Chapitre 5
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PDV Stefan
Le temps semblait s’être arrêté. La Terre semblait ne plus tourner. Tout était figé, dans mon esprit comme dans ma cellule.
Ma cellule ?
Je regardai tout autour de moi ; des murs, des barreaux. Très peu de lumière. Heureusement, mes yeux nyctalopes passaient outre mesure. J’étais bel et bien séquestré. Un élan de panique s’empara de moi, je me jetai de tout mon poids sur les pans de béton armé dans l’espoir de les faire céder. Inutile de préciser que ma tentative fut vaine. Je m’approchai des barreaux, voulant les tordre pour me frayer un passage et m’enfuir, mais la paume de mes mains fut brûlée au contact du fer. Le métal était imprégné de verveine. Je fis le tour de la pièce exiguë, me triturant les méninges. Où étais-je ? Pourquoi m’avait-on enfermé ? Qui était l’auteur de cet enlèvement ?
Est-ce que Charlotte allait bien ?
Je passai mes mains sur chaque parcelle de mur, cherchant une quelconque échappatoire. Je cognai une nouvelle fois contre ma prison, sans plus d’effet. Il n’y avait aucune issue. La verveine m’empêchait de me servir de mes facultés surnaturelles pour découvrir où je me trouvais et si j’étais seul. Je disposais des mêmes atouts dont j’avais pu disposer étant humain, et uniquement ceux-là. Cela faisait tout drôle de se retrouver sans plus aucun sens ultra-développé, après des lustres d’adaptation. En revanche, la faim, elle, était bien présente. Mes veines étaient en feu, mes muscles tout engourdis. J’étais frigorifié.
Charlotte…
Je tentai une énième fois de forcer les barreaux, de fissurer un mur, ou même le sol. Rien à faire ; j’étais un flocon prisonnier d’une boule à neige. Et ma force qui s’évanouissait… Où était ma femme ? Subissait-elle le même sort que moi ? Ou pire…? L’ignorance était le pire des fardeaux, pire encore que d’être privé de liberté. Et l’ignorance se couplait de l’inquiétude, qui prenait une place monstre dans l’esprit. Plus que de la peur, c’était de l’angoisse profonde qui avait assailli mes membres. Tant d’ondes négatives se traduisaient forcément par des maux physiques. Mal de tête, estomac noué… Et cette faim… Dans un élan de désespoir, je hurlai. Je hurlai de tout ce qui me restait de forces, je hurlai le prénom de Charlotte, de Damon, de mes amis. J’étais entouré d’un silence assourdissant. Il n’y avait même pas d’écho pour me répondre.
Le néant.
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PDV Elijah
Si j'ai toute la foi de manière à transporter des montagnes, mais que je n'ai pas l'amour, je ne suis rien…
Cet extrait de la Bible m’était apparu comme un flash, sans prévenir, sans aucune explication.
Avec un petit rire amer pour moi-même, je me dis que, si, il y avait en fait une explication. Elle était toute simple, et portait le doux prénom de Charlotte…
Cela faisait presque une journée entière que nous étions sur la route pour le portail, et il serait bientôt temps de songer à dormir. Quelques jours de trajet supplémentaires seraient à prévoir ; le Montana n’était pas exactement la porte d’à côté. Je garai la voiture sur le parking du motel le plus proche, après avoir consulté les trois jeunes femmes au préalable. Nous n’avions que très peu de bagages à descendre, notre destination nous forçait à voyager léger. Il nous faudrait nous séparer de nos portables avant d’atteindre le portail.
Arrivés à la réception, la femme chargée de l’accueil des clients leva les yeux de son journal de mots croisés. Ses cernes violettes trahissaient un sommeil troublé, mais rendaient aussi son visage plus sévère. Avec un ton professionnel, elle nous expliqua qu’elle n’avait plus que deux chambres de disponibles ; une au premier étage, l’autre à celui du dessus. La fatigue l’emportant sur tout le reste, nous acceptâmes les clés et gravîmes les escaliers.
_ Il est absolument hors de question que je monte vingt marches de plus, je suis claquée, bailla Kathleen une fois sur le palier du premier étage.
_ Je te suis sur ce coup, acquiesça Bonnie avant de bailler à son tour. Bonne nuit, ajouta-t-elle à l’adresse de Charlotte et moi.
Je vécus les secondes qui suivirent comme un songe. Je ne réalisai pas tout de suite ce qui venait de se décider. Ce ne fut que lorsque Charlotte me tira doucement par le bras que je compris qu’il était trop tard.
Nous atteignîmes la chambre, un palier au-dessus de la précédente. Charlotte fonça sous la douche, jetant au passage son téléphone sur la literie.
J’allais passer une nuit avec elle. Nous serions seuls. Je serais seul face à mon désir de la prendre dans mes bras, d’enfouir mon visage dans ses cheveux d’or, de la couvrir de baisers… Non. Je ne devais surtout pas succomber à mes pulsions. Je ne devais surtout pas écouter cette part de moi, égoïste, qui me susurrait de prendre ce que je voulais et de faire fi du reste. Je n’avais qu’à me rappeler du nom complet de Charlotte pour me remettre les idées en place.
Salvatore…
Pourquoi pas Mikaelson ? Si je l’avais connue plus tôt…! Si j’avais eu le privilège de poser mes yeux sur elle le premier… Peut-être en serait-il autrement. Peut-être aurais-je été l’heureux élu. Peut-être pourrais-je la tenir contre moi en attendant que le sommeil vienne nous cueillir tous les deux. Peut-être…
_ Je t’aime, Elijah.
_ Pardon ?!
_ Je te demandais de quel côté tu préférais dormir, me répondit la jeune femme, visiblement étonnée de l’air consterné qui recouvrait mon visage.
Voilà que j’avais des hallucinations auditives, désormais ! J’étais tellement plongé dans ma rêverie que je n’avais pas prêté attention à Charlotte qui sortait de la salle de bain, en chemise de nuit et les cheveux humides, et qui me demandait le plus posément du monde quel était le côté du lit que je préférais. J’étais dans de beaux draps, sans mauvais jeu de mots. Quelle torture…
_ Peu m’importe, tu t’installes où tu veux. Et, si jamais ça te gêne, ce que je conçois tout à fait, je peux très bien…
_ Non, non, je t’arrête tout de suite, tu ne vas pas aller dormir à perpète les oies alors qu’on est tous crevés, me coupa Charlotte. C’est pas vraiment ce à quoi je m’attendais, mais il faut savoir s’adapter. Une fois qu’on aura retrouvé Stefan et les autres, je lui expliquerai et je suis sûre qu’il comprendra…
Et Stefan était une nouvelle fois mentionné… Pourquoi, pourquoi fallait-il toujours qu’elle ramène tout à lui ? Lui, ce minable vampire de sous-race ! Lui, ce ridicule modèle de vertu ! Elle méritait tellement mieux. Mais étais-je davantage à sa hauteur ? Ne me révélais-je pas présomptueux en prétendant être digne de l’amour de Charlotte, alors qu’elle seule en était le juge ?
_ Comme tu le souhaiteras, dis-je d’un ton plus dur que voulu.
Elle fronça une fraction de seconde les sourcils. Elle devait trouver mon attitude étrange ; mon ton froid, ajouté à mes répliques cassantes dès qu’il s’agissait de Stefan… Elle n’était pas stupide, elle nourrirait bientôt des soupçons.
_ Elijah… Que se passe-t-il ?
Charlotte s’assit sur le lit, m’invitant à faire de même.
_ On est tous à cran avec cette histoire de Sentinelles et de Royaume des Ombres, admit-elle. Mais j’ai l’impression que tu le vis plus mal que nous, tu te montres… Distant.
J’admirais sa franchise. Les gens qui disaient ce qu’ils pensaient devenaient si rares de nos jours. Cependant, elle n’avait pas exactement la bonne interprétation de mon comportement. Ce dont j’étais, d’une certaine façon, soulagé.
_ Tu n’es pas si froid d’habitude, continua-t-elle. On s’entend plutôt bien… Alors s’il te plaît, dis-moi ce qui se passe.
J’inspirai profondément. Devant l’aigue-marine de ses yeux, j’étais impuissant, vulnérable. Je me retrouvai subitement incapable de lui mentir, d’inventer une nouvelle excuse. Mais pouvais-je pour autant lui dévoiler la triste vérité ? C’était un terrain miné, elle était encore jeune mariée, et Salvatore avait été victime d’un puissant maléfice. Elle ne supporterait pas l’aveu de mes sentiments. Pas maintenant. Sûrement jamais. Pour son bien-être, elle ne devait en aucun cas découvrir ce que j’éprouvais.
_ Comme tu l’as dit, cette histoire nous met tous à cran, répondis-je simplement. La moindre erreur peut être fatale, pour nous comme pour nos amis.
Je grimaçai presque malgré moi en prononçant mon dernier mot, car l’image de Stefan s’était imposée dans mon esprit. Lui ? Mon ami ? Plutôt brûler vif sous la lumière du jour…
_ On s’en sortira, affirma Charlotte. En tout cas, je l’espère de tout mon coeur.
Je trouvai la force de soutenir son regard quelques secondes, et, comme je le craignais, je me perdis dans ma contemplation. De si belles iris pouvaient ensoleiller n'importe quelle journée. Elles étaient un cadeau pour quiconque avait la chance de les admirer. Son regard était si profond, si honnête, si couvant… Doucement, mes yeux descendirent à ses lèvres cerise. Je m’accordai trois secondes avant de sortir avec regret de mon admiration. C’en fut trois secondes de trop, malheureusement. Charlotte avait surpris mon expression de convoitise. Mais contre toute attente, et sans que je ne sache pourquoi, elle fit disparaître les centimètres qui nous séparaient et me prit dans ses bras. D’abord surpris, je n’esquissai pas le moindre mouvement. Puis je me laissai aller contre elle, répondant à son étreinte. A quoi bon me priver ? Elle était consentante. Elle avait besoin de ne pas se sentir seule.
_ Bonne nuit Elijah, murmura-t-elle après s’être détachée de moi.
_ Fais de beaux rêves, répondis-je en m’allongeant près d’elle, sachant pertinemment que je ne fermerais pas l'œil de la nuit.
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PDV Bonnie
Kathleen et moi nous réveillâmes à cinq heures tapantes. Au dehors, le soleil n’avait pas encore pointé le bout de son nez et les étoiles brillaient encore dans le ciel nocturne. Après une rapide toilette et un petit-déjeuner convenable (le sang d’un client pour mon amie, un bol de thé et une brioche pour moi) nous fûmes prêtes à cinq heures et demi, alors qu’Elijah peinait à sortir Charlotte de son sommeil.
_ Tu me dois cinq dollars, dit Kathleen à mon adresse. Il n’a pas pris la fuite et est resté dans la chambre.
_ Et toi tu m’en dois cinq parce que je suis certaine qu’il ne l’a pas embrassée à son insu, rétorquai-je.
_ Alors elle l’aurait embrassé de son plein gré, tu penses ?!
_ Bien sûr que non andouille, il n’y a pas eu de baiser du tout ! Tu crois quoi ? Qu’elle est prête à tromper Stefan ? Et qu’Elijah est capable de s’immiscer entre deux âmes-soeurs ?
_ Mmh…
Notre débat dût prendre fin car notre marmotte d’amie était enfin levée. Nous reprîmes la route vingt minutes plus tard, ainsi que nos places de la veille. Elijah était crispé, le pauvre… Avoir passé la journée d’hier assis aux côtés de la femme qu’il ne devait pas aimer, puis avoir dormi dans le même lit qu’elle, et repartir pour une journée avec la même proximité, étaient autant de raisons qui justifiaient son malaise.
Le trajet ne différa pas de celui de la veille ; il se déroula dans la même ambiance morose, sans grande conversation. Seule la radio couvrait le silence. Nous essayions de nous servir le moins possible de nos téléphones, afin de nous habituer à ne plus les avoir pendant une durée indéterminée.
Nous ne fîmes un arrêt qu’à la nuit tombée, pour louer de nouvelles chambres. Elijah dormit seul cette fois-ci, à son plus grand soulagement. Il se réveilla même de meilleure humeur le lendemain matin ! Lorsque Kathleen lui demanda ce qui lui avait redonné le sourire, il répondit simplement qu’il avait passé une excellente nuit. Charlotte ne chercha pas à creuser plus la question, elle s’enthousiasma aussitôt du retour de l’entrain de notre ami. La reprise de la route fut par la suite beaucoup moins pesante et nous parvînmes à discuter avec plus d’allégresse. L’optimisme commençait à fleurir ! Peut-être pourrions-nous être à la hauteur…
A la fin de cette troisième journée de voiture, nous atteignîmes le Montana et ses forêts. Le crépuscule était là, mais cela ne nous empêcha pas de nous engouffrer entre les arbres. Nous étions bien décidés à passer le portail le soir même. Nous marchâmes longtemps, l’originel en tête, moi sur ses talons, et Kathleen et Charlotte derrière nous. Plus nous progressions dans les bois, plus les alentours réveillaient en moi des souvenirs que j’aimerais oublier. Je ne reconnaissais que trop bien ces ombres menaçantes et ce silence de mort. D’ordinaire, j’adorais la forêt, c’était un endroit gorgé de vie et empli d’un air purifiant. Mais cette forêt-là n’avait aucun bienfait à apporter. Elle faisait ressortir nos craintes, se nourrissait de nos pressentiments.
Elijah s’arrêta devant deux grands chênes qui, penchés l’un vers l’autre, se croisaient à leur cîme. A première vue, ce n’était qu’un phénomène un peu loufoque de la nature, mais il s’agissait en réalité du portail menant au Royaume des Ombres. On pouvait le deviner à l’aura noire que les deux arbres dégageaient. Une fois passés de l’autre côté du portail, nous n’allions peut-être pas pouvoir rebrousser chemin…
Je frissonnai.
L’originel nous passa tour à tour les bracelets montrant notre statut “d’esclaves” aux habitants du Royaume, une expression grave sur le visage. Il nous conseilla de laisser nos cheveux lâchés et de garder la tête baissée, afin de ne pas attirer l’attention en ayant l’air trop sûres de nous. Nous devions prétendre une complète soumission envers notre maître. Cette pensée m’inspira un profond dégoût.
_ Prêtes ? nous demanda Elijah.
Nous n’avions pas vraiment d’autre choix, la vie de nos proches était entre nos mains. Une partie de moi me hurlait de faire demi-tour et de courir loin de cet endroit maléfique, mais ce serait manquer à mon devoir d’amie. Je ne pouvais les abandonner à leur sort, sachant dans quel genre d’enfer ils étaient prisonniers. Résolue, je hochai la tête de concert avec Kathleen et Charlotte.
Elijah fit un pas entre les deux arbres, ouvrant la marche vers notre mort certaine. Il disparut une fois le portail traversé. Kathleen s’avança la deuxième, puis ce fut le tour de Charlotte. Mon sang s’était glacé dans mes veines. Je n’avais aucune envie de franchir cette barrière. Pourtant, je suivis le mouvement et la traversai.
Aucun retour en arrière n’était désormais envisageable.
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