Chapitre 23 - Orion


Ramener Hëna à sa chambre fut extrêmement compliqué. Elle avait beau être légère, elle ne nous rendait pas la tâche facile, refusant de marcher, hurlant, se débattant, Kellan et moi dûment user de nos forces pour la soulever et monter les escaliers. Hëna était défigurée par la douleur, et elle ressentait si fort que malgré mes tentatives pour ne pas lire son esprit, j'entendais tout. Elle souffrait tellement, que je commençai à penser que je devais être antipathique pour ne pas avoir souffert ainsi à la mort d'Amélia.

Une fois l'avoir mise dans son lit, encore entièrement habillée et maquillée, Hëna nous supplia de ne pas la laisser. Alors Mélodie, Kellan et moi nous assîmes près de son lit, pendant qu'elle nous regardait de son regard emplit de blessures. Elle n'était toujours pas parvenue à se calmer, et les larmes dévalaient son visage torturé comme des rivières. Hëna, dans une voix tremblotante, secouée par ses sanglots, bafouilla :

— J'ai tout gâché, tout était de ma faute, je l'ai tuée.

— Mais non, Hëna, dis-je en posant délicatement ma main sur son bras. Tu n'y es pour rien, ce n'est pas de ta faute.

Elle secoua le visage rapidement, refusant qu'on lui dise quoi que ce soit, puis reprit :

— J'aurais dû mourir à sa place, ça aurait été bien plus juste.

— Hëna... Il n'y a pas de justesse dans la mort, rien n'est de ta faute, c'est juste comme ça...

— Vous ne comprenez pas, je l'ai torturée toute ma vie. J'ai tout fait pour la faire souffrir, et ce n'est que quand je l'aime qu'on lui dérobe sa vie, vous vous rendez-compte ? s'emporta-t-elle. Elle est morte quand on a commencé à s'aimer.

J'étais profondément désolé pour elle, pas besoin de lire dans les pensées pour savoir combien elle souffrait. J'aurais aimé l'aider, j'aurais aimé prendre un peu de sa peine. Car je comprenais son sentiment de culpabilité. Elles ont trop attendu pour s'aimer.

— Je l'ai admirée tant de temps. Si je n'avais pas été moi, on aurait pu vivre quelque chose bien avant de se détester. On aurait pu s'aimer. Mais j'étais jalouse, égoïste, horrible, la pire personne, et j'ai préféré ruiner sa vie et lui faire du mal plutôt que faire le bien. Qui mérite de mourir hein ? Qui aurait dû mourir ? Dites-moi sincèrement.

Le silence me brisa le cœur, et encore plus quand d'autres larmes dévalèrent ses joues.

— Même vous vous aviez fait votre choix, cracha-t-elle d'un ton accusateur en me fixant. Avec Xan, vous auriez aussi préféré que ce soit moi qui meurt, et non elle.

Nous ne savions comment réagir, de peur qu'elle interprète mal chacune de nos paroles et qu'on empire. Nous savions qu'elle n'était pas dans son état normal, et qu'elle avait besoin de s'exprimer un maximum, mais la voir ainsi était dur. Elle se radoucit après deux secondes de silence, et reprit :

— Et le pire... C'est que je le comprends...

Mélodie s'approcha d'elle et la prit dans ses bras. Elle pleurait silencieusement, elle aussi.

— Tu ne pouvais pas savoir... murmura-t-elle. Tu n'y es pour rien, tu as juste fait comme tu pouvais le faire sur le moment, et ce n'est pas grave.

— Bien sûr que si c'est grave !

Que pouvions-nous faire ? A part la regarder pleurer et compatir... Je n'ai jamais su comment réconforter quelqu'un, et je n'ai jamais connu quelqu'un avec une douleur si puissante, un amour si fort, et des regrets si intenses... Je n'avais rien à lui offrir d'autre que ma présence, une épaule pour pleurer, et quelques caresses réconfortantes.

Mes pensées dérivèrent sur Pandore, comment avait-elle pu mourir ainsi, serait-ce un coup du même meurtrier qu'Amélia, serait-il de retour ? Si c'était le cas, il fallait trouver un moyen de mettre réellement fin à cette histoire, et cela signifiait que nous ne pouvions pas compter sur notre université pour gérer ce genre de problème. Affligeant, et surtout révoltant ; nous n'avions aucune sécurité ici. Je fermai mes poings, et m'excusai avant de quitter la chambre, laissant Hëna avec ses amis.

Je devais trouver le directeur, je devais le confronter, lui crier que c'était absolument intolérable de nous laisser étudier dans un environnement si dangereux. Deux morts, deux torturés, ce qu'il m'a fait, et peut-être d'autres événements encore restés cachés. C'était inacceptable.

Je retournai alors sur les lieux de la mort et croisai au passage plusieurs étudiants visiblement choqués, terrifiés par le retour de ces menaces. Des premiers années m'empêchèrent d'avancer :

— Désolé, plus personne n'a le droit d'y aller.

— Je dois parler à M. Briggs.

— Ils sont occupés.

Le menton levé, la jeune fille me toisait. Je soupirai en fermant fermement les poings pour contenir ma colère, et appelai M. Briggs assez fort pour qu'il m'entende.

— Montrez-vous, venez faire face à la vérité.

— Laisse-les, ils doivent récolter des indices, reprit l'étudiante derrière ses lunettes.

— Quels indices ? Tout le monde sait déjà qui est le meurtrier ! lancé-je en la fusillant du regard.

Je continuai d'appeler le directeur, ignorant le regard sidéré que la jeune fille échangea avec ses amis. Quand j'essayai d'avancer, le groupe me bloqua de nouveau le passage, je m'apprêtai à repousser la fille devant moi, mais elle reprit :

— Comment ça, on sait qui c'est ?

— Le meurtrier est plusieurs fois venu ici, je saurais le reconnaître rien qu'à son regard.

— C'est quelqu'un de l'école ?

— Non, de dehors. Nous sommes sa cible.

Tout le groupe sembla si choqué que je lâchai un rire ironique, n'était-ce pas évident ? Je continuais de les ignorer en appelant de nouveau M. Briggs, jusqu'à ce qu'il se pointe devant moi, et que le groupe se décale enfin. Je fermai les bras sur mon torse, en m'avançant avec confiance :

— Trouvez-vous cela normal qu'il faille que des étudiants meurent pour que vous fassiez quelque chose pour notre sécurité ?

— Nous faisons du mieux que nous le pouvons, jeune homme, vous ne pouvez pas nous juger sur un domaine dont vous ignorez tout.

— Et vous, vous ignorez complètement le bien être de vos étudiants. Avez-vous une seule idée de comment nous nous sentons après tout ce qu'il se passe ?

— Bien sûr, acquiesça-t-il en bougeant lentement son visage. Malheureusement, on ne peut pas contrôler si des étudiants se promènent dans les couloirs alors qu'ils ne devraient pas.

— Ah... Donc c'est de sa faute ? m'indignai-je, en croisant les bras sur mon torse.

— Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. Nous sommes tout aussi désolé que vous, c'est dur pour nous également, nous essayons de faire de notre mieux, même si cela n'est jamais garanti.

Mais bien sûr. J'étais tellement en colère, je leur en voulais. Hëna avait raison ; Pandore n'aurait pas dû mourir. Tout comme Amélia. Personne ne méritait de mourir. Personne n'aurait dû mourir dans un espace censé être sécurisé, et pourtant... M. Briggs coupa court à mes pensées :

— Ce que nous faisons est pour vous aider à faire le deuil ; mettre en place des psychologues, être plus indulgents sur les notes aux examens, vous laisser le temps qu'il faudra. Je suis bien conscient que ce n'est pas facile, mais nous ne vous abandonnerons jamais à la solitude.

— Ouais, merci.

Je quittai les lieux, sous les regards surpris des étudiants qui traînaient là, j'entendis le directeur nous conseiller de retourner dans nos chambres. Je voulus lever les yeux au ciel et crier un grand coup tellement tout ceci était ridicule. Personne ne se rendait compte de l'urgence de la situation. D'un instant à l'autre nous pourrions tous mourir. Mais cela ne comptait pas.

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