, pour une raison qu'il ne comprend pas, il laisse sa serviette tomber au sol après l'avoir passé dans ses cheveux humides à la place de continuer sa routine sans réfléchir et se plante devant le miroir.

Il peut voir l'ombre de quelques muscles se dessiner sur son torse et ses bras et même s'il voit plus que bien ses clavicules il commence à avoir l'illusion que ses épaules ne sont pas constituées que d'os et de peau.

Il pourrait être content de voir son corps changer comme ça si d'autres choses ne restaient pas immuables, inchangées et éternelles... comme les bleus qui tachent son corps de toutes leurs couleurs, allant du violet au jaune, lui rappelant que ni les muscles d'hier ni ceux qu'il aura demain ne peuvent le protéger.

Il touche un bleu du bout de ses doigts, se surprenant à grimacer quand il appuie dessus, étonné de voir que son corps n'a toujours pas abandonné la folie qu'est d'essayer de le soigner pour plutôt le rendre engourdi. Izuku sent bien que sa peau est tout de même un peu endormie autour des bleus et il se demande à quel point ça serait agréable d'être bleu de partout pour ne plus rien sentir.

Il ne pense pas qu'il pourrait être bien plus laid, peint d'hématomes, et ça ne serait pas vraiment un problème puisque le seul qui le voit nu ne l'a pas choisi pour sa beauté.

Izuku a l'impression de revenir dans son corps quand il cligne des yeux et il ouvre l'armoire à pharmacie pour prendre l'arnica et commencer à en appliquer sur chaque tâche qu'il voit, ravalant sa honte quand il voit celles qui viennent du bus.

Il se débrouille pour panser les endroits de son dos où sa peau s'est brisée pour ne pas tacher sa chemise puis enfile son uniforme d'hiver avant de descendre prendre un petit déjeuner léger.

Ce n'est pas rare pour le jeune homme d'aller se percher sur le bord des falaises qui sont juste contre la mer quand il ne se sent pas très bien ou qu'il a besoin de penser. Et comme il en a régulièrement besoin, il a son petit coin bien à lui, sa falaise. Ce n'est pas vraiment la sienne mais personne n'est là pour le contredire puisque personne n'a pour habitude de venir de ce côté, des rumeurs disant qu'elles sont trop instables et les parents n'ayant pas envie que leur enfants fassent une chute de plusieurs dizaines de mètres par accident repoussent ceux qui sont trop curieux.

Izuku lui, il se met toujours au bord de celle qui fait une pointe et regarde la grande étendue d'eau grisâtre venir s'écraser plus bas. Parfois il se met à parler, dans le vide ou en s'imaginant que la mer l'entend, juste pour sortir des mots, pour ne pas oublier comment parler.

Quand il regarde l'heure sur son téléphone, il est déçu de voir qu'il doit déjà partir pour ne pas rater son bus.

Il descend la rue quand il voit son ami d'enfance plus loin, marchant avec les épaules beaucoup trop courbées pour qu'il soit de bonne humeur et en tapant régulièrement dans un caillou qui doit être de son avis. Izuku prend tout de même la décision de l'aborder et inspire un grand coup pour se donner du courage.

- Hum... Bonjour? Kacchan? pas de réponse.

- J'ai tes cours d'hier, dit-il en les sortant maladroitement de son sac pour les lui tendre.

- Si on a un contrôle et que j'ai pas pu réviser, tu vas crever, dit-il en les attrapant d'un geste vif , son autre main laissant échapper une vague de fumée menaçante.

- Oui, désolé... Je devais te les donner plus tôt mais-

- Ça m'intéresse pas, le coupe-t-il avant de rentrer dans le bus qui vient juste d'arriver.

Izuku rentre à son tour en ignorant que sa gorge s'assèche et se met où il peut en serrant son sac contre lui. Il ignore le sourire carnassier de Cito tout le trajet.

Izuku regarde son professeur rentrer dans leur classe et s'installer sans réussir à chasser le sentiment étrange qui ne le quitte pas depuis qu'il est monté dans le bus ce matin. Peut-être qu'il s'imagine des choses mais il est presque sûr que ses camarades le regardent beaucoup plus que d'habitude.

Il regarde de nouveau son uniforme pour voir s'il n'a pas une tâche ou un mot collé dans le dos mais non, tout est normal. Il ne peut pas s'empêcher de se dandiner sur sa chaise, mal à l'aise.

Il y a quelque chose de malsain dans l'air, ne peut-il s'empêcher de penser.

Leur professeur interrompt ses pensées en leur faisant passer une autorisation de sortie à faire signer pour le lendemain et Izuku n'a besoin que d'y jeter un coup d'œil pour savoir qu'il est tranquille et que son beau-père ne permettra jamais qu'il aille à la piscine.

Ce n'est pas qu'il ne veut pas y aller -il aime les grandes étendues d'eau et ça lui ferait du bien d'apprendre à nager maintenant qu'il a quatorze ans- mais ce n'est peut-être pas une si mauvaise chose quand il sait que ça serait une autre occasion de l'humilier pour ses camarades. Il n'est pas stupide au point de penser que Marcus fait ça pour lui faciliter la vie mais c'est mieux que d'accepter que c'est pour cacher les bleus et autre plaie qu'il fait à son corps.

Il ne va sûrement pas lui faciliter les choses non plus et Izuku se prépare déjà mentalement à devoir supplier l'homme de lui signer un mot d'excuse pour ne pas se retrouver dans une eau glaciale dès sa première heure de classe, juste parce que ça l'amuse de le voir supplier en pleurant.

- Ça suffit maintenant, le cours a commencé, soupire leur professeur sans réel entrain.

Il faut un peu plus d'un quart d'heure à Izuku -qui suit assidûment son cours- pour qu'il réalise qu'un détail devrait attirer son attention. Il ne s'en serait peut-être même pas rendu compte du tout si les élèves autour de lui ne se retournaient pas régulièrement vers lui en attendant sa réaction et c'est en regardant autour de lui pour voir ce qu'ils trouvent si drôle qu'il le voit.

Posé sur la table à sa droite -vide, puisque personne ne veut s'associer avec le sans-alter- un cahier intitulé EN VUE DE MA FUTURE CARRIÈRE DE HÉROS. Il sent le rouge lui monter aux joues, ayant trop entendus de remarques pour ne pas comprendre que ses camarades trouvent ses espoirs ridicules et pour qu'il ne se sente pas au moins un tout petit peu honteux.

Il regarde rapidement le numéro qu'il porte et quand il voit le douze inscrit sur la couverture, il comprend qu'il ne l'avait pas simplement égaré comme il l'avait cru. Il sent un petit pincement au cœur en voyant que la personne qui lui avait volé n'en a pas pris grand soin et que le cahier presque neuf est maintenant dans le même état que certains manuels des élèves de sa classe.

Il sait qu'il doit être observé, maintenant qu'il a vu le cahier mais ça ne l'arrête pas et il se contente seulement de prendre une grande inspiration avant de le prendre dans ses mains et de commencer à le feuilleter.
Les premières pages sont dans le même état qu'il les avait laissé, le laissant presque espérer que toute la blague de ses camarades consistait à abîmer ses affaires jusqu'à ce qu'en tournant une page, il se retrouve face à des millier d'insultes...

Il comprend soudain ce qui est différent de d'habitude quand il relève les yeux et croise ceux de ses camarades... les élèves qui n'étaient que de simples spectateurs devenus autant voir plus méchant que le blond.

Tous les regards et les rires qui étaient là depuis le matin... Ils sont passé à l'action ,s'exitants de le voir souffrir....

Un coup d'œil lancé vers le nouvel élève et Izuku sait que c'est lui le responsable parce qu'il lui fait un clin d'œil et un sourire mauvais.

Peut-être que c'était trop tentant pour sa classe de voir Kacchan se défouler sur lui sans pouvoir en faire autant. Tout ce qu'il sait, c'est que Cito leur a donné l'occasion de pouvoir se déchaîner et qu'ils l'ont saisie à bras ouverts.

Izuku regarde le cahier entre ses mains, incapable de vouloir le jeter à la poubelle. Il se dit qu'il est déjà ruiné, un peu comme lui, et c'est peut-être pour ça qu'il tourne les pages pour trouver où s'arrêtent les insultes et qu'il commence à écrire timidement, la main un peu tremblante et moite, ce qu'il se passe à la maison.

Il n'a pas le courage d'écrire grand chose, et rien de très incriminant mais c'est un petit début. Ce sont quelques petites lignes qu'il écrit pour avoir une trace qu'il n'est pas fou, que c'est bien arrivé. Parce qu'il se rend compte avec effroi qu'il a parfois du mal à se souvenir de ce que son beau-père lui fait et qu'il n'a que ses cauchemars pour lui rappeler que c'est arrivé.

Il a aussi le timide espoir qu'un jour peut-être, quelqu'un volera de nouveau ce carnet et le lira. Mais l'idée est tellement folle qu'elle lui donne envie de vomir et qu'il pourrait crier au monde que ce n'est pas vrai sans hésiter alors il se persuade que c'est juste pour lui et ferme prestement le cahier quand il a écrit quelques mots dedans avant de le cacher dans un autre dans son sac, livide et en se demandant ce qui lui est passé par la tête. Il n'essaie pourtant pas de camoufler ce qu'il a écrit.

Trop préoccupé par la méchanceté nouvelle de ses camarades de classe, ce n'est qu'au moment de prendre son repas du midi qu'il se rappelle que son ami d'enfance doit venir chez lui et qu'il croise discrètement les doigts dans sa poche en priant que la soirée ne prenne pas une mauvaise tournure.

Izuku ne pense pas qu'il pourrait être plus mortifié et livide que maintenant et il donnerait beaucoup pour pouvoir sécher les cours.

Il n'a même pas la force de prendre des notes alors que les élèves autour de lui ricanent bêtement et son regard fait tout pour fuir le tableau noir où il peut lire les mots « éducation sexuelle » que son professeur vient juste d'inscrire à la craie.

Le garçon aux cheveux verts ne peut pas s'empêcher de se faire encore plus petit que d'habitude, comme s'il avait une pancarte autour du cou qui expliquait qu'il en sait bien plus que n'importe quel élève devrait savoir à son âge.

Et rien que l'image mentale le fait rougir de honte et suer à grosses gouttes.
Il sait qu'il ne va pas avoir la force de soulever son stylo pour le reste du cours et espère juste silencieusement que son professeur ne va pas lui poser de question pour qu'il ne fonde pas en larmes devant tout le monde.

- Bien... commence leur professeur après leur avoir fait ouvrir leurs manuels. Alors nous allons commencer par l'appareil génital féminin.... dit-il en projetant un schéma au tableau. Alors il y a l'utérus, les trompes...

- Monsieur , je comprend pas bien votre schéma... se plaint une de ses camarades qui riait quelques secondes plus tôt avec sa voisine de table. J'ai une idée! Izuku n'a qu'a nous montrer!

- Bonne idée! dit d'ailleurs celle-ci en riant toujours. Alors Izuku?! T'attend quoi pour enlever ton pantalon?

- Veuillez cesser vos blagues douteuses, dit l'homme d'un ton exaspéré, ne réagissant même pas quand les autres se mettent aussi à rire.

Après tout, Izuku non plus ne dit rien, même quand il sent un pied rencontrer brutalement sa chaise.

Au bord des larmes et rouge de honte, il ne peut que regretter l'époque où Kacchan était le seul à l'embêter.

Le trajet en bus du soir se fait en silence, même quand Izuku s'efforce de dire bonjour au blond qui l'ignore. Il abandonne vite jusqu'à ce qu'ils descendent à leur arrêt où le blond est obligé de l'attendre et ça l'arrange parce qu'il ne peut pas simplement filer en douce jusqu'à la plage où l'attend son mentor.

- Désolé Kacchan mais je ne rentre pas avec toi. J'ai un... euh... entraînement. Ma mère doit t'attendre devant chez toi pour prendre ton sac.

Il n'a pas de réponse, seulement un regard qu'il traduit par « à quoi tu peux bien t'entraîner quand tu ressembles à ça? » et il n'y fait pas plus attention parce qu'il n'a pas l'air de vouloir l'arrêter.

- À tout à l'heure... lance-t-il quand même avant de se dépêcher pour ne pas être en retard.

Une fois dans la voiture de la mère de Deku , son sac en main et la femme en question au volant, Katsuki a plus que jamais envie de soupirer à cause de sa situation alors qu'elle lui dit qu'elle est heureuse de le voir, de son amitié avec son fils...

Il ne peut pas s'empêcher d'être mal à l'aise par ses remarques qui le laissent penser que l'autre n'a rien dit de ce qu'il se passe au collège. Il oublie rapidement ça quand la maison du garçon rentre dans son champs de vision et que la femme se gare.

- Je suis rentrée! dit-elle d'un ton enjoué en passant la porte. Katsuki, je te présente mon conjoint, Marcus!

Un homme barbu et imposant se lève du canapé, interrompant son programme pour l'approcher. Katsuki a presque peur de ce qu'il pourrait faire s'il découvrait comment il traite son beau-fils jusqu'à ce qu'il parle. Son ton et sa manière d'agir avec lui lui font penser à tous ces mecs qui jouent aux gros durs pour avoir l'air imposant et Katsuki perd immédiatement du respect pour lui en se demandant quel gosse l'a poussé trop fort dans la cours de récré pour qu'il agisse comme ça, puis il se demande si Deku va tourner pareil.

- Enchanté Katsuki. Tu es dans la classe d'Izuku? questionne l'autre d'une voix trop polie qui lui donne envie de rouler des yeux et de percer ses muscles en ballon avec une aiguille.

- Oui depuis la maternelle, dit-il pourtant tout aussi poliment parce qu'il n'a pas envie de lui montrer qu'il pourrait lui casser la gueule ou celle de son beau-fils en deux secondes s'il lui en prenait l'envie.

- D'accords. Va poser ton sac dans sa chambre. C'est la première à droite en haut. Il devrait rentrer dans peu de temps...

- Bien.

L'homme hoche la tête, satisfait, avant de retourner à son programme et Katsuki ronge son frein.

Katsuki monte les marches, arrivant dans la chambre du nerd qu'il n'aurait pas pu manquer même si elle a bien changé depuis sa dernière venue. Sa passion pour All Might est moins présente bien que toujours là, passant par des posters sur les murs ou des fournitures de bureau et une de ses étagère est remplie de cahier sur les supers héros... Dans un coin de la chambre il voit même un violon et il semble se rappeler en coup de vent que son père en faisait aussi.

L'adolescent ne retient pas le soupire amer qui passe ses lèvres quand la colère monte dans son corps. La chambre sous ses yeux parfaite complètement le tableau, la mise en scène que Deku fait croire à tout le monde. Un gamin toujours innocent, qui ne fait jamais rien pour mériter ce qui lui arrive. Juste un témoin maladroit qui n'est jamais responsable, qui passait par là. Voyez par vous-même monsieur l'officier, la pauvre victime joue du violon.

Il sert son poing jusqu'à ce que ses jointures deviennent blanches pour éviter d'envoyer un coup dans l'instrument ou pire, d'y envoyer quelques étincelles pour le regarder brûler doucement.

À la place, il sort ses devoirs et se force à se concentrer dessus en faisant exprès d'utiliser l'un de ses stylos collector en imaginant une façon de secouer suffisamment l'autre pour qu'il révèle sa vraie couleur à ses parents et qu'il subisse enfin les conséquences de ses actions.

Katsuki n'est pas stupide, loin de là, et il ne croit pas un instant que ce que l'autre essaie de lui faire croire soit vrai. Qu'il puisse se mettre à pleurer et à supplier sans jamais rendre les coups et bien le vivre, qu'il puisse le regarder dans les yeux et lui sourire comme s'ils étaient amis alors qu'ils savent tous les deux qu'il lui en faut très peu pour le pousser contre un casier.

Il n'y croit pas. Même cette chambre il n'y croit pas. Il se repositionne sur la chaise en regardant la pièce, mal à l'aise. Trop de choses ne collent pas, à commencer par le fait que Deku aime trop pleurer pour ne pas avoir expliqué à ses parents ce qu'il se passe au collège. Et pour Katsuki ça ne veut dire qu'une chose: il a raison de se méfier et Deku essaie de leur faire avaler des couleuvres. Et si l'idée qu'il puisse vivre sa petite vie idéale de fils parfait en essayant de le prendre pour un con ne le met pas hors de lui, il ne sait pas ce qui pourrait.

Malgré sa colère qu'il rumine, il ne lui faut pas longtemps pour finir ses devoirs et quand il descend les escaliers, il se retrouve nez à nez avec le garçon en question, trempé de sueur et qui essaie de rentrer silencieusement.

Izuku sent le soulagement le submerger quand il passe la porte et qu'il n'entend pas de cri ou ne se retrouve pas face à face avec son beau-père, l'entraînement du jour n'ayant pas été le plus simple. Il l'a passé à moitié concentré, trop préoccupé par la présence du blond chez lui et par l'angoisse bouillonnante dans son sang et a faillit se prendre un morceaux de ferraille en peine figure. Il était tellement distrait et maladroit qu'All Might a décidé d'arrêter plus tôt, ce qui ne l'empêche apparemment pas d'arriver en retard devant chez lui, la boule au ventre.

Et c'est au moment où il se dit qu'il l'a échappée belle qu'il se retrouve en face des deux yeux rouges de son camarade qui descend l'escalier.

Katsuki n'a jamais prétendu être une bonne personne et en voyant les yeux de l'autre s'élargir de panique en face de lui, il ne rate pas l'occasion de pouvoir se défouler un peu.

- Bonsoir Izuku! fanfaronne le blond en s'adossant au mur, se délectant de son expression suppliante quand il hausse la voix.

Katsuki s'amuse bien et s'imagine déjà ce qu'il va pouvoir faire le reste de la semaine. Après tout il a raison: si l'autre veut jouer à l'enfant modèle, il n'a qu'à le faire correctement. Il ne respecte pas son couvre-feu? Il en paie les conséquences.

L'autre tente maladroitement de le réprimander en lui faisant les gros yeux mais ça le fait juste sourire malicieusement quand une voix féminine interrompt son petit moment de triomphe en appelant son fils.

- Ah! mon coeur tu m'aide à mettre la table ? Le repas est près...

- Oui maman ! Tout de suite! répond le garçon qui a l'air d'hésiter à remercier une divinité pour son intervention avant de partir presque en courant dans la direction de la cuisine.

Katsuki ne sait pas s'il peut décrire l'atmosphère autour de lui par un autre mot que pesante. Lui qui a l'habitude des repas bruyants soit par les commentaires de son père ou les tirades de sa mère, le silence lourd seulement interrompu par les couverts contre les assiettes lui donnent envie de se racler la gorge.

L'homme en face de lui doit se rendre compte de son malaise et il le remercierait bien de prendre la parole si l'idée qu'il puisse le décoder si facilement ne l'énervait pas.

- Alors Katsuki, comment se passe l'école? Tu as des bon résultats?

Le blond ne sait pas s'il aurait pu prendre un sujet plus banal.

- Oui, je suis souvent dans les premiers.

- Ça change de certaines personnes que je connais, dit-il sans vraiment cacher son agacement. Izuku tu devrais prendre exemple! Tes résultats sont en baisse c'est inadmissible!

Comme son camarade ne semble pas réagir au sermon, Katsuki tourne son regard vers sa mère qui lance un regard un peu réprobateur à l'homme dans sa diagonale. Ce dernier le voit et enchaîne, essayant certainement de se justifier.

- Tu penses que j'aurais pu venir dans ce pays sans problèmes si je n'étais pas très bon en classe? demande-t-il en s'adressant à la femme. Il se ferme bêtement des portes et c'est notre travail de ne pas laisser passer ça.

Katsuki ne sait pas s'il est vraiment convaincu par cette raison mais ça a au moins le mérite de radoucir l'expression sur le visage de Inko alors il retourne à son assiette. C'est plus dans ses cordes, les disputes de couple alors il mange sans peine.

- Je vais faire mon possible père... dit Deku en rivant ses yeux sur ses légumes.

- Il n'est pas très impressionnant, ton possible, rétorque l'autre, ne laissant presque pas le temps à Katsuki de réaliser qu'il vient de vouvoyer son beau-père.

Ça lui donne presque envie de se foutre de lui mais il se contente de rouler les yeux discrètement en se disant que Deku enchaîne les clichés.

- J'ai un papier à faire signer pour demain, dit Izuku d'une petite voix qui lui fait croire que les remontrances de son beau-père l'ont plus touché qu'il veut le faire croire.

L'homme pose un peu brutalement ses couverts sur la table avant de dire d'une voix fébrile de colère.

- Izuku je te préviens que si c'est une heure de colle.

-  Non non... l'interrompt le garçon. C-c'est pour la piscine...

- Katsuki je signerai le tiens, lui dit la femme d'un ton doux. Ton professeur est au courant que tu es chez nous cette semaine.

- Merci, répond Katsuki avec un sourire crispé. Au fait, je pourrais aller m'entrainer le soir? Je prévois d'aller à Yuei l'année prochaine.

- Bien sûr, dit l'homme d'une voix plus douce. Pourquoi tu ne prends pas exemple sur tes camarades, Izuku? Trainer dehors le soir ne t'aidera en rien ! Et si jamais ton "entraînement" ne portait pas ces fruits, avoir de bon bons résultats te serait nécessaire.

-  Tu n'y va pas un peu fort chéri? demande la femme qui était sorti de table pour amener les desserts.

- C'est pour son bien. Je dis ça car je m'inquiète de le voir rien faire. Un peu d'ambition n'a jamais tué personne, finit-il en prenant sa part de gâteau.

Izuku soupire intérieurement quand sa mère tombe encore une fois dans le panneau et s'installe à table après avoir servie tout le monde.

Il a autant envie de rire et de pleurer en l'entendant et il se contente de fourrer une grosse cuillerée dans sa bouche pour s'occuper. En croisant le regard clairement contenté du blond il ne sait pas s'il déteste plus que ses parents parlent de lui comme s'il était absent ou que Kacchan soit là pour le voir.

- De toute façon ce n'est pas comme si j'allais laisser les choses continuer comme ça, dit l'adulte à ses côtés. On en reparle tout à l'heure, là-haut, d'accord Izuku?

- Oui père, marmonne Izuku qui sait que ce n'est pas une option et qui a maintenant trop peur pour manger.

Une fois que le repas est terminé, Izuku n'attend pas qu'on lui demande pour grimper jusqu'au grenier.

Quand Katsuki entend ce qui ressemble à des pleurs venir de plus haut dans la maison, étouffés par le sol, il se fige pour y faire plus attention avant de se tourner un peu intrigué vers Inko qui lui montrait la salle de bain.

- Ah... dit la femme en levant également son regard vers le haut sans pour autant avoir l'air surprise. Je suis désolée... dit-elle d'un ton un peu gêné. C'est Izuku... il fait des caprices depuis petit quand Marcus l'aide avec ses devoirs... il- elle s'interrompt avec une grimace- Marcus n'est pas le meilleur professeur mais il fait de son mieux et je crois qu'Izuku a juste encore du mal avec sa présence à la maison.

Katsuki voit bien le malaise de la femme qui s'affaire à replier les serviettes de bain dans l'armoire mais il ne peut pas s'empêcher de la questionner pour autant.

- Mais ça fait longtemps qu'il vit avec vous non?

- Oui, presque dix ans maintenant, dit-elle avec un sourire dans le flou et en faisant tourner une bague à son doigt que le blond ne peut qu'imaginer venant de l'homme dans le grenier.

- Enfin bon, dit la femme en lui tendant des affaires de toilette, coupant court à ses pensées. Je suppose que l'adolescence n'est pas facile avec une famille recomposée.

Quelque chose de sombre et triste passe dans ses yeux et Katsuki se contente de la remercier et de prendre sa douche. Ce n'est qu'en se rinçant qu'il réalise que la maison est de nouveau singulièrement silencieuse.

Plus tard, quand Deku le rejoint dans sa propre chambre, ses yeux rouges lui font facilement comprendre qu'il a dû pleurer.

Izuku se dirige comme un automate vers son armoire pour prendre des habits quand la voix de son ami d'enfance coupe le silence lourd d'une remarque piquante.

- Alors comme ça tu fait des caprices? dit sa voix faussement désintéressée tandis que l'autre garçon ne peut s'empêcher de penser que son beau-père a réussi à trouver l'excuse la plus parfaite et humiliante.

Il ne lui répond pas et prend son pyjama à manche longue préféré dans l'armoire avant d'aller se laver.

Il ne lui faut pas longtemps pour être propre et une fois sec, il passe prendre le violon de son papa dans sa chambre avant de retourner dans le grenier là où il sait qu'il n'y trouvera personne et que personne ne viendra l'y trouver.

Ça le prend certains soirs, surtout en mai, de monter s'enfermer là haut avec l'instrument et d'en jouer ad nauseam, jusqu'à ce que ses doigts lui fassent mal et qu'il n'ait plus de larmes à pleurer.

Parfois, Izuku se demande si son grenier n'est pas magique car c'est comme si les gens oubliaient qu'il existe quand il rentre dedans. Comme un vieux fantôme dont on ne sent que la présence et dont on ne ressent plus vraiment le besoin ou l'urgence de s'inquiéter pour lui.

Il se demande si son père est un fantôme, qu'il le regarde depuis quelque part ou alors si lui aussi il ferme les yeux, à jamais silencieux et indifférent de son sort.

A cette pensée, il a l'impression de perdre toute la force qui lui restait dans ses mains et laisse l'instrument retomber mollement contre ses jambes.

Il pense fugacement qu'il devrait peut-être continuer d'écrire dans son carnet d'école pour qu'au moins quand il ne sera plus là, il restera ses mots. Il cligne longuement des yeux avant de retourner dans sa chambre.

Quand il le voit passer la porte et la fermer, Kacchan lui lance un coup d'oeil sans fermer l'une de ses bandes dessinées qu'il a clairement pris après avoir fouiné dans ses affaires avant de retourner à sa lecture comme si de rien n'était.

Le garçon reste un peu planté sur le seuil, peu certain de ce qu'il devrait faire. Il n'a pas l'énergie de se mettre à son bureau mais s'installer sur son lit alors que le blond y est déjà ne ressemble pas non plus à une option.

- Kacchan , je suis fatigué, j'aimerais dormir... essaie-t-il quand même.

Un soupire agacé lui répond mais le blond pose tout de même le livre à sa place avant de se glisser sous les couvertures.

- J'espère pour toi que tu as arrêté de pisser au lit, dit le blond sans le regarder.

- De quoi tu parles? demande Izuku qui s'est stoppé net dans ses mouvements, bien conscient de quoi il parle mais surtout terrifié parce qu'il n'arrive pas à comprendre comment l'autre a découvert que ça lui arrivait plus jeune.

Il essaie du mieux qu'il peut de trouver un moment où Kacchan aurait pu découvrir et oh- c'est vrai, le gymnase.

- C'est arrivé qu'une fois, marmonne Izuku en se couchant aussi maintenant qu'il a réussi à retrouver l'usage de ses membres après avoir compris que Kacchan ne sait pas grand chose. Ou du moins, rien de nouveau.

- J'espère pour toi, s'esclaffe l'autre.

-  Bonne nuit Kacchan, dit simplement Izuku qui repense maintenant à l'année de ses sept ans malgré lui, aux nuits interminables jonchées de cauchemars, à l'horreur quotidienne de refaire pipi au lit... à la voix mauvaise de Marcus lui disant que son papa était mort et qui tournait dans sa tête. Sa voix qui tourne encore et qui lui provoque un gros sursaut qui bouscule accidentellement le garçon à l'alter explosif.

- Oh! Qu'est-ce que tu branles! grogne-t-il en se tournant de moitié pour lui lancer un regard noir.

- Pardon, dit rapidement l'autre en trouvant une excuse. Je dois vraiment être plus fatigué que je le pensais... Je vais juste-

Il s'interrompt tout seul pour aller éteindre la lumière en essayant de retenir le sentiment de culpabilité qui croît dans son torse parce qu'après tout ce n'est pas totalement faux et Marcus l'a vraiment épuisé.

Kacchan ne lui répond pas et c'est en se couchant correctement qu'il réalise -pour son plus grand malheur- que le lit est un peu trop petit et qu'il sent la chaleur du corps de l'autre garçon contre le sien.

Il déglutit difficilement et se force à respirer profondément pour ne pas se mettre à trembler, ce qu'il regrette presque immédiatement quand il prend une grande bouffée de l'odeur caramélisée de l'autre adolescent dans les narines.

Il réprime la quinte de toux qui le prend de surprise et ferme ses yeux avec force en se répétant que ce n'est que pour quatre jours et qu'il ne risque rien, que le vrai requin qui rôde dans les abysses se trouve derrière la porte de sa chambre.

Izuku ne sait pas qu'il ne pourrait pas être plus juste, l'homme laissant son regard sombre traîner sur la silhouette allongée du jeune garçon à travers le léger entrebâillement de la porte, fixant sa proie à l'insu des autres, la bouche salivante dans la nuit noire et silencieuse.

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