Chapitre 4 - Highway To Hell
Riley
Pendant ma pause, je tente de me dégourdir les jambes. Je suis restée assise pendant un moment, à plancher sur mon roman. Pour me motiver, je demande à mon assistant vocal de diffuser une musique rock et dynamique. Les premières notes de guitare explosent, les amplis résonnent dans mon salon et me donnent envie de danser. Je trémousse mes hanches, bouge les épaules, désarticule mes bras en imitant un jeu de guitare électrique pendant que je me laisse simplement aller. Heureusement que personne ne me voit dans cet état second...
Le dieu de la Danse a dû m'entendre et me somme d'arrêter de détruire une musique si célèbre avec un jeu de pas aussi médiocre, car la sonnette de mon interphone gronde tout à coup. Interrompue, je me dirige vers l'entrée et appuie sur le bouton pour me renseigner sur l'identité de mon visiteur. Alors que je suppose qu'il s'agit de Claire, ma voisine qui me rejoint souvent pour notre repas, je suis surprise par la voix masculine qui parle dans mon haut‑parleur. L'homme dit être livreur de pizzas puis me demande l'autorisation de pénétrer dans l'immeuble. Pour valider ses dires, il insiste pour que je regarde la caméra où il expose les cartons, probablement tachés de sauce et de gras.
Ouais, sauf que je ne vois pas tes cartons, mec !
Quelques secondes plus tard, c'est à ma porte que j'entends taper. Je pense une fois de plus que c'est Claire qui vient honorer notre rendez-vous semestriel. Elle m'accorde deux heures tous les jeudis, sur son temps de pause, pour venir me forcer à cuisiner un peu. Mais, lorsque j'ouvre, ce n'est pas le parfum ananas jojoba qui émane du couloir, mais bien une bonne odeur de gras qui se faufile dans mes narines. Le livreur se trouve devant moi, tape du pied, impatient.
Mon Dieu, j'adore cette malbouffe.
— Oh ! Riley, tu as commandé des pizzas ? clame la voix de mon amie dans le hall.
— Non, ce doit être pour le voisin. Entre.
Je me décale sur la droite pour la laisser passer, mais le pizzaïolo se racle la gorge pour prendre la parole. Il a dû se perdre et va me demander un nom ou un numéro de porte. Je m'adosse contre le chambranle et j'attends qu'il daigne poser sa question. Vite, ça m'arrangerait.
— J'ai une commande de huit pizzas pour Mlle Pandora Riley, affirme-t‑il.
Je me redresse, fronce les sourcils cachés sous mes lunettes aviateur noires, puis grimace.
— Tenez.
Au bruit de clés qui tintent et aux grognements féminins qui chatouillent mes tympans, je présume que Claire est en train de récupérer la tour grasse : elle couine à cause des brûlures que lui infligent les cartons chauds. Puis elle me frôle, tente de pénétrer rapidement dans mon antre, mais je l'en empêche d'un mouvement de main.
— Il y a erreur, monsieur, je n'ai rien commandé.
Mon amie émet un petit gémissement plaintif avant de demander au jeune homme de récupérer sa livraison, déçue de ne pas pouvoir sauter sur les parts dégoulinantes de fromage et de sauce qui iront s'implanter directement sur nos hanches.
— Bon, écoutez, vous avez une commande à votre nom. Les pizzas sont faites, je me suis déplacé. Alors vous dégainez la carte et c'est tout. Sinon, je porte plainte.
Il termine dans un murmure grave et énervé. Sa voix déraille à cause de sa récente mue. Au vu de son langage, il doit être très jeune et pas du tout expérimenté. Il pense se faire un peu d'argent de poche en montant sur son vélo à arpenter les rues parisiennes, chargé de repas, mais ce n'est pas ainsi qu'il va garder son job.
— Oh petit con ! Tu vas mieux parler à ma pote !
Claire tente de me défendre et prend les devants en insultant le malotru.
— Elle doit me payer. Si elle ne le fait pas, la police...
— On se calme..., interviens-je pour désamorcer la dispute. Combien ça fait ?
Je capitule et sors la carte de mon sac, rangé derrière la porte.
— Quatre-vingt‑huit euros. Vous voulez une carte de fidélité ?
Mais c'est qu'il est en train de se foutre de moi en plus !
Je vais m'assurer que Claire relève le numéro noté sur les cartons et me faire un malin plaisir de me plaindre auprès de son employeur. Mon avis sur Google sera sanglant. Râleuse, mon amie abdique et apporte notre repas sur la table. Elle revient, inscrit mon code sur la machine du p'tit con puis repart dans la cuisine. Le gosse valide le paiement, déchire le ticket de caisse en me remerciant pour mon achat d'un ton mielleux. Je me retiens de lui balancer une droite dans son visage que j'imagine narquois. Avant de tourner les talons, il fouille dans un endroit qui fait tinter ses clés et dépose quelque chose de léger dans ma main : un papier.
— On m'a demandé de vous remettre ça après le règlement.
Il quitte le palier en pressant le pas. Je ferme violemment la porte, triture le papier entre mes mains et retourne retrouver mon amie qui, j'imagine, est en train de baver devant notre festin inattendu. Je m'interroge tout de même : comment cette commande a bien pu atterrir à mon adresse ? J'en suis même à me demander si ce n'est pas Sidonie qui aurait prévu une surprise pour nous rejoindre : dans ce cas, je compte sur elle pour me rembourser.
— Qu'est‑ce qui est écrit ? interrogé-je mon amie en déposant le mémo sur la table.
J'ouvre le carton d'une pizza et en hume le contenu. La tomate, le fromage et l'huile sont les premières notes qui me parviennent. Mon ventre gargouille, j'ai super faim. Je saisis une part, qui se détache parfaitement ; c'est déjà coupé. Puis croque dans la pâte agrémentée d'ingrédients qui, je dois bien l'avouer, baignent dans l'huile et en perdent toutes leurs saveurs d'origine. Mais on s'en fiche, on se régale quand même.
— « Bienvenue sur l'autoroute de l'enfer, Miss Pandora ! » Tu sais de qui ça provient ?
Je m'étouffe, tape deux fois sur ma poitrine pour reprendre ma respiration et rabats énergiquement le haut de la boîte dans laquelle j'étais en train de piocher.
— Est‑ce que c'est signé ?
Je sens la panique m'envahir, mon corps se raidir, ma gorge se serrer. Je crains de comprendre d'où provient cette commande.
Mais non, impossible, Riley, ce mec ne connaît pas ton nom...
Même si celui-ci est notifié sur ma boîte aux lettres, mon voisin ne peut pas deviner de qui il s'agit. Nous sommes nombreux dans l'immeuble. Soudain, la musique de AC/DC, Highway to Hell explose comme un coup de tonnerre. Le doute s'évapore. Ça vient de chez mon voisin, c'est clair comme de l'eau de roche, il me cherche. Je fulmine, mais contiens néanmoins ma rage. Si j'étais un personnage de dessin animé, de la fumée s'échapperait de mes oreilles ainsi que de mes narines. Claire essaye de me parler, mais ses mots se perdent dans le brouhaha. Je suis totalement focalisée sur cet enfoiré. Il augmente le volume, encore, crie les paroles comme pour me provoquer davantage.
— Mais quel connard ! éructé-je. Oh je ne vais pas me démonter, crois-moi ! Il veut jouer ? Très bien. Claire, on mange rapidement et ensuite, on sort.
— Pour faire quoi ?
— Je vais transformer ce petit incident en bonne action. On va distribuer les restes aux SDF de la rue d'en bas. Je laisse le karma prendre possession de l'âme de mon bourreau.
Je frotte mes mains l'une contre l'autre, prête à me venger.
Dehors, le froid peut défier les températures sibériennes. Je suis certaine que les pingouins se plairaient ici, à glisser sur la neige et les plaques de verglas. Afin de ne pas tomber lamentablement, Claire me tient fermement le bras et m'aide à avancer avec confiance sur la chaussée. Ça fait quelques années que nous n'avons pas eu autant de flocons dans la ville. Nous foulons les rues adjacentes à la mienne, à la recherche de personnes sans abri. Normalement, la plupart se ruent dans des refuges, mais certains refusent l'hospitalité et l'aide des associations, comme Arthur, et d'après les aboiements de chien à proximité, je devine que c'est lui que nous approchons.
Je m'agenouille, caresse le poil doux du chien qui se colle à moi et entame la conversation avec l'ancien marchand de glaces. Après l'avoir salué, je le questionne :
— Arthur, pourquoi n'acceptez-vous pas de vous rendre dans un foyer d'accueil ?
Je sors des parts de pizza, enroulées dans un papier d'aluminium de mon sac et les lui tends avec un sourire. Il attrape ma main entre les siennes et caresse mon poignet avec reconnaissance, avant de répondre à ma question.
Apparemment, il est terrifié à l'idée d'être séparé de son berger allemand, Wouafi. Il me raconte comment il a trouvé le chien errant au bord de la route, blessé et boiteux, près de voitures qui filaient à toute vitesse. Arthur était le seul à se soucier de l'animal. Je dois dire que ça en dit long sur la compassion de cet homme, mais aussi des conducteurs.
Il conclut son monologue en pestant contre son chien, qui vient de faire ses besoins à côté de moi sur le trottoir, nous offrant ainsi l'odeur nauséabonde de sa déjection.
Charmant.
— Riley, tu feras attention à éviter la crotte de mon p'tit pote à quatre pattes.
Aidée par Claire, je fais un pas sur le côté pour m'éloigner de la zone minée. Puis, mes lèvres s'étirent dangereusement quand une idée saugrenue traverse mon esprit.
Je vais me servir du cadeau de l'adorable Wouafi pour élaborer ma vengeance.
I'm on the highway to hell,
Highway to hell,
I'm on the highway to hell,
Highway to hell,
Don't stop me.
Highway to Hell – AC/DC
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