VI
J’ai arpenté les rues boueuses de Kievag où j’ai retrouvé les regards fuyants des gens qui n’étaient, en fin de compte, pas devenus bien différents des zombies, allant d’un point à un autre sans relevé la tête, de peur de croiser le regard d’un autre et de devoir sortir de sa petite bulle de sécurité. Terrifiés à l’idée d’oser s’adresser la parole par simple plaisir d’échanger et de passer alors pour un fou. Rassurés par leur guide, la grande horloge qui se dresse dans la ville. Les hommes vivent en meute mais ont peur les uns des autres et, en essayant de rendre la meute plus cohérente, ils s’en éloignent.
Je me rendais au bordel du coin, lieu pour lequel j’étais désormais un habitué. Jamais dans mon ancienne vie je n’aurais pensé me rendre un jour dans un endroit comme celui-ci. Mon ancienne vie… je ne connaissais qu’à peine les rumeurs de ce qu’était la vraie vie, ici bas dans la boue des vraies gens. L’échiquier du monde est joué par des enfants inconscients et les pions ne veulent surtout pas être des tours. On veut être des incapables gérés par des imbéciles. On veut bien gueuler, mais uniquement à l’oreille des sourds.
Dans une ruelle, un homme jouait d’un instrument que je ne connaissais pas. Une mère et son enfant s’étaient arrêtés pour l’écouter. Le gamin se tenait assis en tailleur et basculait la tête à chaque corde que le musicien pinçait. Ils se souriaient. Sûrement les seuls sourires que j’aie vus de la journée. Puis deux garde sont arrivés et ont pris l’homme par les épaules pour le trainer hors de la ville ; sort réservé à tous les mendiants. Le gosse a essayé de retenir les gardes en tirant sur le vêtement de l’un. Il s’est prit le claquant de la main aussi grande que sa tête et sa mère n’a pas osé déglutir. Peu de chose me choque, mais celle-ci m’a profondément marqué.
J’ai continué vers le bordel.
J’ai laissé tomber la pluie de la ville en poussant la porte de la maison close. Je me suis dirigé vers le comptoir et j’ai demandé la femme la moins cher. Ce n’était pas par plaisir que je venais, uniquement pour assouvir des instincts qui deviennent pesant si on ne les écoute pas. Nous sommes esclaves de notre corps. Le goût de la chair n’était pour moi pas devenu différent de celui du carton. Je venais ici chaque fin de mission, voilà tout.
Je suis passé dans le couloir étroit où se bousculait les porcs, porc qu’on dirait j’étais également devenu. Il y en avait pour tout les goûts ; femmes, homme, enfants. La vision de cet ivrogne poussant devant lui cette fillette au visage inexpressif m’aurait autrefois fait vomir. Je l’ai juste laissé passer.
Je suis entré dans la chambre que j’avais payée et y ai trouvée la fille. Elle puait. Mais au prix où je l’avais payé je n’allais pas trop lui en demander. J’ai calmé mon inutile instinct pour un temps et suis reparti attendre ma prochaine convocation au manoir. Le dirigeant de la ville avait encore du travail pour lequel il comptait sur ce qui restait de ma personne.
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