24: Friable
Dans quelques minutes, tout va reprendre. Dans quelques minutes, il faudra que j'ai convaincu des gens qui ne connaissent pas mon alter de faire équipe avec moi alors qu'ils n'ont aucune raison de le faire.
Mes jambes sont tremblantes, mes reins me brûlent presque autant que mes poumons et j'essai de faire abstraction du brouhaha des gens dans les gradins pour me concentrer sur mes camarades qui s'affairent à former des groupes sans se soucier de moi. Je sens la sueur couler le long de ma tempe et je l'essuie tout en me décidant d'un pas maladroit de m'approcher de mes amis.
Les caméras nous filment et retransmettent l'image des élèves de Yuei dans leurs tenues flamboyantes, se préparant à se mettre sur la gueule pour atteindre leur rêve commun, à travers tous les téléviseurs du pays, pour que tous puissent nous envier et nous observer.
Et tous m'observeront quand j'essuierai les coups de mon adversaires avec toute ma volonté,
tous m'observeront quand je serai sanglant d'avoir utilisé mon alter et que mes os seront broyés et indifférenciables,
tous m'observeront quand je m'effondrerai, vidé de mon énergie,
mais seul lui sourira, lui seul aura les yeux pétillant de malice, le sexe gorgé de sang car mon visage en sera recouvert.
Lui seul saura.
Je sens rouler entre mes doigts le ruban satiné où un nombre de points faramineux est inscrit, me faisant déglutir sous le stress -la peur- de perdre cet objet qui a le plus de valeur, cet objet que tous convoitent et qui risque de m'attirer bien des problèmes dans l'heure à venir.
Mon amie s'approche en souriant de moi et me propose de faire équipe commune, ce que j'accepte avec une joie non dissimulée car j'ai le désagréable pressentiment que les autres participants ne m'aiment pas et ne seront pas gênés si je suis en difficulté pour former un groupe.
Après tout, ce n'est qu'un avantage pour eux si notre groupe est faible et peu uni.
C'est une compétition dans laquelle se seront des loups... et je serais leur plus alléchante proie.
Par réflexe, je m'approche du troisième membre de notre petit groupe d'amis, mais celui-ci refuse, affichant une ambition que je ne lui avais que rarement vu, et part sans ciller vers d'autres élèves qu'il pense être aptes à lui apporter la victoire.
Je sens mon sourire vaciller.
A-t-il si peu de mal à s'éloigner de ceux qui ne lui sont pas utiles?... Pourquoi cela me fait-il si mal?
Je me tourne vers Ochaco qui n'a pas perdu de temps pour aller demander à d'autres élèves de coopérer. Je décide de prendre exemple en oubliant le goût amer que cette entrevue laisse en moi pour l'aider et finalement, parvenir à former une petite équipe dans le court temps qui nous était imparti.
Après avoir fait l'étonnante rencontre de Meï et de ses machines impressionnantes ainsi que de Fumikage et son alter, notre petite équipe est enfin au complet.
J'échange un sourire avec mon amie qui reste cependant bref, car interrompu par la voix de Midnight qui nous somme de nous mettre en place.
Je me retrouve sous les regards de tous les élèves et une sueur froide coule dans mon dos.
Cette sensation me reprend.
Celle d'être une proie.
Je bande le ruban autour de ma tête pour garder une contenance et le décompte retenti, sonnant l'heure de la chasse.
*
Les larmes coulent sur mon visage et je me retiens presque de sauter dans les bras de ma camarade.
-Ochaco tu es géniale! S'exclame Meï, m'ôtant les mots de la bouche. Grâce à toi on est sélectionnés pour la manche suivante! C'est trop COOL! Les deux filles se regardent en souriant et je vois la concernée rougir sous les compliments élogieux de la mécanicienne.
Nous nous rendons tous avec soulagement vers les vestiaires en attendant la troisième épreuve, ravis de pouvoir enfin goûter à un peu de repos.
Je m'éclipse pour aller aux toilettes et une fois au calme de toute cette agitation, je me rend compte du tremblement très important de mes mains et c'est en humectant mes lèvres que je constate un goût de fer dans ma bouche. Je me dirige vers les lavabos et fait face à mon reflet avec surprise, et touche du bout des doigts le sang qui s'est écoulé de mon nez. Je fixe pendant quelques secondes les quelques tâches rouges vives sur mes doigts, ces dernières semblants rire des souvenirs dont elles provoquent la remontée.
Je m'essuie vivement le visage et vais pour rejoindre les autres mais, encore assez retourné de tous ces événements, je percute quelqu'un sans le voir.
- Oh! Pardon, je suis vraiment désolé. Dis-je en m'assurant que cette pauvre fille ne s'est pas fait mal. Elle repositionne ses lunettes rectangulaires sur son nez et me souris doucement.
- Non, c'est de ma faute. Je devrais faire plus attention. Elle rougi légèrement et replace une de ses mèches noires et turquoises derrière son oreille.
- Moi aussi, je ne regardais pas devant moi, encore désolé.
- Ce n'est pas grave! Soudain, elle semble se souvenir de quelque chose et change d'expression pour passer de la gêne à une sorte de joie.
- Dis moi, tu saurais où je peux trouver la salle des professeurs?
Je la regarde avec surprise avant de lui répondre.
- Euh... oui. Oui, je sais où c'est, mais à l'heure actuelle tu n'y trouveras personne. Tous les professeurs sont dans les tribunes des commentateurs ou sur le terrain pour arbitrer.
- Je sais bien mais ma mère est dans la salle des professeurs.
Je la regarde, perplexe, avant de rajouter:
- Mais qu'est-ce que ta mère fait là bas?
- C'est la psychologue scolaire! Me dit-elle en souriant. Je n'ajoute rien, essayant de me remémorer son visage et remarquant maintenant les similitudes avec sa fille.
- Je l'ai déjà rencontré quand j'étais au collège, il me semble.
- C'est bien possible. Oh! Je m'appelle Mirphinne au fait. Je m'empresse de me présenter aussi et c'est en tournant la tête que je croise un regard vairon des plus déterminés.
- Midoriya? Je peux te parler seul à seul? Son ton sérieux ne semble pas vraiment me laisser le choix et je hoche donc de la tête.
J'indique la direction de la salle des professeurs à Mirphinne et j'emboîte le pas au détenteur de double alter.
Je me met en face de lui et m'adosse volontiers au mur derrière moi pour garder une contenance.
Il me fixe en silence durant quelques minutes, laissant une tension importante s'installer. Il finit par me parler d'All Might, de son secret.
J'imagine déjà les remontrances de ce dernier et les scénarii catastrophiques, la honte que j'éprouverais sous les regards culpabilisants des gens mais... je me rend compte rapidement qu'il est bien loin du compte.
Je m'empresse de le rassurer et, durant un instant, j'essaie d'imaginer la vie que j'aurais eu s'il avait raison. Si All Might était mon père.
Je déchante pourtant bien vite quand le regard mort de Marcus me revient en tête.
D'habitude plutôt silencieux, Todoroki se met pourtant à se confier, sur son enfance et sur la naissance de sa cicatrice. Je l'écoute et ne peux m'empêcher de toujours dériver vers mon beau-père. Je le plains, vraiment. Mais d'un autre côté, je le hais de me dire ça.
Je le hais de se confier.
Je le hais de se plaindre.
Je le hais de pouvoir combattre et repousser son père.
Je regarde sa brûlure et l'envie. J'envie sa place, j'envie sa vie.
Je donnerai tout pour être dans sa peau, et lui dans la mienne. Juste...pour respirer.
Nous finissons par retourner -enfin- dans les vestiaires et je croise le regard froid de l'explosif. Il semble en colère. Je tourne la tête et l'ignore. Moi aussi je suis mal, et j'ai des raisons de l'être.
*
Je me retrouve à combattre un adversaire qui me fait puiser dans mes dernières ressources psychologiques, ces dernières ayants déjà été bien éprouvées au cours de cette journée.
Ma main est engourdie, mon visage est crispé et transpirant.
Mais j'ai gagné.
Ensuite, Todoroki affronte Sero. Le combat est bref mais très impressionnant. Les caméras font des gros plans sur mes camarades et sur l'étendue de glace qui parsème la majorité du terrain.
Je me repositionne, mal à l'aise alors que des plans sont faits sur le gagnant qui libère le perdant de son piège glacé.
Moi aussi je suis glacé.
Je crispé mes mains sur mes cuisses nues et replonge mon regard sur le téléviseur qui éclaire faiblement la pièce.
Je sens des frissons d'engourdissement dans mes pieds mais j'évite de gigoter, sentant sa chaussure cirée directement contre la peau de mes fesses et sachant qu'il n'hésitera pas à me donner un coup si je désobéis. Mes poils s'hérissent légèrement sur mes bras et je vois les matchs s'enchaîner.
Je vois enfin le match de mes deux amis et mes sentiments à leur égard me rendent mal en les voyant se taper dessus, mais je reste cependant admiratif de l'intelligence de Kacchan qui contre avec précision et puissance ma stratégie.
J'entends l'homme remuer derrière moi et je me tends comme un arc.
Il se penche vers moi et je peux l'apercevoir dans mon champs de vision même si je me force à rester focalisé sur la télévision. Je vois mon amie s'évanouir au moment où il attrape la bière posée sur la petite table à mes côtés.
Je dégluti et regrette au même instant de le faire quand un rappel du goût amer descend le long de la paroi de ma gorge.
Je l'entends encore boire, et soupirer de plaisir après chaque gorgée. Sa voix caverneuse fait vibrer chaque cellule de mon corps quand il parle avec son fort accent et son air amusé.
- Quelle bonne idée ta mère a eu d'enregistrer ce championnat... C'est vrai, on arrive à ma partie préféré. Même sans le voir, je sais qu'il sourit. Je sais également de quoi il parle quand je me vois rentrer de nouveau sur le terrain avec quelques pansements en plus et que je suis suivi par mon camarade.
Je l'imagine, plus que je l'entends vraiment, dégrafer son pantalon et je ne sais pas si je préfère me concentrer sur les bruits de sa main, de sa respiration et ceux mouillés que cela engendre ou plutôt sur la télé qui projette les images de mon corps qui se casse de plus en plus, rajoutant du sang aux os brisés, tout cela n'allant pas l'un sans l'autre.
J'essaie de faire abstraction, et ça marche pendant quelques minutes mais je me vois me faire projeter tête la première contre le mur du stade en même temps que je perçois clairement son râle libérateur qui s'imprègne dans ma mémoire.
*
Il éteint la télévision avant même la remise des prix et me donne un coup de pied qui me fera certainement un bleu, suffisamment bien placé pour me faire mal au coccyx et me faire lever. Il me fait me mettre face à lui et je vois dans ses yeux, derrière la lueur de débauche qui plane encore, celle de sadisme qui n'est toujours pas rassasiée. Il se saisit de sa bouteille de bière et boit au goulot, la termine et me fixe en disant,
- Maintenant c'est l'heure de jouer ma petite souris. Et on va bien s'amuser. Dit-il en me prenant par l'épaule pour me faire monter au grenier, ne lâchant pas pour autant le cadavre de sa bouteille.
**
- J'ai vraiment beaucoup aimé ce film! Merci Eijiro. Me dit le blondinet en me tenant la porte pour que je puisse retrouver moi aussi la lumière du soleil.
- De rien, je t'en pris. Je lui souris doucement avant d'ajouter, J'aime bien passer du temps avec toi, tu sais. Faudra qu'on se refasse ça.
- Ce serait bien, oui. Après chaque championnat: un ciné et un macdo!
- Un macdo? Il me sourit espièglement et se rapproche tout près de moi pour chuchoter,
- Oui. Et même que je t'invite. Il se tourne prestement pour m'y conduire et j'essaie de me remettre de cet échange qui aurait bien pu se terminer par un baiser pour le suivre en essayant de ne pas paraître choqué.
Faut pas que tu fasses ça Denki... pas après une heure assis l'un à côté de l'autre, où j'ai passé le plus clair de mon temps à vouloir être encore plus proche et tenter de prendre ta main.
Denki me rejoins à notre table avec les commandes, me sortant de mes pensées. Je l'écoute débriefer sur le film, même si notre discussion finit rapidement par se recentrer sur le championnat.
- En attendant toi, t'as été trop cool et moi, je me suis encore fait ridiculiser et Akari s'est moqué de moi toute la soirée. Je suis heureux à la mention de son compliment mais je met une petite pichnette sur son front pour capter son attention.
- Dis pas ça... t'as réussi à te qualifier jusqu'à la troisième épreuve, contrairement à certains. T'as du potentiel, t'es juste tombé contre la mauvaise personne. Je suis sérieux, arrêtes de te dénigrer. Il me sourit fébrilement mais ajoute tristement:
- Si je deviens un héros, j'aurais pas le droit à l'erreur. Et ça va arriver que mon adversaire ait un avantage. Je le coupe brusquement, ne tenant pas à ce qu'il broie du noir.
- C'est pour ça qu'on est encore à l'école! Tu fais des efforts, ça va finir par payer! Aujourd'hui c'est samedi, journée détente entre potes, alors tu te calmes et tu profites. Je constate avec joie que j'ai réussi à le calmer et nous finissons notre repas dans la bonne humeur. Nous décidons de nous rendre dans un parc proche de chez moi pour passer cette fin d'après-midi.
- C'était impressionnant de te voir te battre contre Katsuki, tu sais... dit-il en s'asseyant dans l'herbe.
- Ah, oui? C'est vrai que c'était pas facile mais, un jour je le battrai ! Il rit suite à ma remarque et ajoute,
- Ça j'en doute pas une seconde! Tu es très fort. Il laisse planer un petit silence et ajoute. Tu as l'air de bien l'aimer Katsuki.
- Ouais c'est un peu mon meilleur pote. Même si pour lui je pense pas être aussi important qu'il l'est pour moi.
- Pourquoi ça? Je regarde un peu ailleurs avant de répondre.
- Bah... C'est le premier à qui j'ai dis que j'aimais les hommes, tu vois?
- Oui, oui. Dis... C'est vraiment juste un pote pour toi où y'a autre chose? Je me tourne vivement vers lui, surpris par sa question inattendue et répond presque en rigolant.
- T'y es pas du tout Denki! C'est vraiment juste un ami. Je passe une main dans mes cheveux. Pourquoi tu pensais ça?
- Bah... Vous êtes proches et t'es le seul qu'il semble bien aimer. Ça aurait pu.
- Nan. Je suis pas attiré par lui et en ce moment, j'ai quelqu'un dans la tête, donc c'est mort.
- Ah, oui? Qui ça? Je le regarde dans les yeux en souriant.
- Je vais pas te le dire, ce serait trop facile.
- Tu lui as dit, à Katsuki ?
- Nan il a deviné. Je souris encore plus devant son air boudeur.
- Tu vas vraiment pas me le dire? Rien qu'à moi? Je frôle le craquage avant de répliquer en me rapprochant, comme pour lui dire un secret au creux de l'oreille.
- Bientôt, promis. Mais va falloir être patient. Et très sage.
On explose de rire et la discussion dérive encore une fois. Il me fait comprendre que lui aussi pense souvent à quelqu'un et ma bonne humeur se casse un peu. L'après-midi passe comme dans un rêve et je ne me lasse pas de le regarder. Il reçoit pourtant un message de sa mère et m'annonce qu'il doit bientôt partir.
Nous nous relevons et la nuit commence doucement à tomber, nous faisant frissonner.
Une notification allume le téléphone de mon ami et je lis par dessus son épaule le message.
Dépêche toi de venir je suis sur le parking. Ton frère m'attend à son cours de sport je ne veux pas le faire attendre plus que ça.
Il éteint l'appareil et se tourne vers moi dans la semi-obscurité.
- Bon bah, au revoir je suppose. Il me regarde de ses grands yeux et je me penche vers lui et lui fait la bise, me réjouissant intérieurement de ce contact. Je profite de sa peau, douce et de son odeur dont je deviens immédiatement dépendant.
Je me redresse et profite de la légère sensation humide qu'il a laissé sur ma joue.
- Ouais, bonne nuit. On se refera ça. Sans que je puisse le voir venir, il se jette dans mes bras et me serre contre lui fermement.
- Désolé. Ne dis rien s'il te plaît Eiji. Je sais que je vais encore m'en prendre plein la tête en rentrant et, j'aimerais bien prendre un peu de soutient avant de partir. Je garde donc le silence en le serrant contre moi. Son corps chaud est blotti contre le mien, contrastant avec la fraîcheur du soir.
- T'as mon numéro si tu veux parler. Même la nuit. Il hoche la tête dans mon cou et je sens ses cheveux qui stimulent avec douceur mon épiderme. Son odeur est plus présente que jamais et je m'apprête à embrasser son cuir chevelu quand il se recule.
Il s'excuse et part rapidement alors qu'il reçoit un appel de sa mère, lui reprochant de trop traîner et que la voiture tourne.
Je le regarde partir, un sourire niais accroché sur le visage.
Alors c'est ça être amoureux...
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