20-Elle

Mes yeux ne le lâchent pas, comme happés par les siens.

Son sourire goguenard m'amuse, alors que j'étais très sérieuse en lui parlant. Je ne sais pas sur quel pied danser avec cet homme, mais j'ai bien l'impression que la situation complexe dans laquelle nous nous trouvons l'énerve, mais lui fait tout aussi plaisir.

– Est-ce que nous pouvons reprendre le travail ?

– Ça t'intéresse d'un coup ? rétorque le danseur toujours aussi railleur.

– N'avez-vous pas dit que vous étiez mon patron ? Je vais finir par penser que c'est du harcèlement...

– Arrête ça. Tu sais très bien ce qu'il en est.

Vraiment ? Qu'en est-il dans ce cas ?

– Toutefois, tu as raison. On devrait s'y remettre, finit-il par admettre.

Quand enfin, il décide de me laisser un peu d'espace, nous nous retournons et faisons face aux danseurs qui devaient nous épier tout ce temps. Ce moment s'avère extrêmement gênant.

– Vous voulez une photo ? Beugle Dohän, m'arrachant une grimace tant il a haussé la voix.

– Fidèle à toi-même.

Je ne sais pas d'où me vient cette soudaine ironie, car je suis plutôt mauvaise dans ce domaine. À moins que ça ne soit le résultat de côtoyer Dohän...

Le reste de la matinée se passe plutôt bien, comme tous les jours, Delly me fusille du regard, tout comme les danseuses en lisse.

Peu m'importe, je commence à avoir l'habitude.

Prête pour rentrer chez moi en fin de journée, Dohän m'interpelle alors que je m'apprête à aller à l'arrêt de bus.

– Je peux savoir ce que tu fais ?

– Ça ne se voit pas ? Je rentre.

– Chez toi ? Répète celui-ci en haussant les sourcils.

C'est un tic qui m'est devenu familier maintenant, c'est un signe d'arrogance à l'état pur chez lui.

– C'est ce que je viens de dire.

Son sourire espiègle m'interroge. À quoi pense-t-il encore ?

– Alors tu risques d'avoir une sacrée surprise. Mais après tout, si tu préfères dormir sur ton palier, fais ce qui te chante !

Il me balance ça et passe devant moi comme si de rien n'était ? Je vois le genre, il lance une bouteille à la mer pour m'appâter ?

– Bon, tu craches le morceau ou pas ?

– Pourquoi ? Dit-il en me faisant face. Ça t'intéresse d'un coup ?

– Tu mijotes quoi ?

– Moi ? Rien ! Je ne suis pas ce genre de mec tordu.

– À d'autres !

Il me fatigue à se marrer. En réalité, il est plus gamin qu'il en a l'air.

– J'ai déménagé tes affaires chez moi.

– Pardon ? M'égossillé-je, attirant l'attention de certains badauds.

– On s'était mis d'accord, Riva, se marre mon partenaire, tu restes ici pour la nuit ou tu grimpes dans cette voiture ?

J'observe cette dernière et reconnais Wade dans la voiture.

– Où tu m'emmènes ?

– Sérieusement ? Tu le fais exprès ? Soupire Dohän en attendant que je m'engouffre avant lui dans le véhicule.

Je m'attendais à tout, sauf à ça.

– Tu tiens à camper sur place ? Parce que je commence à avoir faim en ce qui me concerne.

Nous ne rentrons pas tout de suite chez lui, et tant mieux parce que ça m'angoisse de ne pas retrouver mon cocon. De plus, je sens que cohabiter avec lui va être ardu.

Au lieu de ça, Wade nous dépose dans un bar restaurant. Partager sa journée avec Dohän est déjà un sacré boulot, mais si ça doit continuer en dehors, je vais devenir folle.

– Merci Wade, je t'envoie un message dès que nous aurons fini.

Dans ce café enfumé et bondé, nous nous installons à une table. Dohän ne m'a pas adressé la parole depuis que je suis montée dans la voiture.

Nos commandes en cours de préparation, le silence règne, l'observant en catimini, nos regards finissent par se croiser. Il esquisse un sourire timide tandis que je détourne le regard. Ses yeux semblaient trahir une lueur d'intérêt, mais peut-être que je me fais des idées.

Au fil que les minutes s'écoulent, nous sommes plongés dans une conversation très professionnelle qui a commencé timidement, pour s'intensifier au fil des heures. Chaque mot échangé est un pas de plus vers la découverte mutuelle, chaque rire partagé un lien qui se renforce. Sans même m'en rendre compte, nos mains s'effleurent brièvement alors qu'il me donne son spéculos pour la troisième fois. C'est quelque chose de doux et de délicat, quelque chose d'insoupçonné chez lui.

Cette soirée me donne à réfléchir. Je me sens de plus en plus à l'aise avec lui, cela dit, je n'oublie pas qu'il m'emploie temporairement et que tout cela aura une fin.

– Tu peux m'expliquer comment je vais faire une fois que tu n'auras plus besoin de moi ?

J'installe un froid, j'en suis consciente, mais je pense à mon avenir.

– Tu t'en fais déjà pour ça ? Tu devrais vivre au jour le jour.

– Ah oui ? Et le jour où je serais à la rue, je devrais relativiser avec ces belles citations ?

– Tu ne seras jamais à la rue, Riva, répond Dohän avec sincérité en reposant son thé sur la table.

Je secoue la tête, pas très convaincu.

– Tu doutes de ce que j'avance ?

Ses yeux rivés aux miens me déstabilisent plus que ça devrait. On dirait qu'il est lui-même, le vrai Dohän sorti du tréfonds de ses entrailles.

– Je te connais à peine et je devrais te croire ?

– Oui. Je tiens toujours ma parole et je tiens surtout à ton avenir.

Nous nous regardons longuement, lui essayant sûrement de me convaincre, moi, me questionnant plus amplement.

– Éclaire-moi ?

Alors que je pensais pouvoir avoir une discussion franche, sans vannes ni condescendance, Dohän détourne son regard et reste silencieux.

– Quand ça devient trop sérieux, tu fuis.

– Ce n'est pas mon genre.

– Alors réponds-moi.

– Tu devrais vivre au jour le jour, Riva, soupire ce dernier en se répétant, profite de cette soirée tranquille, déguste ton café comme je déguste mon thé et tout ira bien. Demain, nous sommes dimanche, tu pourras te reposer comme si tu étais chez toi. Je te demanderais juste une chose, continuer à t'entraîner autant que tu le peux.

La conversation s'achève ainsi, mais il n'aura pas le dernier mot.

Après tout, je suis à la bonne école avec lui.

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