Vol sur un fil
Allez, je me lance !
Non.
C'est impossible !
Pourtant on m'a bien expliqué, durant tout le temps que j'ai passé dans l'abdomen de ma chère mère, à quel point il étant grisant de se laisser porter dans la brise chaude. Mais qu'était-ce que cette brise chaude ? Moi, dans le nid surveillé par ma mère, j'étais bien tendrement entourée par tous mes frères et soeurs. Pourquoi l'en quitter ?
Bon. Je dois essayer.
J'accroche l'extrémité de mes quatre pattes avant sur le bord de bois et je jette un coup d'oeil vers l'espace devant moi... Non mais... ils sont fous !!! Jamais de ma vie je ne sauterai !
Sous les regards attentifs de ma mère, alors que nous grignotions les résidus de la dernière proie rapportée par notre génitrice, elle nous contait ses exploits : quelle héroïne elle était ! Elle en a vu des endroits. Elle a voyagé et vu du pays avant d'accepter de nous donner la vie. Des chaleurs accablantes, des pluies torrentielles ou des vents contraires : rien ne l'a arrêtée et empêchée de parfaire son art. Car oui, c'est une artiste ma mère !
Une artiste de l'éphémère car elle recommence souvent tout ce qu'elle a crée car les intempéries et surtout tout ceux qui sont jaloux de son talent détruisent souvent ce qu'elle a fait dans la journée. Ces jaloux : ils se lancent dans ses oeuvres d'arts et s'y collent comme des niais ! Mais maman sait y faire, elle se venge ! Elle les attache solidement, les drogue sans pitié d'une morsure puis, ils sont obligés de la regarder refaire ce qu'ils ont détruit de leurs gestes maladroits ! Ensuite, elle les mange. Ah ! Que j'admire cette grande Dame !
Je me suis bien promise d'être comme elle...
Mais voilà ! Maintenant que je dois me lancer dans le vide et m'envoler sur le faible courant d'air que je sens sur mes poils thoraciques ... j'ai peur, je suis pétrifiée !
Mes pattes tremblent alors que mon abdomen se crispe tant que je ne sais même pas s'il saura me procurer mon filin de vol ! Argh ! J'en ai les huit yeux qui ne voient plus clair. Par la divine toile ! Comment faire ?
Cet espace, si grand et vaste, qui s'étire devant moi... je le vois comme un grand trou sans fin. Où vais-je me retrouver si j'ose me lancer ? Je sais, vous direz que notre espèce est si légère, qu'il suffit de créer un long fil ténu pour nous rattacher au point de départ et que l'air nous portera au hasard vers un autre point d'ancrage.
Mais qui a dit cela ? C'est impossible ! Je vais m'y perdre et le filin sera trop fin pour me permettre de revenir.
Ah oui ! Ça aussi je n'y crois pas : l'histoire comme quoi nos fils sont assez forts pour nous soutenir ! De plus, je suis la plus potelée de ma portée. Forte pour la prochaine génération me disait ma mère avec fierté. Mais... pour voler sur un fil ?
Toutes les autres étaient fines et gracieuses ! Vous auriez du les voir : huit pattes gracieuses au duvet doux et aux petits pics miroitants dans le rayon de lumière qui frappait notre nid, des petits thorax et de minces abdomens. Elles se sont toutes élancées vers l'avant, certaines sans même se déplacer le long des parois autour du nid. Allez hop ! Comme si elles avaient fait cela depuis une autre vie !
Moi je marche rapidement en m'agrippant solidement et en m'éloignant de plus en plus de mon lieu de naissance. C'est ainsi que je me suis retrouvée sur cette surface plane et verticale. Une longue plaine drapée d'un tissu blanc dont les bords ondulent au gré du moindre coup de vent. Je suis restée au sommet à regarder le fin tissage s'agiter : il m'hypnotise, mes yeux ne peuvent quitter son mouvement incessant. Et tout en bas, il y a le lieu que j'aimerais atteindre : le terrain plat, sans trou ou vide. LE SOL. Mais c'est si loin...
J'ai peur : une trouille pure et bleue !
Non, décidément je ne réussirai jamais à descendre le long d'un fil, me laissant porter par ce cheveux d'ange qui sort de mon abdomen. Je n'y connais rien moi ! Pourquoi maman ne nous a pas montré ses trucs avant de partir ?
Je ferme mes yeux un instant et je réfléchis. Que faire ?
Un instant plus tard, ma décision est prise...
Je prend mes pattes à mon cou et je rebrousse rapidement chemin. En un temps record, je me retrouve dans le coin originel, là où demeure encore les débris de notre nid. C'est un coin avec un plafond et deux murs à angle droit. Pas de plancher, mais ce n'est pas grave, je vais y remédier.
Sur les restes du nid familial, je tisse rapidement un base horizontale en évitant de jeter un coup l'oeil entre les interstices.... le sol est si loin !
Bientôt, je me retrouve dans un cocon de fils tissés dans lequel je me pelotonne avec bonheur. Je découvre des restes de cadavres de nos dernier repas de fratrie. Mmmmm ! Mon ventre grogne de bonheur.
Dans le cocon de soie, il reste encore les odeurs de ma petite jeunesse, de maman et de papa. Moi, aspirer à une vie de grande prédatrice et funambule sur des fils de soie ... Mon Œil!
Qui a dit que nous devions tous être identiques ?
Moi je serai bien tranquille, mes huit pattes bien accrochées à du solide et je mangerai ce que je pourrai trouver sans avoir à faire du vol plané au bout du fil de soie, ni a funambule sur une toile précaire de dentelle entre deux points solide. Le vide n'est pas pour moi.
Tant pis pour la relève !
De toute façon, ce n'est pas sérieux cette vie.
Vive le solide !
🕷🕷🕷🕷🕷🕷
Défi 4 de Reidrev : La phobie avec une personnage proposé en bonus parmi un choix : chat, poulpe, asticot, Dieu (!), araignée, éléphant.
J'ai choisi l'être de ma propre phobie !
Vu de son point de vue je change de phobie et attrape le vertige !
Bonne Lecture :)
Gaïa;)
Novembre 2019
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