Dohän se lève et rejoint le centre du parquet. Pendant ce temps-là, Delly accueil des danseurs afin de nous accompagner. Nous jaugeant toujours de son air hautain, Dohän nous tourne le dos pour faire face au miroir.

– Je vous préviens, je ne vais pas prendre de gants. Si une ou plusieurs d'entre-vous n'arrivez pas à suivre, je n'arrêterai pas ma chorégraphie pour vos beaux yeux. Je ne suis pas là pour ça, dit-il en fixant Delly durant cette dernière phrase.

À les observer tous les deux, j'ai la sensation qu'il y a de l'eau dans le gaz. Serait-ce à cause de moi ? Je n'ai pas la prétention d'y croire, mais les yeux noirs de Delly sur moi suite aux paroles de Dohän me donnent à réfléchir.

Je reporte mon attention sur ce dernier, prête à suivre ce cours avec application et sérieux. Je sais que je serais la première recalée si je fais un pas de travers, j'ai donc un poids plus important que les autres danseuses à supporter.

– J'ai décidé que nous allons débuter la matinée avec un tango, annonce Dohän, en nous lorgnant dans le miroir.

C'est bien, mais toutes les filles ont un danseur sauf moi ! Je suis déjà dans la panade alors que le cours n'a même pas commencé.

– Riva ! lance-t-il soudainement, me faisant sursauter sur place. Viens par ici.

Oh non, ce n'est pas vrai. Il ne pouvait pas m'arriver pire que ça !

Fébrile, j'avance vers lui, passant devant tout le monde sous des regards plus ou moins médisants. Je n'imagine pas celui de Delly...

Quand j'arrive à sa hauteur, il n'a aucune expression sur son visage et bizarrement, cela me rassure. Ça donnera moins de crédit aux autres de m'assassiner des yeux pour rien.

– Je ferais les gestes pas à pas, mais sans interruption. Compris ? Dans un premier temps, je vais vous montrer la danse dans son intégralité. Soyez attentives, vos danseurs connaissent déjà leurs pas.

Des voix acquiescent dans notre dos tandis qu'un petit rictus s'affiche sur des lèvres. Il jubile, mais il tente de ne pas le montrer. Moi, je stress, mais je n'arrive pas à le cacher. Mes jambes tremblent beaucoup trop.

– Respire un bon coup, chuchote mon partenaire en m'admirant dans le miroir, tu as déjà dansé du tango ?

– Oui, confirmé-je, rassurée par son ton calme.

– Alors suis-moi, et fais-moi confiance. Saisis ta chance.

Alors que je me positionne à ses côtés, il me tend la main en un mouvement fluide et élégant, et prend une pose droite et imposante avant que Delly ne lance la musique.

Jamais je ne me suis sentie aussi vivante dans une danse, même sans connaître les pas. Il me fait bouger, tourner et virevolter tel le danseur qu'il est, chevronné et raffiné. À ses côtés, j'ai déjà l'impression de connaître la danse par cœur, comme si nous nous étions entraînés des heures durant ensemble.

Cette danse est à l'image de ce qu'est Dohän : viril et sensuelle.

C'est comme s'il improvisait. Il me guide, son buste collé au mien, laissant aller naturellement mon poids dans la marche, sans chercher à deviner les pas qu'il souhaite effectuer. Cette danse est en tout point un langage de communication corporel.

Quant à son regard, il est rivé au mien, sérieux, mais puissant, comme s'il fouillait au plus profond de mon âme.

La musique arrivant à son terme, j'en avais presque oublié ce qui nous entourait. Nous restons tous les deux-là quelques secondes, à se jauger, avant qu'il ne desserre son étreinte.

– Bien ! J'espère que vous avez retenu l'essentiel. Vos danseurs vous aideront pour le reste. Vous avez trente minutes pour vous entraîner.

Avant de s'éloigner, il me jette un bref regard et un léger sourire se dessine sur son visage fin, tandis qu'il remet en place une mèche tombant devant ses yeux.

– Je savais que je devais miser sur toi, dit-il en passant prêt de moi.

Même si j'ai eu l'honneur de danser avec lui, de sentir son corps contre le mien, son souffle contre ma peau, ses mains dans les miennes ou enlaçant ma taille, le simple fait que son épaule me frôle en me croisant me donne des frissons.

***