☢︎ chapitre 6
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Minho et Seungmin furent les premiers à mettre les pieds à l'extérieur ; le sol était encore trempé, jonché de flaques, aussi tâchèrent-ils de les enjamber autant que possible. Les intempéries à répétition n'avaient pas épargné les lieux, les creux étaient nombreux sur la route qu'ils suivaient, mais, heureusement, l'eau brillait sous la luminosité ambiante et ils purent limiter les dégâts. A priori, l'acidité de la pluie ne s'attaquait qu'à la chair, pas au caoutchouc de leurs semelles, mais ils n'étaient pas à l'abri de s'éclabousser l'un l'autre. Si la pluie était dangereuse en elle-même, les heures suivant les averses l'étaient tout autant ; jamais ils ne devaient manquer de vigilance.
Dans la faible clarté de l'aube, ils se rendirent devant l'épicerie, le point de rendez-vous que Chan avait choisi. Comme il n'y avait personne, ils entrèrent dans le bâtiment en prenant soin d'éviter les gouttes s'écoulant de la façade.
— Vous êtes encore là ? demanda Minho.
— Oui ! s'écria la voix de Changbin.
Ils eurent à peine fait quelques pas qu'une silhouette se précipita sur eux pour se jeter dans les bras de Seungmin. Hyunjin et lui s'étreignirent à s'en couper le souffle, comme s'ils avaient été séparés depuis des semaines et non pas une seule nuit. Minho leur adressa un regard à la fois désolé et attendri avant de se tourner vers les trois autres garçons qui approchaient ; Felix et Changbin portaient leurs sacs à dos, prêts à se remettre en route, et Jeongin avait l'air plus en forme que la veille. Sûrement était-il le seul à avoir bénéficié d'une nuit complète ou presque.
— On a rien trouvé dans la maison où on était, annonça Seungmin sans s'écarter de Hyunjin.
Aussitôt, Felix raconta leurs trouvailles avec un entrain que Minho ne lui avait plus vu depuis longtemps. Malgré les événements, malgré toutes les horreurs qu'ils avaient déjà vues, Felix réussissait encore à se réjouir des petites choses. Si Minho avait de plus en plus de mal à propager sa bonne humeur habituelle, Felix prenait sans mal le relais dans ce genre de circonstances.
— C'est génial, répondit Minho avec un sourire. Peut-être que Chan et Jisung aussi auront trouvé des trucs utiles. Vous les avez pas encore aperçus ou entendus ?
Changbin secoua la tête, les lèvres pincées. Rien ne servait de s'inquiéter maintenant, ils avaient sans doute attendu un peu plus longtemps que Minho et Seungmin, ou peut-être qu'ils s'étaient tous deux endormis – bien que ça ne ressemble pas du tout à Chan.
— Sortons, on devait se retrouver dehors, de toute façon, dit Changbin.
Il accompagna ses mots d'un geste de la main et attendit que ses camarades n'aient tous passé les portes pour leur emboîter le pas. Devant l'épicerie, ils attendirent quelques minutes dans le silence, sans un signe de Jisung et Chan. Seule l'eau s'écoulant des gouttières encore debout ou des toitures osait troubler ce calme.
Des pas retentirent enfin, non loin d'eux, et les silhouettes de leurs camarades apparurent au détour d'un bâtiment. Ils pressèrent le pas lorsque leurs regards se croisèrent, et ils furent à peine réunis que Jisung leur déballa tout ce qu'ils avaient vu dans la cave comme s'il vomissait des mots trop longtemps retenus. Il mentionna aussi le journal qu'ils avaient récupéré dans le bunker, sans oser le sortir du sac de Chan. Si la femme avait muté, il était sûrement contaminé, comme tout ce qui se trouvait en contact ou à sa portée, désormais...
— On espère trouver des infos intéressantes, peut-être que cette femme était au courant de certaines choses, expliqua Chan. À part ça, on a fait chou blanc.
Son regard accrocha celui de Minho, et le cœur de chacun se serra. Cette nuit, ils avaient tous deux réveillé le lien que les unissait, ils en avaient ressenti l'intensité bien que dans des circonstances différentes. Seungmin avait raison, ils devaient se parler avant qu'il ne soit vraiment trop tard.
— Où est-ce qu'on va, maintenant ? demanda Changbin.
La question ne se posait pas ; au nord, toujours au nord. Peut-être qu'ils pouvaient espérer trouver un endroit tranquille sur le chemin, où s'arrêter et se cacher le temps de lire quelques pages du journal dont Jisung avait parlé. Si d'aventure quelqu'un d'autre que Chan osait le toucher.
— Allons-y, déclara ce dernier.
Il n'eut pas besoin de le dire deux fois pour que la troupe se mette en route, et alors que Minho attendait qu'ils soient tous quelques pas devant lui pour prendre sa position habituelle, Seungmin lui adressa un discret signe de tête, montrant Chan du menton.
— On s'occupe des arrières.
Minho l'observa une poignée de secondes, s'arrêtant quelques instants sur sa main nouée à celle de Hyunjin, sur leurs doigts entrelacés. Depuis combien de temps Chan et lui ne s'étaient-ils plus tenus la main ? Les premiers jours de leur périple, ce seul contact avait semblé suffire à les maintenir debout, à les aider à garder le cap. Depuis que leur groupe s'était agrandi, Chan se contentait de lui presser l'épaule.
Approuvant d'un simple signe de tête, Minho trottina jusqu'à gagner le niveau de Chan, toujours en tête de file. Ce dernier lui adressa un regard en biais, le toisant de la tête aux pieds, avant de reporter son attention sur les alentours. Il n'y avait rien à l'horizon en dehors de la nature, aucune trace humaine ni aucun danger, mais ce n'était pas une raison pour baisser sa vigilance.
— La nuit n'a pas été trop dure ? demanda-t-il.
Le cœur de Minho se serra de nouveau tandis qu'une douce chaleur se propageait dans son estomac. Si Chan engageait lui-même la conversation, c'était bon signe. Il n'espérait pas pouvoir parler de tout et encore moins pendant longtemps, mais c'était déjà un bon début.
— Moyennement, on était à l'abri mais...
— Mais ? répéta Chan, l'encourageant à poursuivre.
Il lui adressa même un nouveau regard en coin, que Minho croisa le temps d'esquisser un sourire se voulant rassurant.
— Mais mon sommeil était agité.
— Des cauchemars ? Ou des insomnies ?
— Plus compliqué que ça, souffla Minho.
À ces mots, il prit une profonde inspiration et effleura la main de Chan de la sienne. Peut-être que les gestes parleraient plus que les mots, que Chan comprendrait où il voulait en venir par ce contact qui avait eu tant de sens entre eux.
Quelques secondes s'écoulèrent sans que Chan bouge sa main, sans qu'il montre un quelconque signe de rejet. Alors Minho prit son courage à deux mains, comme lorsqu'il lui avait proposé les rendez-vous au ponton, comme lorsqu'il l'avait embrassé pour la première fois, et glissa sa paume contre la sienne. Pour toute réponse, Chan lui pressa la main, avec une telle rapidité que Minho douta avoir bien senti.
— Je crois qu'il faut qu'on parle, Chan.
Ce dernier secoua la tête.
— Pas maintenant, ce n'est pas le moment.
— Et quand veux-tu qu'on parle, alors ! s'emporta Minho. On n'est même pas sûrs d'être encore tous vivants ce soir.
Chan secoua une nouvelle fois la tête, son attention voyageant sur quelques points de leur environnement. Il ne cherchait pas à cacher une quelconque gêne, cette fois-ci, plutôt une honte ou des craintes.
— Et que veux-tu qu'on se dise ? répondit-il quelques secondes plus tard, son ton s'accordant à ses sourcils froncés.
— Je veux qu'on parle de nous.
— Il n'y a rien à dire là-dessus, on sait déjà tout.
— Non, non, bien sûr que non ! Justement, je sais plus rien. Qu'est-ce qu'il y a entre nous ? Pourquoi tu creuses la distance ? Pourquoi tu m'as laissé te prendre la main, là ? Et pourquoi on n'a plus jamais de gestes l'un envers l'autre ? Chan, je veux juste... savoir ce que tu ressens, que tu me parles... Tu es complètement fermé depuis que tout a commencé...
Les paupières closes, Chan s'arrêta et lui lâcha la main. Il prit une longue inspiration avant de se tourner vers Minho et de plonger son regard dans le sien. Il fronçait toujours les sourcils, mais Minho parvenait encore à lire de la douceur dans ses yeux brillants. Du coin de l'œil, il vit leurs camarades s'arrêter à leur tour et les observer avec un mélange de crainte et de curiosité.
— Je ne veux pas qu'on souffre, Minho. Je ne veux pas qu'on espère. C'est mieux... qu'on ne parle pas de tout ça.
Le cœur de Minho battait à tout rompre. Seungmin l'avait convaincu d'essayer de lui parler, mais il regrettait désormais d'avoir abordé le sujet. Cette issue lui avait pourtant semblé inévitable, comme si Chan ne faisait plus aucun effort depuis longtemps pour cacher la distance qu'il mettait entre eux.
Ce dernier se détourna de lui pour reprendre la route, mais Minho le retint par le poignet. Si Chan observa d'abord ses doigts fermement enroulés autour de sa manche, il ne tarda pas à ancrer de nouveau son regard dans le sien.
— Et tu m'as demandé ce que je voulais ? Est-ce que tu y as pensé au moins une fois ?
— Minho... Ne rends pas les choses plus compliquées...
— Vraiment ? Pas une seule seconde ? Je sais qu'on s'est dit qu'il fallait tous les protéger, mais en fait c'est une raison pour qu'on...
— C'est pour nous préserver, le coupa-t-il.
Sur ces mots, Chan attrapa la main de son ami pour le forcer à le lâcher et il se remit en marche sans un regard en arrière. Felix rejoignit aussitôt Minho et passa un bras autour de ses épaules tandis que ce dernier essuyait des larmes de colère, de tristesse et de frustration qu'il n'avait su retenir.
Felix ouvrit la bouche, mais se retint de prononcer quoi que ce soit et Minho l'en remercia intérieurement. Après ce cuisant échec, il n'était pas sûr de supporter le moindre mot, qu'il soit en sa faveur ou en celle de Chan. Tout ce qu'il souhaitait était pouvoir profiter un peu de Chan comme leurs camarades profitaient de la présence et de la chaleur des uns et des autres, mais Chan l'en privait lui-même.
*
Après plusieurs heures de marche dans le silence inconfortable que la conversation, ou plutôt la dispute, de Chan et Minho avait laissé derrière elle, Changbin demanda à ce qu'ils fassent une pause. Jeongin avait peut-être bénéficié d'une bonne nuit de sommeil, il n'en restait pas moins faible, surtout qu'aucun d'eux n'avait avalé quoi que ce soit depuis plus de vingt-quatre heures. Le rouquin s'assit alors sur un rocher parfaitement sec et accepta volontiers les quelques gorgées d'eau que Changbin lui offrit de sa gourde.
Felix profita de cette pause bienvenue pour prendre Chan à part, l'éloignant à une distance suffisante pour que leur discussion n'atteigne pas les oreilles de Minho qui leur tournait le dos.
— C'était quoi cette scène, tout à l'heure ? commença-t-il.
— Ce ne sont pas tes affaires.
— Chan, vu le coup au moral que ça nous a mis à tous, si, ce sont nos affaires. Alors peut-être que tu ne veux pas m'en parler, mais tu crois pas que Minho a droit à des explications un peu plus développées ? Je pense pas qu'il ait envie que tu le saches, mais il en a pleuré.
La bouche entrouverte, Chan papillonna des yeux. Au vu des réactions de Minho, il avait bien senti que ses mots et son comportement l'avaient blessé, mais pas au point de le mener aux larmes. Rares étaient les fois où il avait vu Minho pleurer, même au début de leur périple.
— Si tu veux pas que les choses se dégradent ou que le groupe en pâtisse, tu ferais bien d'au moins lui présenter des excuses, non ?
Chan se passa une main dans les cheveux, les lèvres étroitement pincées, et expira par le nez. Son regard ne lâchait plus Minho, attrapant le bol que Changbin lui tendait. Malgré la pause que Chan voulait garder courte, il avait trouvé le temps de leur remplir un peu l'estomac, et Seungmin ne tarda pas à s'approcher de Felix et Chan pour leur donner chacun une petite ration. Le regard qu'il adressa à Chan avant de les laisser de nouveau seuls en disait long sur ses pensées ; Felix n'était pas le seul à sentir la tension, à la craindre et à vouloir que les choses s'arrangent, au moins pour que leur mental n'en souffre pas.
— Il vaut mieux que j'attende un peu, non... ? essaya Chan. Jusqu'à ce soir ?
— Pas plus.
Hochant la tête, Chan baissa les yeux vers son bol ; la main de Felix lui cacha bientôt la vue alors qu'il lui tendait son auriculaire. S'il n'y avait que par une promesse qu'il lui faisait confiance pour parler à Minho... Chan retint un soupir avant de nouer son auriculaire à celui de Felix et de joindre leurs pouces.
— Promis, ce soir. J'espère qu'on trouvera un endroit tranquille où passer la nuit.
Felix retint un soupir en approuvant d'un signe de la tête ; ils ne savaient jamais où ils allaient bien pouvoir passer la nuit, et surtout s'ils allaient pouvoir s'arrêter. Nombre de fois, ils avaient continué à marcher des heures durant dans le noir complet, simplement parce qu'ils ne trouvaient aucun endroit à couvert où ils pourraient se reposer ne serait-ce que quelques instants.
Depuis qu'ils avaient quittés les ruines du village, leur environnement s'était progressivement transformé en terrain montagneux. Ils approchaient de forêts et de monticules de roche, et si ces lieux pouvaient se révéler propices à une nuit tranquille, nul doute que leur progression serait ralentie. Les escarpements, les glissements de terrain, les cours d'eau, les obstacles... Mais peut-être était-ce un endroit idéal pour semer leurs poursuivants, si la secte s'était bel et bien lancée aux trousses de Jeongin.
Une fois sa bouillie finie, Chan rejoignit ses camarades et les invita à rassembler rapidement leurs affaires. Ils avaient encore du temps avant que le soir ne tombe, mais plus vite ils se remettaient en route et plus ils auraient de chance de trouver un endroit sûr pour la nuit.
— Et pour le journal, quand est-ce qu'on le lira ? demanda Hyunjin en enfilant les bretelles de son sac à dos.
— Il est sûrement contaminé, murmura Jisung.
Sa voix faible et chargée d'angoisse n'échappa à personne ; Minho lui pressa doucement l'épaule et trouva la force de lui adresser un sourire.
— J'en ai conscience, répondit Chan. Et je pense qu'il vaut mieux que le moins de monde possible le touche. Puisque c'est moi qui l'ai pris, je vous le lirai. On verra ce soir si on peut commencer, sinon... je préfère qu'on trouve un endroit où on sera plus en sécurité.
— Chan, on sera en sécurité nulle part, protesta Seungmin. Alors si on arrive à faire un feu, tu commenceras la lecture ce soir. C'est idiot de perdre du temps, surtout si on peut avoir des réponses sur les mutations ou la secte qui en a après Jeongin.
Sa phrase terminée, il glissa un regard lourd de sens à Minho, mais seuls eux parurent comprendre ce que les yeux de l'autre disaient. Chan, lui, ne put que soupirer avant de lui donner raison.
— Alors ne traînons pas et trouvons un endroit où passer la nuit.
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