44-Lui

Les mots sont faibles, mais je me sens frustré et vexé. Je ne sais pas quelle mouche l'a piqué depuis hier soir, peut-être la tsé-tsé pour être de si mauvais poil.

Quoiqu'il en soit, je préfère fuir cette conversation devenue saugrenue à mon goût. Je comptais rattraper la soirée d'hier, mais Riva en a décidé autrement. C'est dommage, je tenais réellement à faire les choses comme il se devait pour elle.

- Dohän ! s'époumone une voix de femme dans mon dos, le bruit de ses pas foulant l'asphalte reflétant la panique de sa voix.

Ses bras m'emprisonnent et me stoppent dans ma cavale. Le quiproquo de la veille prend des proportions démesurées et incontrôlable à tel point que ça me décourage dans ma quête de rapprochement.

- Dohän, écoute-moi.

Peu habitué à me faire rejeter aussi vertement, je reste de marbre et attends la suite, non-content d'avoir été poursuivi.

- Je ne voulais pas te froisser, mes mots ont dépassé mes pensées. En général, il faut éviter de me parler dès le matin, je pourrais dire des mots sans avoir réfléchi au préalable.

- C'est fâcheux.

- Je vais te répondre avec sincérité à ta question.

Intrigué, je me retourne vers elle. Me tenant à présent le poignet, elle ne me lâche plus.

- J'ai peur quand une relation est sur le point de se concrétiser.

- De quoi parles-tu, Riva ?

Feignant d'être ignorant, je n'en reste pas moins affable.

- De mes peurs. Jusqu'ici, je ne voulais pas mélanger notre vie professionnelle à une possible vie privée.

- C'est donc ça ! Tu décides enfin de me parler sans tourner autour du pot ?

- Je peux en dire autant sur toi !

Son sourire narquois m'amuse, nos conversations sont toujours aussi déroutantes, c'est un cercle sans fin.

- Revenons à nos moutons, tu veux ?

Ayant repris mon sérieux, Riva en fait de même et fuit mon regard. Ni elle ni moi sommes doué pour dire ce que l'on pense, ceci complexifie nos échanges.

- Je ne veux pas que tu me vouvoies. Je ne veux pas que tu me tournes le dos, même si je suis grossière avec toi, énumère-t-elle en accrochant de nouveau ses yeux aux miens, je veux que tu me tiennes tête et que tu restes auprès de moi.

Ça alors, Riva à beaucoup plus d'audace que moi. J'en suis stupéfait !

- Je veux être avec toi comme nous sommes ensemble lorsque nous dansons. C'est compliqué pour moi d'exprimer mes émotions et mes sentiments, mais je ne tiens pas à perdre ce que je cherchais en vain jusqu'à aujourd'hui.

- Tu parles d'une place privilégiée aux côtés d'un danseur d'exception ?

- Non ! Pouffe ma partenaire prise au dépourvu. Tu ne changeras donc jamais, n'est-ce pas ?

- C'est comme ça qu'on m'apprécie, tu le sais.

- Ben voyons ! Tu essayes d'esquiver le sujet sérieux que j'aborde, c'est ça ?

- Riva, soupiré-je pris sur le fait, comment peux-tu en savoir autant sur moi ?

- Détrompe-toi, je ne connais pas tout en ce qui te concerne. C'est bien ça qui me chiffonne.

- On a tout le temps pour rattraper cette omission, Riva.

- Alors tu n'es plus fâché ?

- Mmh, je n'en sais trop rien. Tu n'as pas déjà fini de me déclarer ta flamme, j'espère ?

- La ferme ! S'écrit cette dernière en me donnant son légendaire coup de poing dans l'épaule.

- Retente ta chance, je n'ai rien senti.

- Aurais-tu des tendances sadiques, Dohän ?

- Seulement avec toi, Riva.

Dans ma tête, tout se chamboule, je ne sais même plus quel statut j'ai à ses yeux. Cette discussion m'a totalement perdu, bien que j'ai compris qu'elle ne me voyait plus comme son employeur ainsi que son danseur.

- Dis-moi, Riva, qu'attends-tu au jour d'aujourd'hui ?

Cette question la prend de court, mais j'ai besoin de savoir. Je ne tiens pas à comprendre de travers ces propos et à me manger une porte en pleine figure. Alors je préfère protéger mes arrières.

- Honnêtement ?

J'acquiesce en attendant la suite.

- J'aimerais que nous soyons un couple, tout court.

Mes oreilles bourdonnent, ai-je bien entendu ? Face à mon air ébahi, Riva ajoute :

- Un couple, autant dans la vie professionnelle que dans la vie privé.

Un sourire niait s'affiche lentement sur mon visage. Ces mots, j'en ai rêvé des dizaines de fois depuis que Riva m'intéresse. Sa main toujours dans la mienne, tous les deux au beau milieu de cette rue déserte à cause de l'heure matinale, la scène est digne d'une pièce de théâtre.

Comment pourrais-je décrire ce que mon cœur me fait ressentir à cet instant ? Les battements de celui-ci s'accélèrent au fil des secondes que mes yeux fixent les siens. C'est comme si un poids me libérait avec brutalité, comme une angoisse constante qui me quitte en le remplissant d'autres choses d'inconnu jusqu'à ce jour pour moi.

- C'est une demande, Riva ?

- Ne t'emballe pas ! Je souhaite juste qu'on essaye, Dohän. Toi et moi, on attendait que ça sans savoir comment franchir cette étape. Au lieu de ça, on se querellait parce que cette amertume nous rongeait au fond de nous. Je n'ai pas pour habitude de me dévoiler autant, mais il me semblait important de me lancer avant qu'on se rejette pour de bon.

- Tu as du courage, je n'en ai pas autant, je dois l'admettre.

- C'est vrai, toi, tu préfères me balancer des mots crus dans la cuisine avant de t'enfuir.

À l'évocation de ce souvenir honteux, je ricane, mal à l'aise. Il est enfin temps que je vide mon sac.

- C'est une des seules fois que je n'ai pas pesé mes mots avant de m'exprimer. Mais sache une chose, Riva : je ferais tout pour te rendre heureuse. Depuis que j'ai posé mes yeux sur toi, ce premier jour de casting, ma vie lugubre s'est illuminée. Tu m'aides et me transforme chaque jour et je suis fière d'une seule chose à mon sujet : avoir rabaissé ma fierté, même cela s'est avéré difficile pour moi, et être venu frapper à ta porte le soir où tu as failli me filer entre les doigts.

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