Chapitre 3 - Orion


La lame brillait sous les yeux d'Orion, toujours collée à la peau blanche de son ami.e, ayant traversé le tissu qui le.a protégeait. Xan ne bougeait pas, haletant presque de peur, pendant qu'Orion tendait l'oreille. Mais il ne fut que déçu lorsqu'il n'entendit plus rien, et que sa recherche de pensées était vaine. Il recula alors de son camarade, et lui demanda de le suivre en silence, en assurant qu'il fallait absolument retourner à l'université. Xan voulut partir seul.e, mais son sens de l'orientation était trop mauvais pour se retrouver parmi ces arbres, encore moins dans cette obscurité matinale. Son cœur battait la chamade et Xan ne savait plus se situer entre l'incompréhension, la colère et la trahison. Alors iel suivit en silence Orion, une main posée sur son cou pour guérir la nouvelle plaie, et ils retournèrent bredouilles sur la route de l'internat.

— Promis, je t'explique ce qu'il s'est passé.

— Oui, lâcha Xan d'une voix tremblante. T'as intérêt à avoir une très bonne explication.

Après avoir détaillé ses expressions du visage et les pensées qui pouvaient le.a traverser, Orion sortit une cigarette, la porta à sa bouche et l'alluma en mettant une main en coupe devant, la cachant du vent. Il fixa ensuite les cheveux noirs et les yeux terrifiés de Xan, avant de soupirer un nuage de fumée noire. Ils entrèrent dans l'université pour rejoindre la cour en ayant soigneusement refermé la grille à clé.

— Je ne voulais pas te faire mal, je savais que tu pourrais le guérir.

— La peur et le manque de confiance ne se guérissent pas si facilement, Orion.

— J'ai fait ça pour notre bien. Après que tu aies été bizarre, j'ai compris que tu ne devais pas en parler. Et pourquoi ?

Il marqua une pause pour tirer sur sa cigarette, faisant croître le mystère, pendant que le regard de Xan fixait la légère flamme, cherchant à trouver un repère parmi toutes les incertitudes.

— Parce que le meurtrier n'était pas loin, se répondit-il à lui-même. Il nous surveillait. J'ai essayé de lire ses pensées, mais je n'ai rien trouvé du tout. Il m'avait bloqué l'accès, il savait, mais il tentait de découvrir les nôtres pour les retourner contre nous. Il est vraiment fort. Mais il était là.

— Tout ça pour ça ? s'exclama Xan, énervé.e.

— Parle moins fort, bon sang. Non, pas tout ça pour ça. On sait maintenant qu'il nous surveille toujours. Qu'il est encore là. Et qu'il n'est pas loin.

— Et comment peux-tu en être sûr ? Comment as-tu pu savoir ?

En réunissant ses pensées pour les exprimer de la manière la plus claire possible, Orion observait Xan qui commençait à s'affoler, tournant en rond comme un hamster dans sa cage. Il eut envie d'attraper ses épaules pour l'arrêter et le secouer pour l'aider à prendre conscience, mais n'en fit rien, se contentant de l'observer distraitement.

— J'ai simplement senti une présence, j'ai remarqué ses pensées proches de nous. Je peux le faire avec tout le monde, savoir combien de personnes nous sommes dans une pièce si nous ne sommes pas trop nombreux. Quand on est juste nous deux, c'est facile de sentir une troisième présence.

— Ok, je te crois, je pense. Et pourquoi avoir été si extrême ?

— Ah ça parce que j'avais toujours rêvé de faire ça, ricana Orion sous l'œil dégoûté de Xan. Non, plus sérieusement c'est juste que j'avais besoin d'être sûr que tu resterais silencieux.se, et je sais comment tu réagis face à la pression.

— Tu es complètement fou, Orion.

— Peut-être, mais sans ça nous serions possiblement morts ou kidnappés. Et je ne veux plus de ça. Je ne veux plus prendre le risque.

Je ne veux plus te perdre, était ce qui restait sur le bout de sa langue. Xan haussa les épaules en levant les yeux au ciel, ne semblant pas croire aux paroles d'Orion, trop blessé.e d'avoir vécu une nouvelle fois de plus une trahison, même quelques secondes seulement. Quand son ventre gargouilla, iel se dirigea direction la cantine, qui commençait à ouvrir ses portes, sans un mot à Orion qui essayait de se faire à l'idée qu'iel aurait besoin de temps. Iel pourrait comprendre aussi, j'ai fait ça pour notre bien, pensa-t-il nonchalamment en le.a regardant partir.

Plus tard, couché sur son lit, le regard fixant le plafond, Orion songea à tout ce qu'ils étaient devenus. A vingt ans, il leur était arrivé tellement de choses. Et toutes ces horreurs ne s'étaient passées qu'en l'espace de quelques mois seulement... Il ne savait plus à partir de quel moment ils avaient perdu le contrôle.

A quel moment avaient-ils cessé d'être eux-mêmes ? A l'Antiquité, les philosophes avaient fait une expérience de pensée sur cela ; le bateau de Thésée. Un bateau dont on remplaçait à plusieurs reprises les planches usées, encore et encore, pendant des siècles, pour qu'il n'ait jamais l'air ancien, pour qu'il soit toujours neuf et brillant. Mais il était modifié tant de fois qu'au final, il n'avait plus aucune de ses planches d'origine. Ainsi, le bateau était-il le même qu'au départ ? Ou était-il devenu un tout autre bateau avec le même nom ? Qu'est-ce qui faisait l'essence d'une chose ?

Orion n'en savait plus rien, il avait la sensation d'être une personne tellement différente par rapport au début d'année scolaire... Et pourtant il ne pouvait pas dire qu'il n'était plus lui – il restait Orion, dans tous les cas. Et pourtant quelque chose avait changé, bien trop de choses avaient changées

A quel moment leur existence avait-elle préféré la violence ? La mort ? C'était devenu une habitude désormais, de sortir de chez soi et se confronter directement à la peur. Même si cela faisait bien longtemps qu'il n'avait plus peur. C'était fou à quel point tout pouvait basculer rapidement. En un semestre, Orion avait perdu deux connaissances, emportées dans les ténèbres de la mort. Emportées dans les bras faibles et fins de la faucheuse. Et il n'avait rien fait pour l'en empêcher.

Il s'en voulait terriblement, même s'il faisait tous les efforts du monde pour refouler ces sentiments. Jamais il n'a su sauver quelqu'un. Que ce soit sa sœur, Amélia ou Pandore, il les avait toutes laissées mourir ou disparaître sous ses yeux, impuissant. Peut-être était-ce sa destinée, songea-t-il, de voir les autres partir pendant que lui était consacré à rester coincé ici, à les observer de loin. Il vivait dans un éternel cauchemar, qui lui rappelait sans cesse le destin tragique de chacun.

Et le pire, le pire... Etait qu'il n'ait rien pu faire, prévoir, malgré l'évolution de sa magie. Il aurait pu sentir la présence de l'assassin, protéger Pandore, mettre fin à cet enfer. Mais il ne l'avait pas fait. Et il se sentait plus inutile que jamais. Même ce à quoi il était bon, il n'était pas capable d'en faire quelque chose. Et qu'est-ce qui pourrait arriver ensuite ? Ils avaient essayé de trouver sa cachette, mais avaient failli mourir sur la route. Ils n'étaient en sécurité nulle part. Et en plus de ça, il avait perdu la confiance de Xan. Tous ses amis s'en allaient à leur tour, et arrivera son heure de se retrouver à nouveau seul.

Ils avaient pu créer une harmonie ; Xan, Pandore et Hëna... Tout allait mieux lorsqu'ils étaient tous chez lui. Ils étaient devenus une famille, des amis, et même s'ils n'avaient pas eu le temps de très bien apprendre à se connaître, cela lui avait fait du bien. Mais ce groupe éclatait en morceaux, petit à petit, tout le monde s'éloignait, sombrait dans la folie, ou souhaitait s'isoler. Et il perdait la seule chose qui lui avait fait retrouver le peu de réconfort dont il avait besoin.

Quand pourraient-ils retrouver la paix ?

Orion étira son corps pour attraper le carnet dans le tiroir de sa table de nuit. Il trouva à tâtons l'objet, avant de l'amener à lui et attraper un stylo dans son sac, posé près de son lit. Il feuilleta le papier, laissant ses yeux s'y promener, avant de s'arrêter sur la dernière page griffonnée. Son écriture était presque illisible, mais peu importe tant que lui s'y retrouvait. Il retrouva alors les premières informations qu'il avait pu noter sur le meurtrier : « Toujours masqué, visage complétement caché. Vit dans la forêt, dans une caverne/proche de l'université. Yeux verts. Très observateur. Nous surveille souvent. Peut utiliser les pouvoirs des personnes dont il est proche. ». Orion songea qu'il fallait absolument trouver plus d'informations sur sa capacité magique. Il se demanda également comment cela était possible d'avoir si peu d'informations sur quelqu'un qui les collait depuis des mois.

Frustré, il souffla longuement et se rassit. Il devait être le milieu d'après-midi, et il s'ennuyait à mourir. Tout était trop calme, le silence complet dans les chambres, et les couloirs, personne dans la cour, le seul son qu'il entendait était le vent qui faisait trembler les arbres et les volets contre les murs. Orion se dit qu'il avait besoin de bouger, se dégourdir les jambes, et il quitta sa chambre. Peut-être pourrait-il retrouver Xan ? Il pensa que le meurtrier les avait probablement lâchés depuis, et qu'ils pourraient parler en toute tranquillité de la réaction étrange qu'iel avait eue dans la forêt. Il referma alors la porte à clé derrière lui, après avoir enfilé son long manteau noir et ses chaussures, et il rejoint la salle principale où il y avait plus de monde et d'ambiance. Orion ignora la salle d'étude, certain qu'il n'y trouverait pas Xan, et passa directement dans la pièce des jeux de société, mais iel n'y était pas. Il contourna le babyfoot en bois auquel était en train de jouer un groupe de quatre garçons, attrapa une fléchette un peu plus loin et la lança en passant sur la cible accrochée au mur de manière totalement désintéressée, ce qui fit réagir Bénédicte qui ouvrit de grands yeux verts :

— Wow ! Presque dans le mille sans regarder, tu t'es entrainé combien de temps pour ça ?

— Je n'ai pas le temps de parler, je cherche Xan, répliqua-t-il.

La rousse rit un peu avant de se placer sur le chemin d'Orion, qui poussa un soupir d'exaspération. Enjouée et amusée, elle reprit :

— Je ne savais pas que tu restais ce week-end ! Pourquoi tu n'es pas rentré ? Tu ne t'ennuies pas ?

— Ce n'est pas parce que tu es la déléguée des élèves que tu dois passer un interrogatoire à chaque personne que tu croises, Bénédicte.

— En fait, on fait une petite soirée dans la chambre de Kaïs et Owen, ce soir, tu veux venir ?

Deux des étudiants qui étaient au babyfoot, populaires pour leurs soirées qui étaient, paraît-il, incroyables. Orion repoussa doucement la jeune fille en répondant :

— Non, pourquoi est-ce que tu veux toujours que je sois à tes soirées ?

— Le prends pas personnellement, Orion, j'essaie juste d'inviter un maximum de personnes.

— Eh bien ça sera sans moi.

Il n'entendit pas ce que Bénédicte marmonna dans sa barbe lorsqu'il la quitta pour aller dans la bibliothèque. Là-bas, après avoir fouillé la salle des yeux, il remarqua Xan le regard plongé dans un livre de cours. Orion se retint de soupirer de soulagement, et le.a rejoint. Il était temps de comprendre ce qu'il s'était réellement passé dans la matinée.

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