2: Rêve fiévreux


Katsuki n'aime pas être malade. Être malade, ça veut dire ne pas être au contrôle de son corps et ça serait déjà une raison suffisante pour qu'il déteste ça mais ça veut aussi dire rater les cours et donc potentiellement prendre du retard sur le programme, donc plus de devoirs et moins de temps pour s'entraîner... et ça Katsuki ne peut pas le supporter.

Il irait bien en classe avec des mouchoirs et des médicaments dans son sac s'il pouvait mais il n'a pas la chance d'attraper des rhumes bénins ou d'avoir des légères gastro. Il ne fait jamais les choses à moitié et c'est dans ce genre de moments qu'il le regrette.

Il a essayé de se préparer ce matin pour aller en cours, ignorant sa tête qui pèse trois fois son poids normal ou sa gorge qui a l'air de passer sous une paille de fer à chaque fois qu'il tousse, pour enfiler rapidement ses affaires pour espérer aller assez vite et ainsi éviter sa vieille. Il est prêt à rater le petit-déjeuner -pas qu'il en ait vraiment envie non plus dans son état- et attendre le bus plus longtemps si ça peut lui permettre d'esquiver le dragon qui lui sert de mère mais il n'a pas cette chance parce qu'il fait à peine trois pas en dehors de sa chambre qu'il est pris d'une nausée violente et n'a pas d'autre choix que de se précipiter dans la salle de bain pour vomir dans les toilettes.

C'est comme ça que sa mère le trouve -il entend ses talons s'arrêter derrière lui alors qu'il vomi par vague- et elle fait un bruit réprobateur. Elle a au moins la décence d'attendre qu'il finisse avant de lui parler, même si sa voix trop forte fait bourdonner sa tête.

- Enlève ton uniforme, tu ne vas pas en classe aujourd'hui.

- Je vais bien, dit-il d'une voix qu'il sait un peu trop cassée pour être crédible. Il se racle la gorge, crache le goût de bile détestable qui tapisse sa bouche et se relève pour boire au robinet.

- Tu es trop malade pour aller en classe, dit-elle sans essayer de lui laisser un terrain pour argumenter. Tu as la grippe, comme l'ont eu certains de tes camarades il y a quelques jours de cela et je suis persuadé que si je prends ta fièvre maintenant, je monte au moins jusqu'à quarante.

- Mais je vais mieux, dit Katsuki sans y croire parce que ses yeux sont vitreux dans le miroir et que sa mère hausse un sourcil dans son reflet.

- C'est sans appel Katsuki. J'appelle le collège, à ce soir. 

Et il grogne parce qu'il sait qu'il ne pourra pas y aller en douce quand elle partira. Il se traîne jusqu'à son lit en marmonnant des insultes pour sa mère, s'arrêtant tout de même pour tousser avant de passer dans un pyjama et de se glisses sous sa couette.

Peu importe ce qu'elle dit, il est persuadé que ce n'est pas un con de sa classe qui l'a rendu malade mais bien un de ses patients à elle. À force de traîner autour de malades toute la journée, c'est bien normal que son fils en paye les conséquences.

Il se tourne dans ses draps en marmonnant quelque chose sur des infirmières dans le déni et n'entend presque pas la porte d'entrée se claquer. 

Il dort un moment, ou du moins le suspecte parce qu'il trouve quelques médicaments sur sa table de chevet avec une bassine -qu'il s'empresse d'utiliser pour vomir- et un petit mot de son père quand il se réveille.

Il le lit rapidement avant de prendre quelques médicaments avec un verre d'eau et de se rallonger parce qu'il n'a rien d'autre à faire puisqu'il est MALADE.

Il attend que les pilules fassent un peu effet en fixant son plafond, visualisant son emploi du temps et les cours qu'il devrait avoir. Il n'a pas de contrôle, pas sport non plus... Il va juste manquer l'annonce de leur professeur, bien qu'il se doute qu'il pourrait demander à certaines personnes de sa classe s'il était curieux. Il ne l'est pas tellement et il n'a pas non plus envie de leur parler quand il n'y est pas forcé.

Et forcément, penser à ses pseudos-amis lui fait penser au reste de ses camarades et il ne lui en faut pas plus pour diriger son attention sur Deku. Dès qu'il pense à lui, il ne voit qu'un garçon fébrile un peu en retrait dans la classe, la tête penchée sur ses cahiers quand il n'est pas occupé à sursauter au moindre coup de vent ou à se faire insulter. Si ce n'était pas parce qu'ils vivent dans la même rue, il lui suffirait juste de penser au dernier jour de cours qu'ils ont eu ensemble pour fixer toutes ses pensées sur lui.

C'est aussi pour ça que son sang se met à bouillir à chaque fois qu'il se remémore leur dernière interaction juste avant qu'il parte en week-end. Parce que ce n'est pas normal que Deku lui ait répondu sans le regarder et qu'il l'ait dépassé en courant presque, comme s'il était n'importe qui sur son passage et pas « Kacchan ».

Et il est « Kacchan ». Il déteste la voix enfantine, presque nasillarde qui dit ce surnom et il déteste encore plus se penser comme « Kacchan » mais c'est lui et ça veut dire beaucoup pour Deku. Alors ça l'emmerde beaucoup -et même plus qu'il ne peut comprendre pourquoi- qu'il lui soit passé à côté comme s'il n'était pas « Kacchan » et peut-être que Katsuki a aussi un peu peur que ça soit la première fois d'une longue série, même si c'est n'importe quoi parce que Deku n'a pas d'alter, qu'il n'est que la poussière qu'il chasse de sa main et que c'est impensable que Deku détourne son regard de lui. C'est juste pour ça que ça l'énerve, parce que ça n'a aucun sens.

Mais il ne peut pas s'empêcher de penser que si Deku a arrêté de le regarder, c'est peut-être parce qu'il régresse, qu'il est moins bon en ce moment? L'idée lui glace le sang et il essaie de voir s'il a changé quelque chose dans sa routine, s'il se laisse aller sur certains points mais il ne trouve rien et son esprit fiévreux lui rend la tâche difficile. Et puis l'idée le traverse: si Deku commence à s'éloigner de lui, à lui trouver des défauts qu'il ne voit pas encore, qu'est-ce qui empêche les autres de faire pareil? Qu'est-ce qui empêcherait un héros de le repousser quand même un sans-alter l'ignore?

L'idée lui glace tellement le sang qu'il préfère se concentrer sur autre chose et se rappeler que ce n'est pas Deku qui le repousse et que c'est bien lui qui s'est mis à distance du garçon en premier. Après tout, il serait temps qu'il respecte sa volonté.

Il se rappelle vaguement de l'époque où il a commencé à s'éloigner de lui. L'époque où il savait déjà que l'autre n'irait nulle part et où il avait encore un peu du mal à le laisser aller complètement pour se concentrer sur lui-même et ce qui compte vraiment.

Il se souvient clairement de la première fois où il lui a dit qu'ils n'étaient pas amis et surtout pourquoi. Il se souvient aussi de son visage quand il a dit ces mots et se demande si c'est pour se venger que l'autre a agis comme il l'a fait vendredi. S'il a espéré voir son visage faire la même grimace.

Il se souvient d'une attaque de vilain qui avait frappé, qu'elle durait depuis un moment et que toute sa classe de CP écoutait avec attention les plus grands qui suivaient les informations en direct parce que les maîtres avaient la télévision dans leur salle de pause. Il se rappelle vaguement de l'excitation ambiante, parce que ça ne se passait pas loin et que c'était le seul sujet de discussion de toute l'école.

Il n'avait pas compris l'inquiétude des professeurs à l'époque mais il comprenait mieux maintenant: parce que c'était un alter dangereux et qu'ils avaient préféré garder les enfants dans l'école pour la nuit plutôt que de prendre le risque de faire se déplacer leurs parents.

Son esprit malade lui rappelle une image de la cours de récréation en friche et il se souvient que l'alter de l'homme jouait sur la météo et ses pensées se tournent de nouveau sur son camarade parce qu'il se souvient avoir pensé que c'était un bébé pour s'être mis à pleurer quand la tempête s'était approchée de l'école, que l'électricité avait vacillé et que le tonnerre avait grondé au dessus d'eux.

Ce n'était pas le seul à être dans cette état dans leur petite classe mais Katsuki l'avait dit à voix haute et tous les autres en avaient profité pour détourner leur peur des éléments qui se déchaînaient par la fenêtre pour le traiter de bébé, même quand la maîtresse demandait le calme.

Et Katsuki devait avoir raison si tout le monde disait la même chose. Il revoyait la petite tête toute ronde de l'enfant aux cheveux verts, le nez coulant sur ses mains qu'il pressait contre sa bouche pour ne pas pleurer parce qu'on se moquait de lui. Et si ce n'était pas une preuve que Katsuki valait mieux que ça...

Il se souvient qu'ils avaient été conduits dans le gymnase pour y dormir, les lits en plastique de la sieste mis en rangs le long de la salle et que les plus petits pleuraient parce qu'ils voulaient leurs parents et parce qu'il faisait nuit.

Katsuki se remémore vaguement cette nuit là, le fait qu'ils les avaient fait mangé sommairement, qu'ils les avaient fait se mettre au lit en retirant simplement leurs pantalons et qu'il n'arrivait pas à dormir mais que sa maman ne lui manquait pas plus que ça et qu'il ne comprenait pas pourquoi les autres s'affolaient. Il ne se souvient plus exactement pourquoi mais il serait prêt à parier que les lits en eux mêmes n'étaient pas confortables.

Il se souvient par contre avec une précision effrayante de ce qu'il s'est passé ensuite. Peut-être parce que c'était tellement humiliant qu'il n'avait pas pu séparer ce souvenir de la personne de Deku pendant un bon moment.

Les plus petits étaient tous endormis depuis un moment et quand un bruit était venu du côté où il savait que Deku dormait et que ce bruit ressemblait fort à un sanglot, il s'était rapidement tourné pour lui faire face. Il était curieux et il savait aussi que Deku pleurait pour rien. Ça commençait à l'agacer et il n'avait pas peur de lui faire savoir.

Si c'était quelqu'un d'autre qui avait fait pipi au lit, il aurait certainement explosé de rire mais même aujourd'hui, l'expression qu'il avait sur le visage quand il s'était rendu compte qu'il l'avait vu le mettait  toujours étrangement mal à l'aise.

Il se souvenait de la terreur froide sur son visage, de la panique, de ses mouvements précipités qui s'étaient calmés quand Katsuki s'était levé pour se poser sur le bord de son lit.

- T'es un peu un bébé Deku, se rappelle-t-il avoir murmuré, peut-être pour qu'il arrête de le regarder comme ça, comme s'il allait mourir -mais pour de vrai-  et il s'était senti mieux en le voyant pleurer, sa lèvre toute tremblante parce que ça, c'était normal.

- Je vais le dire à la maîtresse, avait-il dit en se levant, parce qu'ils étaient encore un peu amis à cette époque et que Katsuki avait toujours été le meilleur, même en ami.

Il ne l'avait pas laissé protester, chouiner ou se plaindre parce qu'il savait que c'était la seule solution.

Il se souvient du soupire exaspéré de sa maîtresse quand il lui avait expliqué la situation, de la façon dont elle avait pris Deku par la main pour le traîner jusqu'aux toilettes, comme si elle n'avait pas envie de le faire mais qu'elle n'avait pas le choix. Il avait détesté cette femme, un coup leur parlant comme à des bébés, un autre comme s'ils étaient la pire chose qui soit arrivée dans sa vie.

Il les avait suivi, prétextant d'avoir besoin d'y aller alors qu'il était juste démangé par la curiosité. La maîtresse ne l'avait pas empêché de se mettre dans la cabine juste à côté de la leur et il se souvenait encore de la couleur du carrelage qu'il fixait en essayant d'espionner leur conversation.

Il ne se souvenait pas de grand chose parce qu'elle n'était pas très intéressante et qu'elle voulait surtout les renvoyer dans le gymnase le plus vite possible. Il se souvenait surtout de la fin de leur échange, de la façon dont Deku avait répondu non -en pleurant- quand elle lui avait demandé si ça arrivait souvent, s'il avait peur... et puis aussi:

- Est-ce que c'est parce que ton papa est parti loin, loin, loin?

- Sur la lune? avait dit la voix de Deku comme s'il répétait ce qu'on lui avait déjà dit, aussi enfantine à l'époque que maintenant.

- Oh non, il n'est pas sur la lune ton papa, avait dit la maîtresse d'une voix si fermée qu'elle avait rendu muet le garçon en face d'elle.

C'est ce silence plein de mort qui avait marqué Katsuki parce qu'il avait bien compris ce qu'elle voulait dire: que le père de Deku était en train de pourrir dans une boîte sous terre et pas dans un paradis imaginaire dans les étoiles et son camarade était en train de le comprendre aussi, ne pouvant plus se cacher derrière la métaphore que sa maîtresse venait de détruire.

Il avait tiré la chasse et était retourné se coucher, gardant les yeux ouverts dans le dortoir sombre.

Les deux autres étaient revenus peu de temps après, installant le garçon sur des nouveaux draps dans le même silence pesant. Katsuki n'avait pas eu besoin de rester avec eux pour savoir que cette femme n'avait pas réussi à rattraper la situation.

- Il faut faire dodo maintenant, avait chuchoté l'adulte à la place d'un pardon.

Katsuki se réveille en aillant trop chaud, désorienté et en entendant toujours la phrase de sa maîtresse de CP qui a tourné en boucle dans sa tête malade même dans son sommeil.

Il aurait préféré penser au jour d'après. Peut-être que c'est la gifle qu'il avait mis à Deku dans la cours de récréation qui aurait tourné en boucle dans sa tête à la place et qu'il se serait entendu dire « ne m'approche pas » une centaine de fois, déformé par son sommeil. Ça aurait sans doute été plus agréable.

Sa tête tourne et il se penche pour vomir. Il déteste être malade.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top