3:Comme un lundi
Izuku n'a pas besoin de lire l'heure affichée sur son réveil -qui fait un bruit strident- pour savoir qu'il est beaucoup trop tôt et qu'il n'a pas assez dormi. Il bouge pour l'éteindre, plissant ses yeux quand la lumière rouge qui affiche six heures vingt sur le cadrant l'ébloui et lui fait monter les larmes et il se bat contre la pulsion de se recoucher pour s'asseoir sur le bord de son matelas.
Ses mains trouvent facilement sa tête et il a l'impression de laisser partir son âme quand il soupire dans le silence.
C'est difficile, tellement difficile.
Son dos le brûle et il n'a pas envie d'aller à l'école. Il n'a pas envie de se lever, de s'habiller... de manquer son beau-père au petit déjeuner pour croiser Kacchan à l'arrêt de bus et trembler presque autant.
Il sait qu'il n'aurait pas dû l'ignorer, encore moins entouré de sa clique de toutous -vraiment, comment les appeler autrement?- pense-t-il en prenant tout de même son uniforme pour aller dans la salle de bain. Il a juste envie de chasser l'odeur de transpiration et de sexe de sa peau.
L'eau fait mal sur ses plaies mais il ignore la douleur, profitant encore un peu de l'engourdissement qu'apporte le sommeil pour se laver. Ce n'est pas sa faute si Kacchan tombe toujours au pire moment et il ne pouvait pas vraiment prendre le risque d'être en retard pour son rendez-vous avec All Might quand il ne croit toujours pas sa chance d'avoir été choisi comme disciple par son idole. Il ne veut pas prendre le risque de perdre la seule chose positive de sa vie.
Une fois propre et habillé, Izuku va dans la cuisine et prend son repas pour le midi avant de silencieusement quitter la maison. Il ne sait pas si sa maman est déjà parti au travail mais il ne veut pas vérifier si elle est dans sa chambre parce qu'elle la partage avec son beau-père et il a l'impression qu'il saurait qu'il y a mis les pieds.
Izuku regarde l'heure sur son téléphone et comme il sait que rater son petit-déjeuner l'a mis en avance et que son bus ne passe jamais vraiment à l'heure, il prend le sens contraire sur la route, flânant doucement en respirant l'air déjà chargé d'iode si tôt le matin pour aller jusqu'à sa falaise.
Ce n'est pas à proprement parler la sienne mais comme il est le seul à y venir pour regarder la mer s'écraser en dessous, il se l'est un peu approprié. Ce n'est pas comme si elle allait manquer à quelqu'un: l'accès sur la côte est interdit parce que le terrain est dangereux et il est persuadé que la plupart des habitants du coin ne pourraient pas comprendre comment y accéder même avec un plan sous les yeux. Lui, il sait où poser ses pieds, où le sol est instable... et il sait aussi comme la vue est belle et apaisante.
Il ne peut jamais y rester très longtemps, trop occupé à passer son temps à être là où on lui demande d'être pour pouvoir venir quand il veut. Après tout, trois bouchées d'air marins ne valent pas les tracas qu'il devrait subir pour les atteindre.
Et il a presque l'impression de n'avoir respiré que trois fois quand il sort de nouveau son téléphone et que l'heure qui s'affiche le fait se hâter. Il est surpris de ne pas voir Kacchan à l'arrêt de bus mais comme il n'a personne pour partager son inquiétude, il baisse la tête en rentrant dans le véhicule.
Izuku n'aime pas sa classe et elle le lui rend bien. C'est peut-être de sa faute mais il n'arrive pas à se reconnaître dans leur attitude bruyante et nonchalante. Immature. Peut-être que s'il était plus comme eux -et qu'il avait un alter- il se serait fait des amis mais leurs blagues ne sont pas drôles pour lui, peu importe à quel point il essaie de les comprendre. Il a essayé au début mais après un rire décalé de trop il a arrêté. Maintenant, il est au moins assez conscient que c'est pathétique de rire quand c'est lui le centre de la blague.
Il regarde son professeur principal avec compassion, le pauvre homme aussi à l'aise que lui autour de ses camarades. Il finit tout de même par obtenir un silence relatif dans la classe et en profite pour faire rentrer un élève au teint sombre et qui est d'une telle taille et carrure qu'Izuku n'a pas besoin de lui demander pour savoir qu'il a redoublé. Izuku n'aime pas la lueur dans son regard, encore moins quand il les regarde en contractant ses muscles, comme s'il essayait de les jauger.
Il sent presque la pancarte de cible passer autour de son cou quand il le regarde et il déglutit, regrettant amèrement l'absence de Kacchan qui aurait su le distraire avec son caractère explosif.
- Bonjour. Je m'appelle Cito Despas, dit-il comme s'il n'avait pas particulièrement envie de savoir le leur. J'ai pas l'intention de rester ici bien longtemps mais vous allez vous souvenir de moi, sourit-il.
Super, pense amèrement Izuku. Il a l'air aussi ambitieux que Kacchan.
- Et comment tu vas faire ça? demande Julie, battant des cils avant de rire avec ses amies.
- En rétamant celui qui a le meilleur alter d'entre vous, dit-il en haussant les épaules comme si c'était la chose la plus banale du monde.
Izuku a bien l'impression qu'il a déjà martyrisé des élèves de la même façon et qu'il ne leur a pas toujours demandé leur avis avant. Ça promet...
- Ah, soupire Julie. C'est dommage, il n'est pas là aujourd'hui.
- Et comment il s'appelle? demande l'autre, clairement avide de trouver sa prochaine proie, bien qu'il risque de tomber sur un os cette fois.
- Je vous rappelle que l'utilisation d'alter est interdite dans l'enceinte de l'établissement! s'empresse de dire leur professeur qui sue déjà à grosse goutte.
- Katsuki Bakugo, répond Julie en ignorant leur professeur, souriant à Cito qui s'installe à sa gauche, clairement intéressé à l'idée d'en apprendre plus sur le blond.
Le professeur les laisse discuter, n'ayant pas assez d'autorité pour leur demander de se taire puisqu'il sait très bien qu'il ne pourra même pas faire cours s'il les reprend.
- Izuku?
Le garçon relève la tête vers son professeur, ne pouvant retenir le sursaut qui fait rire certaines filles derrière lui.
- Oui monsieur?
- Tu habites bien dans la même rue que Katsuki? Tu pourras lui prendre les cours?
Il acquiesce en silence et retourne gribouiller des notes sur sa feuille. Quand il relève la tête, le nouveau le regarde fixement avec un sourire qu'il ne peut comparer qu'à celui d'un loup, prêt à lui bondir dessus.
Il n'y avait vraiment pas d'autre alternative pour lui que de se créer un lien avec Kacchan alors que ce garçon a l'air de n'avoir aucune autre envie que de répondre à ses pulsions meurtrières? Apparemment non.
Izuku n'aime pas non plus les cours de sport. C'est assez ironique puisqu'il veut devenir un héros -et il en est conscient lui-même- mais il ne peut pas penser à un moment plus désagréable que le cours de sport. D'abord parce qu'il n'est pas très bon: il est plus petit et frêle que la moyenne et même les entraînements d'All Might ou les courses poursuites des amis de Kacchan ne font pas vraiment effet sur son corps maigrelet; ensuite parce que c'est passablement humiliant d'être toujours choisi en dernier ou moqué parce qu'il n'est pas le meilleur.
Izuku est certain qu'ils arriveraient quand même à se moquer de lui si c'était le cas, d'ailleurs, et il n'est pas mauvais non plus par rapport aux autre; c'est juste qu'il est lui et les cours de sport ont un peu ce pouvoir de leur donner une nouvelle opportunité de se moquer de lui, parce qu'il transpire, qu'il devient rouge, qu'il n'est pas toujours le plus doué... qu'il se rate.
Mais ce qui le fait finalement haïr les cours de sport, c'est ce qui se passe avant même de rentrer dans le gymnase et sur le terrain. Rien que l'idée de se changer lui met une telle boule au ventre que ça lui arrivait de vomir de nervosité quand il savait qu'il allait avoir sport l'heure d'après ou même le lendemain pendant ses premières années de collège. Juste une grosse boule d'angoisse qui le fait trembler, transpirer et vomir... pleurer aussi mais c'est presque un trait intégré de son caractère maintenant.
Le nœud dans son bide s'est un peu délié maintenant qu'il est en troisième parce qu'il sait quand et où se changer dans les toilettes. Il sait qu'il n'est pas non plus le seul à le faire, que certaines filles le font par complexe ou pour simplement éviter les odeurs de déodorants mais même si Izuku sait qu'il a de quoi être complexé - maigrelet, pas un poil, sa voix qui n'a toujours pas muée et son entrejambe d'enfant qui lui causerait une toute nouvelle vague de moqueries si ça s'apprenait- ce n'est pas vraiment ça qui lui fait peur. Bien sûr, ça pique toujours quand les autres font des remarques sur son physique mais tant qu'ils ne commentent pas sur l'état de son dos, des bleus divers ou pire qu'ils aient l'idée d'en parler, il peut l'encaisser.
Personne ne doit savoir. S'ils savent... rien que d'y penser Izuku se tend et sursaute, regardant derrière son épaule comme s'il allait le voir.
Et forcément quand il sort des toilettes des garçon pour aller sur le terrain, les autres élèves sont en train de faire des groupes. Izuku sait qu'il va être choisi en dernier mais ça ne rend pas la réalité de la chose plus douce. Il sait aussi que si Julie pouvait choisir entre lui et la poubelle de la cours pour son équipe, elle choisirait l'objet. -En fait elle a déjà fait la blague une fois et a passé la séance à faire jouer la poubelle comme une vraie personne, riant à pleins poumons alors qu'il retenait mal ses larmes-.
Izuku sait aussi qu'il leur tend un peu la perche parfois. Il sait qu'il est bizarre, qu'il marmonne dans sa barbe, qu'il a peur de tout, qu'il est toujours en uniforme d'hivers -peu importe la température-, qu'il pleure pour rien, comme si son manque d'alter avait affecté son cerveau. Du moins, c'est ce qu'ils doivent tous finir par penser et il ne peut pas vraiment les blâmer mais il a juste tellement peur tout le temps qu'il ne sait pas comment agir autrement. Si seulement il pouvait leur faire entendre qu'il essaie pour de vrai.
Il a aussi bêtement cru que l'absence de Kacchan lui donnerait le temps de souffler durant le trajet entre le collège et la maison mais encore une fois, il se trompe.
Il ne remarque pas tout de suite que quelque chose ne va pas, serrant juste son sac contre son corps en regardant par la fenêtre du bus jusqu'à ce qu'il se tourne pour une raison ou une autre et qu'il croise le regard de Cito qui prend ça pour une invitation, s'asseyant sur la place entre lui et le couloir du bus.
Izuku est certain qu'il n'a rien à faire là. Il sait qu'il ne prend pas ce bus, parce qu'il l'aurait vu dedans le matin même et en même temps, il n'a pas besoin de trop se questionner sur sa présence parce qu'il sait aussi pourquoi il est là. Parce qu'il habite dans la même rue que Kacchan et l'autre sait qu'il sait, c'est pour ça qu'il lui lance ce même sourire carnassier.
Il sait aussi qu'Izuku ne dit rien quand on le frappe, peut-être parce que c'est quelque chose que les gens comme lui sentent ou parce qu'il l'a vu se faire embêter toute la journée par les autres: peu importe. Enfin, c'est la seule raison qu'il peut trouver à son comportement quand il commence à le pincer.
Il ne le fait pas discrètement, ou doucement. Non, il le pince avec deux de ses gros doigts violemment, le faisant bouger ou couiner, puis il pince ailleurs, encore et encore alors que le bus passe les arrêts normalement.
Ses joues sont trempées et il se tortille pour lui échapper mais il n'arrête jamais, allant jusqu'à lui dire d'être sage. Izuku sait que ça ne sert à rien de dire non avec les gens comme lui alors il continue de se taire, ravalant ses sanglots les uns après les autres alors qu'il pince ses cuisses, ses bras et son ventre, sentant sa chaire protester et lui l'ignorer. Il est sage et il en a honte.
- Ça va être mon arrêt, chuchote-t-il en raclant sa gorge pour être compréhensible, parce que ça semble être une bonne raison pour qu'il arrête. De toute façon, il doit arrêter: il a plus peur des répercussions de son beau-père que des siennes et il se trouve pathétique parce qu'il sait que c'est ça qui va ultimement le pousser à réagir.
L'autre lui sourit avant de lui mettre une petite gifle en plein visage, un peu vive comme un fouet et c'est quand il entend un rire surpris qu'Izuku réalise que certaines personnes les observaient depuis le début.
Il l'ignore quand l'adolescent retourne vers ces personnes en souriant et en riant comme si c'était la meilleure blague de leur vie et descend du bus, la honte brûlant sur sa joue et la furieuse envie d'arrêter de pleurer ne faisant rien sur ses larmes.
Il avance jusqu'à la plage encore brûlant d'humiliation, ses yeux piquants comme seul vestige de son trajet de bus et se force à sourire en voyant le héros numéro un l'attendre à côté d'un pile de détritus en ferraille, son attitude de symbole lui collant à la peau même sous sa forme chétive.
Il lui demande rapidement de reprendre là où il s'était arrêté la dernière fois, lui faisant oublier sa journée et ses tracas à coup de transpiration et de muscles brûlants jusqu'à ce que le soleil se rapproche rapidement de l'horizon et qu'il doive rentrer.
All Might n'aime pas vraiment que sa vie ne soit pas centrée autour de ses entraînements, que Izuku ne sois pas comme lui mais il sait aussi qu'il n'a pas son expérience et il sait qu'il le réalise parfois, généralement juste avant de lui dire qu'il peut y aller.
Avec tout ça, il n'a même pas pensé à s'arrêter devant la maison de son ami d'enfance pour lui donner ses cours et quand il y pense enfin, il fait déjà trop sombre pour faire un détour.
Peut-être qu'il hésite un peu trop longtemps parce qu'il fait à peine deux pas dans l'entrée de la maison qu'une poigne forte l'attrape par les cheveux, ayant plus d'effet qu'un bouton d'arrêt aurait sur tout son corps. Il retient mal le sursaut qui le traverse, n'ayant eu pour seul avertissement les quelques bruits d'enjambées entre son fauteuil et le hall d'entrée avant de ressentir une grande douleur. Il essaie de ne pas se laisser tomber, n'ayant pas encore réalisé ce qu'il se passe alors que les doigts secouent déjà un peu sa tête.
Heureusement que son corps a l'habitude de ce genre de traitements parce qu'il n'est pas en état de s'adapter aussi vite qu'à l'usage après sa longue journée, tombant à moitié à la renverse parce son esprit est encore sur la tâche de retirer ses chaussures alors qu'il sait qu'il devrait plutôt prendre en compte les reproches qui sont grognés dans son oreille.
Il n'entend pas trop les premiers mots, sentant plutôt l'odeur d'alcool qui s'échappe de sa bouche alors qu'il pousse ses baskets avec ses pieds avec précipitation et maladresse, ses bras trop occupés à tenir son propre corps dans un équilibre précaire et conscient qu'il n'a pas intérêt à s'entraver s'il décidait de le traîner dans le salon maintenant s'il ne veut pas que la soirée prenne un tournant dramatique.
Izuku finit par comprendre qu'il lui reproche son retard et couine quand il tire sur ses cheveux pour qu'il se redresse sans avoir le temps de lui demander pardon et se prend ensuite une gifle en pleine figure parce qu'il ne s'excuse pas, ce qu'il aurait fait s'il n'avait pas été monopolisé par la douleur soudaine sur son crâne. Celle-là, il l'a vue venir parce qu'il arrive à peu près à jauger la patience de l'homme et qu'il sait qu'il l'a amplement dépassée mais ça ne fait pas moins mal pour autant, d'autant plus quand elle se superpose avec celle qu'il a pris dans le bus.
Marcus le regarde de très près, prenant son visage dans sa main si grande qu'il pourrait l'étouffer avec s'il lui prenait l'envie pour mieux lire son expression effrayée, sentant certainement toute la tension que contient son corps, s'en délectant un moment et poussant le vice jusqu'à tirer un peu plus sur ses mèches pour le voir pleurer.
Izuku n'a aucun mal à laisser les larmes couler, encore moins si ça peut apaiser l'autre.
- Grenier, maintenant, finit par prononcer l'homme.
Il n'en attend pas plus pour se précipiter dans les escaliers quand il le lâche, lançant son cartable dans la porte ouverte de sa chambre en passant en ignorant comme sa mâchoire le tire. Il ne sait pas pourquoi il était persuadé que sa mère était à la maison ce soir mais il le regrette amèrement maintenant, ça et son manque de vigilance.
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