XVIII

            Je n’allai pas faire dans la finesse. C’était la grande affaire, le grand coup avant de me retirer. L’ainé paierait cher pour que rien ne fusse su. Massacrer toute une famille, à demi son sang, pour une affaire de politique ; ça n’avait rien de glorieux. Et j’étais seul pour me taire. Seul à craquer les allumettes.

Si une conscience inutile animait mon esprit, elle maudirait ma peau pour les siècles et les siècles. Et si mon cœur ne tournait pas au boudin, il refuserait d’envoyer le sang qui pousse maintenant mes jambes dans l’entrée du tunnel réservé aux maitresses du noble ex-vivant.

Mais ma chair avançait entre les pierres tièdes.

Je frôlais cet endroit avec la nostalgie hideuse d’un travail que l’on quitte. Cette pensée aurait dû me répugner. Je me détestais désormais tout à fait.

Le tunnel a débouché sur quelques salles qui s’emboitaient et que j’ai traversées machinalement. Je suis entré dans ce qui ressemblait à une réserve de farine et me suis perdu un peu plus loin où des menottes se balançaient au dessus d’un bout de fer rouillé et tâché.

Je commençais à me faire un plan mental des lieux et bientôt je me dirigerai vers les chambres.

J’ai laissé de côté mes petits rituels, ils sonnaient faux ; aiguiser mon couteau, regarder son tranchant et ne faire que semblant d’hésiter. Je ne voulais plus de ces conneries. Pas de dernier adieu à cette vie-là, l’autre n’en avait pas eu. Un simple feu pour aller vieillir à la campagne, voilà de quoi il s’agissait.

Vaguement, mes doigts ont joué avec le fourreau de mon couteau. Il y avait quelque-chose à l’intérieur. Un bout de papier.

Lizy, tu sais comme je t’aimais.

Loin est l’époque où je pouvais contempler ton sourire, où tes cheveux s’amusaient à défier le soleil. Tu courais au printemps et je te regardais de sous le chêne.

Loin est la grâce qui faisait la vie, car elle te portait. Quand tes yeux brûlaient le ciel.

Et portant tu résonnes encore en moi toute entière.

Mais je crois que j’ai oublié ton rire.

 

Sache que tu as enchanté mon existence à chaque instant. Tu as été la couleur qui a peint ma vie. Je ne te remercierai jamais assez d’avoir été toi. De m’avoir rendu si fier.

Tu as été ma joie. Tu as été ma paix. Tu m’a fais vivre, pour de vrai.

 

J’ai cherché sans cesse une explication. Pourquoi j’ai fais cela… Ma Lizy, je n’en trouve aucune.

Le jour où je t’ai perdu, tout s’est éteint. J’aimerais te dire combien je suis triste, mais je n’y parviens plus. Je ne suis pas triste.

 

Je ne vis plus désormais, mais je danse avec toi dans nos souvenirs.

Te souviens-tu de ce chevreuil qui s’était approché de toi, t’avais reniflé le visage, puis s’était enfui en sautillant ? Tu avais tant ri.

 

Je sais que je ne t’oublierai jamais, mais parfois je crains que mes souvenirs ne s’estompent. Parfois ton visage devient flou, et j’ai peur.

 

Où que tu sois maintenant, j’espère que tu es bien. J’espère que l’ange est passé et qu’il a posé le doigt sur ta bouche.

Je ne te reverrai plus jamais, car si c’était le cas, alors je fuirais pour te protéger de moi. Sache seulement que je t’ai toujours aimé et que je resterai toujours ton père, ma fille.

Je suis arrivé dans les chambres et déjà les flammes s’enroulaient aux rideaux. La fumée ferait faire aux dormeurs d’étranges rêves avant qu’il n’ouvre les yeux une dernière fois pour les refermer à jamais.

…J’avais tué ma propre fille.

Un jour qu’elle était venue me montrer un de ses beaux dessins, je m’étais jeté sur elle, et je l’avais étranglé. Ce que j’ai lu dans ces yeux, je ne pourrai jamais l’oublier. Elle ne comprenait pas, me fixait, me scrutait, me demandant pourquoi. Pas de colère ni de peur, juste de l’incompréhension.

Elle n’avait que sept ans.

J’ai traversé les chambres en feu, mon regard trainant dans le vide se posant parfois sur des visages agités.

Alors que mes doigts pressaient sa gorge, mon visage était sans vie. Je ne pensais à rien. Je n’avais pas vraiment conscience de ce que je faisais. J’étais spectateur. Mais un spectateur vide.

Quand je l’avais enfin relâchée, c’était comme si elle dormait. Ses paupières s’étaient refermées et elle paraissait demeurer dans l’insouciance.

            Je suis arrivé dans une chambre. Il y avait une petite fille qui dormait là. Elle ne semblait rien remarquer du feu qui se glissait le long de ses murs. Elle était paisible dans ses rêves d’enfant.

J’ai continué difficilement d’avancer à travers les chambres vers une sortie. Mais je ne pouvais plus. Je ne pouvais plus avancer alors qu’une famille entière brûlait, et que c’était mon œuvre.

Je n’avais plus jamais été que le monstre qui a tué ma fille.

Alors j’ai décidé que c’est là que je m’arrêterai.

J’ai regardé la lune par les carreaux. Elle était vide.

Un cordon, pendant devant les cendres de soie à la fenêtre, n’avait pas fini de se consumer. Il serait ce que mes mains damnées furent.

Je l’ai fixé en hauteur, l’ai passé autours de mon cou.

Je n’ai plus rien à dire à ce monde. Cela fait trois années que je n’y appartiens plus. Trois années que je ne vis plus. J’avais juste oublié de mourir.

Puisses-tu me pardonner.

Le nœud a serré ma gorge. Mon souffle s’est échappé. Enfin.

Tout s’est fait plus léger et lumineux, comme avant. …Exactement comme avant.

Je t’ai revu courir près du vieux chêne. J’ai revu le chevreuil et j’ai revu ton visage. Je t’ai revu narguer le ciel de tes yeux.

J’entends à nouveau ton rire, Lizy.

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