Chapitre 19 - Xan
Tout était devenu bizarre. Pandore et Hëna n'avaient aucune idée à quel point elles contribuaient à l'ambiance de la classe, rien que quand les professeurs posaient une question ; si elles ne répondaient pas, personne ne le faisait. Si elles voulaient rester discrètes sur leur relation, ou plutôt leur non-relation, ou leur rupture, c'était peine perdue. Les rumeurs ne parlaient que d'elles. Mais j'avais plutôt l'impression qu'elles n'en avait rien à faire, elles étaient rentrées dans une bulle où rien ne pouvait les toucher ; elles étaient centrées sur leur propre douleur à tel point que ça les avait rendues aveugles. Pas besoin de savoir lire dans les pensées pour le comprendre. Même si Orion me tenait au courant de ce qu'il apprenait.
Moi en tout cas, ça allait mieux, ma saison préférée était arrivée, et ressortir les gros pulls en laine me faisait très plaisir. Boire des chocolats chauds au coin du feu également. Orion s'amusait de ma passion pour cette boisson, mais me faisait le plaisir de me surprendre avec lors des premiers cours le matin. Il disait que ça me faisait taire de boire et qu'alors c'était mieux ainsi. Il refusait mes remerciements. J'ai fini par abandonner et profiter de mes chocolats journaliers.
Des affiches sur le bal de l'hiver commencèrent à s'imposer sur tous les murs. Un bal masqué, tenue élégante exigée, décorations hivernales promises, et une ambiance incroyable y serait. Je n'aimais pas les fêtes, Orion non plus, mais il voulait qu'on tente notre chance malgré tout. Histoire au moins de s'amuser un peu, et au pire nous pourrions rester dehors. J'avais fini par accepter en disant que de toute façon je n'avais rien d'autre à faire. A part réviser, mais cela commençait à me fatiguer. De toute façon, nous avions encore quatre jours avant la date indiquée pour le bal : samedi.
Orion et moi discutions dans le couloir à la fin de notre dernier cours, il n'y avait presque personne, jusqu'à ce qu'un professeur visiblement pressé arrive face à nous et nous demande avec un air inquiet :
— Avez-vous vu Pandore ?
— Elle était en cours avec nous juste avant, répondit Orion calmement.
L'enseignant, je ne savais plus quelle était sa matière, je ne l'avais pas en tout cas, fronça les sourcils, et insista :
— Elle devrait être au théâtre, elle n'y est pas, contrairement aux autres étudiants de votre classe. Avez-vous une idée d'où elle pourrait être ?
Bizarre, ce n'était pas le genre de Pandore de sécher les cours, surtout quand elle jouait le personnage principal et qu'elle avait autant l'occasion de briller. Je haussai les épaules, et Orion déclara que nous l'aiderions à la retrouver. Nous cherchâmes alors dans les salles alentours, nous allâmes d'abord dans les toilettes des filles, ouvrant chaque porte pour espérer l'y trouver ; à part des graffitis, il n'y avait rien. Nous fouillâmes la bibliothèque, mais aucun signe de Pandore, elle n'était nulle part.
— Elle est peut-être rentrée chez elle ? proposai-je.
— Allez voir, moi je dois aller donner mon cours, dites-lui qu'elle risque de perdre son rôle si elle ne vient pas.
J'ouvris de grands yeux, surpris de la dureté de sa punition. Mais nous acquiesçâmes et rejoignîmes l'internat en trottinant.
— Je ne connais pas son numéro de chambre...
— Je crois que c'est au deuxième étage, évidemment dans le couloir des filles, mais après je n'en sais rien...
— Il va falloir essayer toutes les portes.
J'étais déjà fatigué.e par cette idée. Heureusement, il n'était que dix-huit heures, la plupart des étudiants rentraient après le dîner, donc il n'y aurait personne ou peu de gens dans les pièces. Alors Orion et moi nous amusâmes à frapper à toutes les portes, jusqu'à ce que nous entendîmes murmurer un « Non, n'ouvre pas... ».
Je jetai un regard étonné à Orion. Il me dit qu'il fallait tenter de leur parler. Il prit alors ma place, et frappa à nouveau, avant de coller son oreille à la porte et dit :
— Pandore, tu es ici ?
Un silence se fit, puis la porte s'ouvrit légèrement, faisant perdre l'équilibre à Orion qui s'appuya sur l'encadrement de celle-ci. Nous voyions un bout de la tête de Pandore et son œil :
— Qu'est-ce que vous me voulez ?
— Tu es en retard à ton cours de théâtre, ton professeur te cherche, répondit Orion.
— Ce n'est pas important, tant pis, dit-elle en refermant la porte.
Elle n'eut pas le temps de la fermer complètement qu'Orion plaça sa main pour l'en empêcher, il ajouta :
— Il nous a dit de te dire que tu risques de perdre ton rôle.
Elle sembla plus intéressée, ce qui manqua de me voler un sourire.
— Je ne peux pas y aller, Orion, tu ne comprends pas...
— Si je comprends, je sais ce que tu ressens. Mais il faut que tu passes à autre chose.
— Ouais... Mais je suis tellement en colère.
— Je sais.
J'observais les traits d'Orion se modifier selon son empathie, et je me dis que son pouvoir devait être un poids assez lourd à porter... Pandore, elle, ouvrit la porte un peu plus grand et passa rapidement ses mains sous ses yeux.
— Mais tu peux le faire, Pandore, reprit-il. Tu es une femme forte, indépendante, séduisante, intelligente, tu peux réussir à tout surmonter. On sait tous que tu peux y arriver, que tu peux aller au-delà de la douleur, en faire une force. Moi je le sais. Je t'ai vue faire preuve de force, mais aussi de vulnérabilité, et ta capacité à jouer avec les deux est admirable, alors tu peux transformer cette peine. Tu peux faire avec pour devenir encore meilleure.
Elle esquissa un timide sourire ému, et jeta un regard derrière elle. J'aperçus son amie Liv qui opina du visage, et Pandore, lentement, se remit droite, et s'étira. Après avoir fermé les yeux quelques secondes et avoir glissé encore une fois sa manche sur ses joues, elle acquiesça.
— Tu as raison, je vais essayer d'aller vraiment mieux.
Orion et moi fîmes un sourire fier, comme si elle était notre enfant.
— Mais je ne vous promets rien.
Nous acquiesçâmes, conscients que ce n'était pas chose facile. Elle nous suivit alors, et nous marchâmes en silence à travers les couloirs, puis la fraicheur de l'extérieur, le vent froid qui faisait danser les arbres. Je regardai Pandore, et je pensais à moi également, quand j'ai voulu mourir. Elle était toujours si confiante, si fière, et la voilà comme abattue par la vie... Cela me donnait le vertige de penser à quel point nous pouvions changer rapidement. Tout se passait si vite, nous changions trop...
Après avoir ramené Pandore à son cours, le professeur nous proposa de rester dans le public pour observer la leçon, ce qui intéressa Orion, alors j'acceptai de lui prêter compagnie. Une fois assis confortablement dans les sièges rouges, face à la scène, Orion me murmura :
— Je me suis beaucoup attaché à elle, comme si elle était ma sœur...
— Je comprends, la voir en dehors des cours ça aide, aussi.
— Oui, exactement, j'ai l'impression de mieux la connaître, et la voir vivre des moments plus normaux, vulnérables... Ça la rend plus humaine.
J'acquiesçai, mais ne dis plus rien. J'avais plusieurs fois envié Pandore, comme beaucoup j'imagine. Elle et Hëna étaient un peu les reines de l'université, elles étaient la limite que tous essayaient d'atteindre. Mais cette jalousie s'est dissipée à l'instant où j'ai compris qu'elle était comme moi, comme nous. Et qu'il lui arrivait aussi d'être perdue.
— Tu sais, j'ai rarement eu de vrais amis, me dit Orion.
— Et qu'est-ce que ça te fait... de nous avoir ?
Son regard était figé sur les élèves sur scène, qui parlaient sans qu'on leur prête attention, il les regardait mais je voyais bien que son esprit était ailleurs. Il sembla revenir à la réalité en se tournant vers moi, les yeux brillants.
— L'amitié, c'est vraiment quelque chose de particulier. Je pensais ne jamais connaître cela, et je ne sais même pas si je suis assez proche de Pandore pour qu'on se considère vraiment comme des amis. On s'est trouvés au moment où on en avait le plus besoin. Tout s'obscurcissait autour de nous, on ne savait plus qui on était, qui on voulait être, et notre amitié s'est mise à briller comme une étoile dans une nuit nuageuse. Et on s'est entraidés. Et je serai là pour vous aider si vous avez besoin de moi.
— Je me demande vraiment ce que j'aurais pu devenir sans vous... sans toi, surtout. La solitude ne m'avait jamais dérangé.e.
Il acquiesçait comme s'il me comprenait plus que n'importe qui.
— Mais t'avoir à mes côtés m'a beaucoup rassuré.e, continuai-je.
— Moi aussi. On a eu de la chance.
Son sourire était sincère, et j'étais reconnaissant.e. J'avais l'impression qu'en m'étant lié.e à lui, mon existence avait un peu plus de sens.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top