La semaine avait été longue, Pandore avait attendu les résultats des auditions avec impatience. Si elle avait été plus ou moins satisfaite de sa prestation, elle s'était bien rendu compte que les autres prétendants avaient eux aussi du talent. Elle ne pouvait cependant pas se permettre d'avoir un rôle invisible ; jouer un personnage important dans la grande pièce de l'université apportait une somme de points non négligeable pour intégrer les grandes écoles dont elle rêvait.

Pandore avait prévu de passer du temps ce weekend à travailler des exposés et devoirs à rendre, mais Liv avait insisté et lui avait fait promettre de venir à la soirée de samedi si elle obtenait le rôle principal :

- Tu seras la reine de la fête, et tout le monde voudra te féliciter, tu ne peux pas te cacher derrière ton bureau lors d'un événement comme ça, avait-elle dit.

La répartition des rôles était annoncée à dix-sept heure ce samedi, c'est pour cela qu'il y avait un grand nombre d'étudiants qui était resté à l'internat plutôt que retourner chez leur famille. Une petite foule commençait à se former cinq minute avant l'heure, et Pandore discutait avec Liv et une autre camarade, Clara, qui espérait avoir un bon rôle.

- Je suis trop heureuse que la pièce soit le fruit des productions du club d'écriture, c'est hyper original, tu ne trouves pas ? s'exclama Clara, en sautillant et faisant virevolter sa chevelure blonde.

- Si, c'est vraiment une bonne idée, je préfère ça aux anciens textes, ça fait plus actuel, répondit Liv.

- T'as jeté un œil au script ? demanda Clara à Pandore.

- Oui, ça a l'air amusant, tragique, reste à voir comment sera la mise en scène, et les chorégraphies.

Ses amies acquiescèrent, et Pandore continua de triturer ses ongles, impatiente et angoissant à l'approche des résultats. L'année précédente, elle n'avait pas eu le rôle principal, impossible à obtenir pour les premiers années, mais elle n'avait pas non plus eu un rôle important, et ça lui allait, sa mère aussi lui avait assuré que c'était super et qu'elle avait bien joué, mais Pandore ressentait toujours le besoin de se surpasser, de montrer plus, de prouver qu'elle a les capacités à faire bien plus que le strict minimum. Alors elle avait redoublé d'efforts pour tout faire pour obtenir le rôle de ses rêves.

Et surtout, elle voulait se venger de tous ceux qui ne croyaient pas en elle, ou essayaient de la rabaisser.

- Bien le bonjour à tous, fit la voix forte du directeur, imposant le silence dans le public.

Il se tenait fièrement devant l'assemblée désormais silencieuse, son regard traversait chacun des élèves, la tension était palpable. Et depuis les événements tragiques qui pesaient lourdement sur l'école, c'était la première fois que M. Briggs reprenait la parole devant un bon nombre d'entre nous.

- Mes chers élèves, enseignants et membres du personnel qui êtes présents, je tiens tout d'abord à vous remercier de votre présence malgré cette période difficile. J'ai conscience que nous sommes tous secoués par la perte de nos camarades, mais nous travaillons tous pour améliorer la sécurité et la justice, et trouver qui est responsable de ces crimes.

Il fit une pause en laissant ses mots résonner dans l'air, et fit un sourire, pendant que Pandore leva les yeux au ciel et échangea un regard avec Liv. Tous les regards étaient rivés sur cet homme en costume gris, attendant la suite du discours.

- Malgré ces circonstances douloureuses, nous continuons d'avancer main dans la main et de nous soutenir, notre école ne doit pas cesser de briller. C'est pourquoi aujourd'hui, c'est avec joie que je vous annonce les résultats des auditions pour la comédie musicale de l'année. Les jurys en ont grandement discuté et nous avons pu voir le talent d'un grand nombre d'entre vous, et je tiens à féliciter tous les élèves qui ont eu le courage de se présenter.

La tension semblait se dissiper légèrement et des sourires s'étalèrent sur les visages de certains étudiants. Pandore était impatiente.

- Merci également au club d'écriture qui nous a gentiment fait part de leur superbe manuscrit, qui nous permet ainsi de composer la pièce. Je vais désormais procéder à l'annonce des personnes sélectionnées pour les rôles. Pour le rôle principal, celui qui incarnera la force et le courage, mais aussi la fragilité des émotions, j'ai le plaisir d'annoncer que celle qui a été choisie est... Pandore Everdritch !

Des applaudissements retentirent, et Pandore fut prise de vertige tant elle était heureuse. Liv lui sauta dessus et la noya sous des câlins, s'exclamant :

- Bravo ! Je suis trop fière de toi, tu vas être incroyable dans ce rôle !

- Merci !

Plusieurs étudiants se retournèrent et lui offrirent un sourire radieux. Pandore débordait de joie, et sentait son cœur s'emballer. Elle avait réussi. Elle avait obtenu exactement ce qu'elle voulait. Elle était imbattable. Ses pensées étaient trop fortes pour qu'elle puisse entendre ou comprendre la suite du discours du directeur. Pandore comprit que Clara avait aussi obtenu un rôle lorsque son visage s'illumina d'un large sourire.

A travers la foule, c'est le regard assassin d'Hëna qui se détachait. Ses yeux sombres semblaient vouloir l'égorger, et Pandore en profita pour lui décocher son meilleur sourire.

- Ignore-la, conseilla Liv à voix basse qui avait compris l'échange silencieux qui venait de se produire.

- Elle va me tuer.

- Elle va rien faire, tu mérites ce rôle, et elle n'aura qu'à ravaler sa colère.

Pandore acquiesça, en tentant de se reconcentrer sur les paroles du locuteur.

- Tous les rôles ont leur place dans la pièce, chacun est nécessaire pour avancer, alors un grand merci à tous ceux qui participent. Nous allons montrer que la créativité et le soutien peuvent triompher même lors des moments les plus sombres. Les cours de théâtre, chant, et danse pour tous les participants seront le mardi de dix-huit heures à vingt heure, nous comptons sur votre présence. Merci à tous, nous vous tiendrons évidemment au courant des dates de représentation.

Un tonnerre d'applaudissements se fit entendre parmi les étudiants, Pandore croisa son regard avec celui de son professeur de théâtre, et elle le rejoignit :

- Bonsoir Monsieur Hawtorne.

- Bonsoir, Pandore, félicitations.

L'étudiante le remercia d'un hochement de tête, et répondit :

- J'ai hâte de commencer à jouer.

- Bientôt. J'ai hâte de commencer aussi, de voir ce que votre talent nous réserve encore une fois. Ta prestation lors des auditions était remarquable.

- Merci beaucoup, je ferai de mon mieux pour ne pas vous décevoir.

- Tant mieux, sourit-il. Tu nous feras un discours ce soir ?

- Si c'est ce qu'on attend de moi...

Son regard brun plongé dans celui de Pandore, l'enseignant ne répondit que « La tradition. », et laissa son élève, pour discuter avec d'autres professeurs. Liv arriva peu de temps après, en soupirant :

- Quand je le vois, je regrette de ne pas avoir pris théâtre...

- Dommage pour toi, plaisanta Pandore avec un petit rire.

- Mhh... Allez viens on va se préparer pour ce soir !

En un instant, les heures passèrent, et Pandore se retrouva face au buffet de la soirée, à grignoter des croque-monsieur miniatures et à vérifier cent fois que son rouge à lèvres n'ait pas dépassé. Des étudiants qu'elle ne connaissait que de vue venaient la féliciter pour la pièce, d'autres lui décrochaient des regards jaloux que Pandore ignorait. La nuit commençait à tomber, mais elle apportait un peu de légèreté et de douceur, et plusieurs lumières extérieures éclairaient la place. De la musique d'ambiance faisait également danser quelques élèves, d'autres étaient plus discrets et bougeaient la tête, Liv, elle, chantait les paroles super fort.

Pandore remarqua Orion, un verre à la main, un air désintéressé collé au visage. Elle sut qu'elle n'obtiendrait aucune information si elle venait lui parler, mais elle se demandait pourquoi il était venu. Elle avait bien remarqué l'absence surprenante de Xan suite à leur amitié soudaine, et se demanda s'il était lié à cette histoire. Soudain, Pandore se sentit envahie de trop de mystère qui la frustra, tous ces manques, ces incompréhensions, tous ces questionnements, et aucune réponse. Elle devait penser à autre chose, et elle se dit qu'elle devrait essayer de discuter avec les autres pour se changer les idées.

Mais Hëna arriva, et l'empêcha d'avancer en se plaçant devant elle, assez proche pour que Pandore n'ose plus bouger. Pandore essaya de ne pas baisser les yeux sur sa robe noire et près du corps, sur son rouge à lèvres discret, en vain. Un sourire maléfique et victorieux s'étala sur le visage de sa rivale, et Hëna prit la parole :

- Voilà la diva, bravo pour le rôle, c'est juste dommage de savoir qu'il aurait été bien meilleur entre mes mains.

- Oh, merci, c'est sûr que tu dois être bien déçue... Tant de travail et pourtant c'est moi qu'ils ont choisie.

- Quelle erreur, ils doivent avoir des goûts étranges pour te laisser toi, qui ne sauras que réciter bêtement tes répliques, incarner le rôle le plus important.

La main d'Hëna saisit le poignet de Pandore qui s'en défit rapidement, ne se laissant pas déstabiliser. Elle s'éloigna du buffet pour aller sous les arches, et répliqua à Hëna qui la suivait :

- Tu n'as pas à être si amère, tu n'as simplement pas été à la hauteur, assume-le.

- Pas à la hauteur ? Tu rêves juste d'être au centre de l'attention et tu ferais n'importe quoi pour ça, moi au moins je reste moi-même et ne fais pas semblant d'être meilleure.

- Ah ouais ? Dur de te croire quand on te voit, pourtant. Tu as tellement l'air de tout donner pour paraître intelligente et supérieure.

Pandore croisa les bras sur sa poitrine, attendant une réponse de la part de sa rivale qui la dévisageait, celle-ci grimaça et répliqua :

- Au moins ce ne sera pas moi qui gâchera la pièce. Tout repose sur toi.

Pandore leva les yeux au ciel, souhaitant mettre fin à la discussion, mais Hëna s'avança de manière provocante, et plongea son regard dans celui de sa concurrente :

- Tu ne sais déjà plus quoi répondre ? On voit vite qui méritait vraiment le rôle.

- Ah car tu penses que tu aurais pu rendre le personnage plus... Vivant ? Rends-toi à l'évidence, Hëna, tu n'as aucune chance.

- Plus vivant, plus humain, plus passionné... lança Hëna d'un air de défiance.

Avec un sourire cynique, Pandore avança son visage à quelques centimètres de celui de sa rivale, et la coupa :

- Passionné ? Intéressant que tu penses que tu es capable d'incarner la passion... A moins que ce ne soit la passion que tu me dévoues.

- Oh, ne te fais pas d'illusions, Pandore, répliqua Hëna en replaçant une mèche de ses cheveux rouges derrière son oreille. La seule passion que j'ai pour toi est celle de te voir tomber de ton soi-disant piédestal.

- Tu ne peux pas nier cette obsession que tu as pour moi, Hëna, murmura la brune. Je possède tout ce dont tu rêves, et le seul but de ta misérable vie est de me dépasser, et c'est pour cela que tu essaies tant de gâcher la mienne.

Hëna sembla troublée, ce qui n'apporta que victoire à Pandore, qui caressa la joue de son interlocutrice, et chuchota :

- Tu ne peux éviter ce désir, cette envie de ressentir le frisson que mon contact te procure, même juste quelques secondes.

- Tu peux toujours rêver, Pandore, le seul désir qui m'anime est d'éclipser tes instants de lumière, tu penses pouvoir briller un peu, mais ce ne sera qu'illusoire.

- Ah bon, et tu ne désires pas mes lèvres sur les tiennes ? Comme l'autre jour dans le placard ?

- Oh je t'en prie, Pandore, continue à fantasmer, c'est mignon de te voir t'imaginer des scènes qui n'arriveront jamais.

Pandore souriait, et voir Hëna être déstabilisée de cette manière était vraiment plaisant, Hëna capitula et recula, lançant :

- Je ne te laisserai pas me détruire, je serai celle qui te fera tout rater.

- Tu as déjà essayé sans réussir... Et... Je ne veux pas seulement te détruire, promis, j'ai seulement l'intention de te briser, pour te reconstruire comme je le souhaite.

- Pense ce que tu veux. Mais je ne serai pas ton jouet.

- Crois-moi, Hëna, tu seras bien plus que cela.

Le désir et le défi se mélangeaient de manière presque insoutenable, Pandore ne se reconnaissait plus, mais elle était déterminée à appliquer à la lettre ce qu'elle venait de lui dire. Elle regarda Hëna s'en aller encore plus enragée qu'elle était arrivée, et se dit qu'elle ferait mieux de partir quand Liv arriva devant elle, surexcitée :

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- Elle est venue m'embêter, donc je l'ai remise à sa place, elle est jalouse.

- Je vois. Bien sûr qu'elle est jalouse, regarde comme t'es incroyable.

- T'est trop mignonne, merci... Je pense aller dormir.

- Déjà ? Mais tu n'as même pas fait de...

Liv fut coupée par le micro qui grésilla et les enceintes qui firent un son de larsen. Tous les élèves présents se retournèrent vers l'origine du son en se plaignant. Hëna. Hëna était placée sur la scène pour les discours, souriant de manière taquine. Elle prit alors la parole avec empressement :

- Excusez-moi sincèrement pour le son vraiment très désagréable. J'ai quelque chose à vous dire, attendez avant de venir me tirer hors de la scène ! C'est à propos de la reine de la soirée, Pandore Everdritch, oh regardez-la comme elle est belle.

Sur ce, elle montra du doigt la concernée, et tous les visages se tournèrent vers elle, Hëna affichait un air sympathique, mais Pandore savait que ses intentions n'étaient pas si jolies, une angoisse discrète montait dans son ventre.

- Ok, ok, on a compris. Miss parfaite a obtenu le premier rôle, miss parfaite a de merveilleuses notes et est une élève remarquable, très bien, on peut l'applaudir !

Tout le monde écouta Hëna, et Pandore fronça les sourcils, cherchant à comprendre où voulait en venir sa rivale. Liv murmura un « Mais qu'est-ce qu'elle fait ? », et son amie haussa les épaules.

- C'est bon, stop, lança Hëna pour faire taire les applaudissements. Enfin ça c'est ce qu'on pense, l'image qu'elle renvoie, ce qu'elle veut nous montrer à tous, à nous, aux professeurs, à sa mère.

Cette fois, le regard d'Hëna ne visitait plus le public entier, il était plongé dans celui de Pandore, et était déterminé et méchant. Pandore perdit le rythme régulier de sa respiration, et ravala sa salive, tentant de se reprendre et se donner bonne allure.

- En réalité, notre princesse n'est pas si parfaite, hein ? J'imagine que vous ignoriez tous cela : Pandore, au beau milieu de la nuit, frappant à ma porte discrètement. Pandore, les yeux emplis de larmes, le mascara ayant coulé et sa chevelure toute emmêlée. Pandore, après des heures passées sur sa dissertation, n'y arrivait plus. Dure, la nuit, dur de faire son devoir la veille pour le lendemain quand on a déjà deux examens à réviser.

Son regard était sombre, figé sur Pandore, cherchant à l'humilier, la ridiculiser, et la réduire au néant. L'heure de gloire de la jeune fille n'aurait pas duré longtemps.

- Enfin voilà, Pandore est venue à ma chambre, l'année dernière, pour me supplier de l'aider, de lui donner mes arguments, mes réponses, et par bonté j'ai accepté. Pandore a triché, copié ma dissertation, et m'a offert sa plus grande vulnérabilité ; et aujourd'hui je vous révèle cela. La petite princesse parfaite, que vous jalousez tous, ne l'es pas autant que vous le pensez. Elle triche, ment, et profite des autres.

Hëna termina son monologue sur un sourire généreux qu'elle offrait à Pandore, qui, les bras ballants, désespérait, pleine de honte. Elle sentait les regards posés sur elle et entendait les murmures, les jugements, mais surtout, elle savait que des professeurs étaient présents, et ne pardonnaient pas la tricherie. Liv lui prit la main et lui dit :

- Tu aurais pu me demander mon aide à moi... Plutôt qu'elle.

- Liv... Tu sais bien que...

Pandore ne termina pas sa phrase, elle ne pouvait pas se permettre de perdre sa meilleure amie après un moment comme ça, elle se reprit :

- J'ai été bête, je lui ai fait confiance alors que je n'aurais jamais dû le faire. Je ne pouvais pas me permettre de rendre un travail en retard ou bâclé...

- Ce n'est pas grave, ça arrive, même aux meilleurs...

- Peut-être, mais je ne peux pas me permettre de tricher ou de laisser ça se savoir, je vise bien plus haut comme études que cette université, déjà qu'ils sont très stricts là, si j'ai la moindre mention de tricherie sur mon dossier, je n'ai aucune chance !

Liv fit une moue et prit son amie dans ses bras, après l'avoir étreinte, Pandore essuya une larme qui menaçait de couler de son œil, et prit la direction de sa chambre, impatiente de retrouver le calme et la paix. Sur son chemin, M. Hawtorne l'arrêta en attrapant son bras et lui murmura :

- Ce n'est rien, juste une rumeur, nie-le. C'était il y a longtemps, de plus. Alors, tu n'as rien fait, il n'y a aucune preuve, elle l'a juste inventé par jalousie.

Les yeux embués, Pandore dévisagea son enseignant puis hocha le visage. Celui-ci lâcha son bras et l'observa quitter les lieux. Pandore se demanda pourquoi il lui avait dit ça, par simple gentillesse ? Elle restait cependant reconnaissante, et laissa tout le monde continuer la soirée pour retrouver le confort de sa chambre.