Chapitre 4 - Orion
Plus tard dans l'après-midi, nous décidions de quitter la maison pour retourner à la forêt proche de l'université. Par chance, mes parents nous avaient laissé une voiture au cas où nous voulions aller en ville ou faire des courses. Une fois que nous étions tous prêts, dans des tenues confortables et discrètes, et motivés à faire tout en notre pouvoir, et même risquer nos vies, pour retrouver Xan, nous montions dans la voiture.
Pendant que je conduisais, nous essayions de réfléchir à un plan qui nous permettrait de retrouver Xan de la manière la plus simple. Voir les deux filles discuter et trouver plein d'idées qui nous aideraient me rassura énormément et je fus pris d'une vague de gratitude, c'était un miracle qu'elles aient accepté de m'accompagner ! Je sentais également qu'elles avaient peur, surtout Pandore, qui malgré son air de femme forte, cachait des pensées bien sombres. Pour l'une des rares fois dans ma vie, j'avais l'envie d'enlacer des personnes que je pourrais appeler amies. Je n'étais plus seul.
Le paysage s'assombrissait à mesure que nous nous approchions de la forêt, et nous décidions de laisser la voiture pas trop loin d'une des entrées naturelles pour continuer à pieds.
— A partir de maintenant, annonçai-je, il va falloir être discrets et faire attention, il peut être partout, peut-être même invisible. Soyez à l'affut, et prêtes à vous défendre.
— On aurait dû prendre des armes, commenta Hëna à voix basse.
— Et où les aurions-nous trouvées ? Aussi, pour l'avoir vu plusieurs fois, ce meurtrier, il n'avait pas d'arme.
J'espérais seulement qu'il n'ait pas tué les camarades kidnappés, j'espérais que Xan soit encore en vie. Mais si je comprenais bien sa logique, il les gardait pour pouvoir récupérer de leur magie, il n'aurait pas de raison de tuer Xan. C'était exactement pour cela qu'il avait gardé Lucille. Et Xan, grâce à son pouvoir de guérison, était très utile. Je fermai les yeux, pris une grande inspiration, et menais les deux filles à l'intérieur de la forêt. Même si nous étions en plein après-midi, l'atmosphère était lugubre, les arbres aux troncs marron foncé et aux feuilles vertes abimées, le silence inquiétant... Je payais attention à tous les détails qui pourraient m'indiquer des traces de vie, si les chemins avaient été parcourus récemment, des branches coupées ou quoi que ce soit. Nous avancions dans ce mystère énorme, presque à l'aveugle, les cœurs battants. Hëna tentait de se chanter des chansons dans sa tête pour éloigner la peur, et Pandore se répétait des affirmations positives, moi, j'essayais de rester concentré.
Enfin, nous voyions une place plus dégagée, et au centre une grotte, qui attirèrent notre attention.
— Tu penses que c'est ici ? me chuchota Hëna, observant les alentours.
Comment aurais-je pu savoir ? Je hochai le visage, pour lui donner l'impression que j'étais confiant, et vérifiais qu'il n'y avait personne pour surveiller l'entrée, avant de leur expliquer :
— On va vérifier ça. Je me place à l'entrée, j'active mon pouvoir ; si je parviens à lire des pensées c'est qu'il y a quelqu'un à l'intérieur, je vous ferais signe s'il s'agit du tueur ou de nos camarades. Si l'entrée est libre et qu'il y a nos camarades, c'est mieux que je reste à faire le guet tandis que vous deux vous entrez, les libérez rapidement, et revenez avec pour qu'on parte rapidement. En espérant que c'est bien ici, sinon on continuera de chercher.
Les filles acquiescèrent, et je pris une longue inspiration. Si nous mourons, nous mourrons en héros. Pandore jouait avec ses doigts, visiblement angoissée, je posai ma main sur les siennes en murmurant :
— Ça va aller, nous sommes ensemble, tout ira bien.
Leurs regards s'accrochèrent à moi comme s'il s'agissait de la dernière fois que nous nous voyions, et je m'efforçai de rester à la surface, elles ne savaient pas mes pensées, je pouvais au moins les laisser croire que j'avais espoir. Je les laissai donc cachées derrière le buisson, atteignant l'entrée de la caverne, et me concentrant sur l'intérieur pour tenter d'écouter des voix intérieures. Au début rien ne me venait, jusqu'à ce que des voix embrouillées me parvinrent. Des pensées floues et emmêlées, incapable de deviner à qui elles appartenaient. Je n'avais jamais entendu cela, jamais autant de chaos. Puis soudain je compris qu'il s'agissait d'un kidnappé, je ne saurais dire, mais il était impossible que le meurtrier ait des songes si désespérés, lui qui était toujours calme et organisé. Je fis donc signe à Pandore et Hëna qu'elles pouvaient venir, et elles s'avancèrent prudemment, veillant à ne pas faire de bruit, d'un pas peu confiant.
Elles entrèrent, et de ce que je pouvais comprendre à ma distance, elles firent la rencontre de deux étudiants, attachés, bâillonnés. Elles furent aussi surprises, choquées, d'apercevoir au sol quelques os, incapables de définir s'ils appartenaient à des humains ou animaux. Pandore, totalement révulsée, se retint de vomir, et Hëna était bien plus concentrée sur le fait de détacher et libérer ses camarades.
Je lâchai mon attention portée sur l'intérieur pour me concentrer sur les alentours, vérifier que personne n'arrivait, car la trop forte utilisation de mon pouvoir me donnait des maux de tête. La douleur commençait déjà à marteler l'arrière de mon crâne... Libérer les prisonniers ne devait pas être facile car les filles passèrent plusieurs minutes à l'intérieur, mais lorsqu'elles sortirent, je pus enfin retrouver Xan, et l'enlaçai avec soulagement. Lucille sorti également, et nous pûmes remarquer leur difficulté à progresser, complètement traumatisés par ce qui aurait pu arriver avec le meurtrier. Mon cœur me fit mal, et j'étais en même temps surexcité à l'idée d'avoir aidé, sauvé deux personnes, mais nous ne pouvions pas nous permettre d'attendre là plus longtemps, il fallait y aller.
Soudain, des branches nous entourèrent et coincèrent nos pieds au sol, et je jetai un rapide regard à Lucille avant de comprendre à son air paniqué que ce n'était pas elle. Mais lui. Il était revenu. Et il était enragé. L'adrénaline monta rapidement, et j'eus un soudain vertige, avant de me reprendre. Il fallait nous sauver avant qu'il ait notre peau. L'homme cagoulé, entièrement caché excepté ses deux yeux, arriva avec un sourire :
— Alors, on essaie de s'échapper ?
Pandore eut le premier réflexe, et par télékinésie tenta de l'assommer avec des branches et pierres qu'il esquivait. Lucille nous libéra de la branche qui nous entourait pour ensuite l'entourer de plantes qui le tinrent au sol, sans qu'il ne puisse se libérer. Mais il utilisa le feu pour brûler ce qui le dérangeait, et Hëna répliqua en criant et en l'entourant de flammes, au sol, mais qui grimpaient rapidement vers lui. Pétrifié, j'essayai de contacter mes camarades par la pensée :
— Peu importe qu'on le blesse ou non, il faut juste lui créer une diversion suffisante pour qu'on ait le temps de s'enfuir.
Notre victime riait, comme si rien ne pouvait l'incommoder, et en capturant le pouvoir de Pandore et Hëna, il nous lançait de nombreuses branches enflammées. J'entendis Lucille hurler, au milieu d'autres cris, mais je n'eus pas le temps de réagir. Le feu près de notre attaquant grandissait, et lorsqu'il essayait de s'échapper, Lucille s'efforçait de retenir ses chevilles au sol à l'aide d'autres racines. Pandore en profita pour trouver une pierre assez lourde et lui lança dessus, ce qui l'assomma un instant. Je les incitai alors à me suivre, et nous récupérâmes le chemin de la sortie en courant. Mon cœur battait la chamade, et je me surpris à courir plus vite que je ne l'avais jamais fait. La forêt et le vent puissant ne nous aidaient pas, mais nous n'avions pas le temps de nous arrêter ne serait-ce qu'une seconde, alors nous courrions jusqu'à effondrement.
Le jour revint lorsque nous quittâmes enfin l'immense forêt et nous pûmes finalement reprendre notre souffle et prendre conscience de ce qu'il venait de se passer.
— Comment allez-vous ? tentai-je, essoufflé.
— Mieux. Merci. Je vous suis tellement reconnaissant.e ! s'exclama Xan, qui semblait être revigoré.e.
— J'aimerais... J'ai besoin d'aide, bafouilla Lucille, blanche comme du linge.
Elle montra son bras, dont un sang écarlate dégoulinait d'une blessure immense qui laissait apercevoir la chair. Je détournai le regard, et Xan s'approcha, prit son bras et y posa délicatement sa main.
— Je suis blessée aussi... bafouilla Pandore en s'avançant difficilement. Une branche m'a ouvert la jambe.
— Je m'en occupe, lui assura Xan.
Et je fus rassuré de le.a retrouver, et qu'iel puisse nous aider.
— C'est super, commençai-je. Mais on a absolument besoin de retrouver un endroit où l'on sera en sécurité. Nous devons retourner à la voiture. Xan, tu feras ça là-dedans.
Ils acquiescèrent, et nous retrouvâmes la route jusqu'à ma voiture, avant d'y entrer rapidement. Hëna, qui n'était pas ou peu blessée, s'installa à la place passager, et les trois autres derrière. Pendant que Xan aidait Lucille à guérir, celle-ci me demanda :
— Où est-ce qu'on va ?
— Déjà nous nous éloignons au plus vite, et ensuite je nous ramène chez moi, mais je peux te déposer chez toi ou quelque part si tu le souhaites.
— J'aimerais bien, oui, à la gare. Je vais rentrer chez mes parents.
Tandis que j'acquiesçais, un silence lourd de sens s'effondra sur nous. Je n'osai même pas demander si elle avait un train ou un bus qui serait disponible pour elle. Tout ce qui se ressentait à cet instant, était que je fus envahi par le traumatisme de Lucille et Xan, incapable de prononcer un mot, tout comme eux n'osaient pas en parler. Pandore murmura un merci lorsque Xan termina de la guérir, et j'hésitai longuement avant de prendre la parole :
— Hum... Je ne sais pas exactement ce qui a pu vous arriver pendant tout ce temps Mais, euh... L'école a fermé pour quelques jours, ou semaines, on ne sait pas. Par précaution.
— Oh... s'étonna Xan. J'espère que ça servira à quelque chose.
— Lucille, je repris. C'est bien si tu rentres chez tes parents du coup, mais Xan, si tu veux tu peux loger chez moi, ou retourner chez tes parents aussi... Je comprendrais que tu ne veuilles plus me voir.
— Non, tout est oublié. Ce n'est clairement plus ma priorité. Pour l'instant en tout cas.
Un sourire m'échappa, mais je comprenais bien qu'iel n'avait pas la tête à ça, après avoir été gardé.e plusieurs jours dans une grotte, et probablement exploité.e ou torturé.e. Il lui fallait du temps pour se remettre de ses émotions, et moi je lui devais des explications. Hëna se tourna vers les trois sur la banquette, et demanda :
— Comment vous vous sentez ? Vous voulez en parler ?
— C'était horrible... commença Lucille d'une voix au bord des larmes. J'étais obligée de me plier à tous ses ordres sinon il me tuait, il me faisait tellement de menaces... J'en faisais des cauchemars jours et nuits, et j'ai bien peur que ça ne soit pas prêt de me lâcher...
— J'imagine, je suis tellement désolé pour vous... Tellement désolé. Et je m'en veux de n'avoir rien fait plus tôt...
— C'est normal, tu ne pouvais pas savoir, c'était impossible... C'est déjà un miracle qu'on ait survécu.
J'esquissai une moue avant de me reconcentrer sur la route.
— En tout cas, vous êtes en sécurité maintenant, reprit Hëna, et vous n'êtes pas seuls.
— Merci, répondit Xan.
Par le rétroviseur, je jetai un coup d'œil à Pandore, qui avait le regard perdu dans le vide. Elle pensait au retour en cours, se demandait comment ça se passerait. J'arrêtais de lire ses pensées, conscient de l'intrusion que cela créait, et continuai ma route jusqu'à la gare pour y déposer Lucille.
Après lui avoir souhaité bonne route et bon rétablissement, nous retournèrent dans le véhicule, direction la maison. Dehors, le ciel prenait des teintes orangées pendant que le soleil commençait à décliner. Je finis par proposer :
— Ça vous dirait une petite soirée pizzas et boissons alcoolisées à déguster sur le toit de ma maison en observant les étoiles, ce soir ?
— Avec plaisir ! s'exclama soudain Hëna, ce qui m'arracha un sourire.
— Oui, pourquoi pas, me sourit Pandore.
Je vis que Xan hésitait, et je comprenais qu'iel souhaiterait plutôt une soirée dans le confort d'un lit.
— Xan, tu n'es pas obligé.e, si tu préfères te reposer y'a aucun souci !
— Non, à vrai dire, j'aurais bien besoin d'un bon repas et d'oublier un peu, mais je n'irai pas me coucher très tard.
La discussion continua jusqu'à ce que nous arrivâmes à destination. Nous sortions de la voiture pour rentrer à la maison, je laissais mes amis rejoindre la chambre et allai voir mes parents dans le salon :
— J'ai ramené un.e autre ami.e, ça ne vous dérange pas ? Iel avait besoin d'un autre logement...
— Ah bon ? Eh bien c'est d'accord, je ne vais pas virer tes amis maintenant de toute façon. Mais c'est vous qui faites la cuisine, plaisanta ma mère.
Je ris légèrement en répondant que ça ne me dérangeait absolument pas, et la prévins que pour le dîner nous allions seulement réchauffer des pizzas et manger sur le toit. Mon endroit favori dans cette maison, le toit, mes parents l'avaient aménagé pour satisfaire le jeune moi qui avait besoin d'espace pour rêver un peu plus grand. C'était un endroit que j'adorais partager avec ma sœur... Je laissai finalement mes parents regarder leur film et mis les pizzas au four, avant de rejoindre mes amis dans la chambre pour les prévenir.
— Qu'est-ce que j'ai faim, j'ai trop hâte, cela fait une éternité en plus que je n'ai pas mangé de pizza ! s'exclama Xan.
Je lui souris, et les deux filles exprimèrent aussi avec émotion leur gratitude, et je les laissai observer mes bibliothèques et quittai la pièce, Xan sur mes talons. Nous nous retrouvâmes donc tous les deux dans la cuisine, et je lui laissai le soin de parler en premier, respectant ses silences.
— Ça me fait bizarre... D'être ici, et que tout aille mieux... Tu sais, avant d'être agressé.e, je voulais rentrer chez mes parents, prendre du temps seul.e, loin de tout. Et je me suis retrouvé.e dans cette affaire. Et... Le pire... C'est que j'ai souhaité mourir.
— C'est compréhensible, Xan, c'est normal d'avoir envie de mettre fin à cette douleur, j'imagine...
Je vis sur son visage que c'était de ces souvenirs qui restent ancrés, qui ne nous quittent plus. Et je ne sus que faire, me sentant profondément impuissant face à son désespoir. Son regard était déchirant, ses joues étaient creusées, ses mains tremblantes...
— Mais tu ne peux même pas comprendre, continua Xan en s'asseyant sur un siège près du plan de travail. Tu peux m'écouter, lire dans mes pensées, n'importe quoi, tu ne comprendras jamais la totalité de ce que j'ai vécu.
— Mais j'arrive déjà bien à percevoir les conséquences. Tu n'es pas seul.e, Xan, et j'imagine que ça a dû être dur pour toi, c'est fini maintenant.
— Quand tu m'as balancé tout ça pendant notre dispute, quand tu m'as dit que je devais sortir de ta vie et que tu regrettais notre amitié, quand...
Iel éclata en sanglots, comme ça, au milieu de ma cuisine, le cœur débordant d'une terreur comme je n'en avais jamais rencontré... Toute sa peine, sa peur, son épuisement, s'échappaient d'ellui à travers ses larmes. Et je ne sus que faire d'autre que me précipiter pour le.a prendre dans mes bras, caller son visage contre mon torse et lui caresser les cheveux pendant que ses sanglots me brisaient le cœur.
— Je n'en peux plus, Orion, je n'en pouvais plus, c'était beaucoup trop...
— Je suis désolé, tellement désolé... Si tu savais comme je m'en veux.
Les larmes me montèrent aux yeux également, la culpabilité me poignardait, et je saignais de remords entre ses bras. Je regrettais tellement d'avoir choisi de le.a repousser. Car c'était l'origine de tout, et que sans la dispute que j'avais dû provoquer, iel serait sûrement toujours en sécurité à l'internat...
— Je suis désolé, j'ai fait ça pour te protéger.
— Me protéger de quoi ? demanda Xan, s'éloignant de moi pour essuyer ses larmes avec le revers des manches de son pull abîmé.
— Je devais te dissuader de mener l'enquête, ça te mettait en danger... Et au final je suis celui qui t'a jeté.e dans la gueule du loup...
Xan baissa le visage, et je dus me diriger vers le four, vérifier la cuisson. Les pizzas étaient prêtes.
— On pourra en reparler plus tard, si tu le souhaites...
Mon ami.e acquiesça et passa un nouveau coup sous ses yeux pour essuyer ses larmes, et je plaçai les trois pizzas dans des assiettes. Xan fit comme si de rien n'était, alors je décidais de jouer le jeu, même si je savais très bien qu'aucun d'entre nous n'était prêt de guérir.
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