Chapitre 3

Pour @whywelookuptothesky , merci de me soutenir dans tout ce que je fais... Tu es une personne adorable ! <3 (Et je suis en train d'écrire ta lettre ahah).




« I'm depressed,

haunted by melancholy,

that does not have a reflection

nor cast a shadow.

12,000,000 people live here in Tokyo.

I know I'm not alone.

Others must feel the way

I do. »

-Brautigan, Journal Japonais






Je ne sais plus depuis combien de temps je suis là, allongé sur le carrelage gelé, le corps nu. Les secondes coulent le long de ma peau et se logent sous mon nombril. J'ai si mal au cœur et au ventre et parfois quand j'agrippe ma peau et que je la griffe, je la sens tomber en lambeaux. Je pensais que ce serait mieux en venant ici, mais je ne ne vois seulement plus le soleil. Les rideaux bleus sont lourds et les murs recouverts d'une tapisserie blanche, moche. 

Je me redresse un peu. J'ai froid. Je n'ai pas le droit d'être dans cet appartement. Depuis que son propriétaire est mort, il y a quelques mois, il n'a toujours pas été remis en vente. Ses enfants ne sont pas venus chercher les meubles. Peut-être que ça n'intéresse personne. Moi j'aime être ici. Je suis venu une fois, par hasard, parce que je voulais aller sur le toit de l'immeuble. Et la porte était entrouverte alors je suis rentré. Maintenant je sais que c'est sûrement Louis qui a forcé la serrure en premier, mais je m'en fous. Cet appartement, j'ai l'impression qu'il m'appartient un peu. Je m'y sens bien. C'est ici que je voulais mourir, et c'est ici que je me rends lorsque j'ai trop mal au coeur. Comme aujourd'hui.

Je crois que c'est en moi que j'étouffe. Ce n'est pas le monde ou les gens, ils ne m'ont rien fait. Le problème c'est moi, tout est dans ma tête, comme ce besoin de souffrir constamment pour me sentir vivant. Je touche mes genoux du bout des doigts. Ils ont perdu de leur rondeur adolescente. Ils sont cassants et secs comme le reste de mon corps. Le long de mes cuisses, des veines bleues serpentent jusqu'à mon sexe. 

Est-ce que quelqu'un ici pourrait ouvrir toutes les fenêtres, faire rentrer la pluie, les feuilles des arbres, les rayons du soleil ? 

Je crois que je vais mourir entièrement blanc, le cerveau vide et le ventre enfoncé. 

Je crois que j'ai peur.

-Y a quelqu'un ? 

Une lumière s'allume derrière moi dans le minuscule couloir. J'entends des pas qui se rapprochent. Il y a une ombre qui se dessine sur mon dos. La porte se referme. 

C'est Louis. Je le sais même les yeux fermés, parce que lui et moi nous avons des atomes de la même couleur : un bleu de glace qui devient sombre quand vient la tristesse. Je ressens Louis dans l'espace plus que n'importe qui d'autre. C'est bizarre à dire, car nous ne connaissons presque pas. Mais je sais qu'il est comme moi. Que nous portons en nous la même douleur inaudible. Et je veux qu'il me serre dans ses bras, comme il l'a fait le soir où il m'a sorti de la baignoire. Je veux qu'il s'approche, qu'il pose ses mains sur mes épaules, ses doigts contre mes clavicules, et je veux que son torse tout entier enlace mon dos. Je veux me fondre dans sa poitrine. Peut-être que si j'expirais pour lui et qu'il inspirait pour moi, nous aurions une chance de survivre dans ce monde ?

Louis marche jusqu'à moi mais il ne me touche pas. Il s'assoit à quelques mètres. J'ai l'impression que sa présence a mes côtés est absolument normal, que je l'ai toujours connu, que je lui ai toujours parlé. Il est un élément de mon décor. Ses yeux sont d'un bleu profond, comme celui de l'océan très loin à l'horizon. Il dit : 

-Tu n'as pas froid ?

Je hausse les épaules. Je le vois qui regarde ma peau nue. Je ne sais pas si j'ai honte, et puis de toute façon, il m'a déjà vu nu lorsque j'étais inconscient. C'est même lui qui m'a remis mes vêtements. Mais là il fait jour, j'ai tout mon esprit et il me fixe. Parfois j'aimerais me recroqueviller et me faire tout petit jusqu'à ce que des gens me marchent dessus juste parce que... je me déteste. D'autres je voulais m'allonger à poil au milieu de la rue et crier REGARDEZ REGARDEZ MON CORPS NE LE QUITTEZ PAS DES YEUX ET S'IL VOUS PLAÎT PRENEZ MOI DANS VOS BRAS, EMBRASSEZ MON VENTRE MES POIGNETS MON COU MES BRAS EMBRASSEZ-MOI ET DITES MOI QUE JE SUIS BEAU ET QUE J'EN VAUT LA PEINE.

Là ce n'est pas comme ça. Je me sens juste profondément vide. Mon corps n'est pas une invitation à la honte ou à l'amour. Il est un amas d'os et de chair qui a froid et est rempli d'un vent gigantesque qui gronde dans mon estomac. J'ai mal et je m'en fous d'être nu et regardé. De toute façon, le regard de Louis n'est ni dégoûté, ni intéressé. Il regarde simplement mon corps, comme s'il était face à son propre reflet dans la glace. 

Il finit par tendre la main. Il l'a pose sur mon bras et le caresse un peu. Je ne sais pas pourquoi il fait ça mais j'aime bien. Soudain je ne suis plus vide du tout mais plein de larmes. Louis retire sa main. Il grogne :

-Si tu chiales je me casse.

Je fais un bruit ridicule de chaton qui couine et puis je renifle. Louis soupire. On fixe tous les deux le parquet un long moment et le tapis aux arabesques rouges, le temps que la tristesse qui flotte autour de nous comme une nappe de brouillard s'évapore un peu. La pièce est tout vide et les rideaux sont tirés. J'ai l'impression d'être assis au milieu d'un tableau de Picasso dans sa période bleue.

-Tu ne veux pas venir te promener avec moi ?

-Ou ? 

-Je ne sais pas... Vers le parc. On pourrait aller au lac.

-Se baigner ?

Louis hausse les épaules. Il n'y a pas le droit de se baigner dans le lac du parc. Je le sais, c'est entouré de barrières depuis que des mecs bourrés se sont jetés dedans et qu'un n'en est pas ressorti. Mais quand même, j'aimerais bien.

-On peut attendre l'orage. La petite mare va sûrement se remplir.

Je ne réponds rien. C'est nul la mare. C'est comme sauter du haut d'un pont en voulant plonger dans 30 mètres d'eau et atterrir dans un flaque.

Louis se lève. Il va jusqu'au fond de la pièce, où j'ai posé mes vêtements et il me les lance. 

-Rhabilles-toi. 

J'obéis. Je ne sais même pas pourquoi. C'est juste que la voix de Louis est... Et puis je commence à avoir un peu froid. Et à me sentir mal à l'aise. Je ne suis plus vraiment vide, mais j'ai à nouveau mal partout. Au ventre, au cœur, dans les poumons.

Louis tire le rideau et ouvre la fenêtre.. Le soleil rentre. La pièce n'est plus bleue, elle est dorée. C'est beau. C'est comme si il avait fait rentrer des rayons à l'intérieur de moi aussi. Je cligne des yeux. Louis se retourne dans la poussière d'or. On se regarde un moment. Il y a comme un fil tendu entre nous, un cœur en plus qui bat différemment. Mieux. Louis baisse un peu le visage. Ses cils dessinent une ombre comme de la dentelle sur ses joues. La poussière qui flotte. Le rideau qui ondule doucement, poussé par le vent léger. Je suis en suspension. Louis murmure :

-T'es heureux ?

-Non.

Il hoche la tête. On se sourit un peu. Et puis il revient vers moi. On se prend la main. J'ai les doigts froids et lui un peu moites. J'aime bien. Il m'aide à me relever et puis on sort de la pièce. Dans le couloir, il s'arrête et lève nos mains entrelacées jusqu'à ma joue. Si je tourne la tête, je pourrais embrasser nos doigts. Mais je reste le regard plongé dans le sien, soudain si sombre. Il dit :

-Moi non plus. 

On court vers le parc. 

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18 heures.
Pluie d'orage sur le chemin.
Le bitume qui sent la terre mouillée. 

Je rentre du McDo où je travaille tous les jours depuis six mois. J'ai une odeur insupportable de frites et de sauce ketchup collée à mes fringues. Je marche rapidement, les yeux baissés. J'entends à peine le skate qui me dépasse à toute vitesse, m'aspergeant de minuscules gouttes d'eau, et puis qui s'arrête quelques mètres plus loin. Je relève la tête. C'est Louis. Ça ne me surprend pas plus que ça, il est toujours là, quelque part.
Il est en t-shirt, un t-shirt blanc, détrempé, les cheveux humides collant à sa peau. Ses yeux sont aussi lumineux que le ciel d'orage au-dessus de nous.
-Salut.
Je ne m'arrête pas, et le dépasse sans un mot. Il me suit immédiatement, reprend :
-Ça va ?
Je réponds seulement que j'ai froid. Il dit que lui aussi. On continue de marcher. Les grognements sourds du ciel rythment chacun de nos pas. La pluie rentre jusque sous mon sweat aux couleurs du McDo, et mon ventre se couvre de frissons. J'ai envie d'être dans mon lit. J'ai trop mal au cœur.
-Tu travailles en ville toi aussi ?
Je hausse les épaules. Ça se voit, non ? Mais Louis n'attend pas de réponses, il enchaîne :
-Moi aussi. Dans une sorte de crêperie. Mais on fait aussi des galettes, et des tas de trucs à emporter. D'ailleurs...
Il arrête de marcher et fait glisser son sac à dos devant lui, contre son ventre. Je l'attends, glacé mais finalement incapable de continuer sans lui. Il sort un petit sachet en plastique et me le tends.
-Des cookies. Tu aimes ?
Je n'ai pas très faim. Bosser dans un endroit où ma tâche principale est de faire cuire des frites et des steaks hachés me coupe généralement l'appétit pour toute la soirée, déjà que je n'en ai quasiment jamais. Mais Louis a l'air tellement content de me partager son goûter que je ne peux pas refuser, et j'accepte en prenant le cookie qu'il me tend. 

-Chocolat banane. Ce sont les meilleurs.

Il en prend un aussi et on se remet à marcher l'un à côté de l'autre, en grignotant les biscuits. C'est bon. Un peu écoeurant mais... ça va. Je mange la moitié, et mon ventre en gargouille de plaisir. Depuis hier matin je n'avais rien avalé d'autre qu'une crèpe Wahoo alors je crois que le cookie de Louis était exactement ce qu'il attendait pour se manifester. 

On remonte la rue jusqu'à l'immeuble et on pénètre dans le hall. Il y a une odeur de soupe aux oignons qui embaume toute la cage d'escalier, et je grimace un peu. Louis monte souplement l'escalier et appelle l'ascenseur. Il me demande :

-Tu vis au combien ? 

-5ème. 

Je sais que lui est au 7ème. Je l'ai déjà vu un jour, quand je montais tout là-haut dans l'appartement abandonné. Pourtant lorsque l'on s'introduit dans l'ascenseur, il n'appuie que sur le bouton 5 et me sourit encore. Ca m'énerve son sourire. J'ai envie de lui griffer le visage pour qu'il cesse de faire semblant. Peut-être que les autres ne voient rien, mais moi je ne peux pas ignorer la douleur au fond de ses pupilles. Et je me souviens de ce qu'il m'a dit, le soir de son anniversaire. Toutes ces choses là flottent autour de nous et l'ascenseur monte en silence. On se contente de se regarder dans la glace du miroir. 

Je me demande ce qu'il pense de moi. S'il me voit comme un pauvre abruti, un chaton qu'il a sauvé de la noyade ou s'il me considère carrément comme un suicidaire raté, moche et trop maigre. A travers la vitre salie, il continue de me sourire, les yeux un peu en amande. J'ai l'impression qu'il se fout ouvertement de ma gueule, et je n'arrive même pas à prononcer un mot. Je ne reconnais pas la personne avec qui j'ai couru dans le parc et jeté du pain aux poissons du lac, il y a quelques jours. Derrière nous, la porte s'ouvre lentement et je lâche son regard pour sortir de l'ascenseur. Le silence qui nous entoure m'oppresse. Louis ne me suit pas, l'ascenseur se referme sur lui. J'ai juste le temps de l'entendre me dire " bonne soirée ", comme un putain de mec de cinquante ans. 

Je traverse le couloir et je fais claquer la porte de mon appartement derrière moi.

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J'aime bien l'idée d'être enfermé en soi-même. Je suis un corps composé d'énergies destructrices qui se tuent entre elles. Je les laisse faire. C'est bizarre de ressentir ça. J'ai l'impression de mourir un peu plus à chaque pas que je fais, inexorablement. J'ai mal de l'intérieur. Nul part ailleurs.

Je ne me comprends pas du tout. 

Je crois que j'ai peur de moi-même, de ce que je suis capable de faire. 

J'essaye de remplacer ce qui est laid en moi. Parfois, j'ai la tête qui tourne à force d'être en vie. Parfois, j'ai l'impression que je vais en mourir. 

Courir, courir, jusqu'à l'épuisement. 

Avoir les os qui craquent et le ventre qui devient dur sans faire aucun bruit. Sentir la peau autour de ses genoux, des genoux d'écorchés, des genoux qui font mal quand ils touchent le sol.

Première peur : l'abandon. L'abandon de moi-même par tous les autres. De la vie aussi. 

Deuxième : la solitude. Non. Elle, ne tue pas. Mais elle rend fou. J'ai peur d'être fou et de me tirer une balle sans faire exprès. En glissant.

Troisième : me remplir de tout ce qui fait mal et peur en moi et de tuer, pour faire cesser la douleur.

Les peurs c'est aussi ce qui me fait envie. 

Griller moi le cerveau avant qu'il n'explose. 

Une envie : 

L'amour. 

Il n'y a que l'amour que l'on peut tuer en l'écrasant entre ses mains. 

Je veux : brûler contre un corps. 

Et puis : devenir si froid que je ne ressentirais plus rien.

Je veux : des mains qui apaisent la douleur dans mon ventre.

Et puis : des mains qui me poussent et me disent

Meurs. Maintenant que je connais tout de toi, je te hais.

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Il est à peine midi quand je rentre chez moi. J'ai fini de travailler, comme tous les samedis, et je prends un bouquin dans ma bibliothèque avant de quitter l'appartement. La Blessure de Anne Enquist. Je choisis mes livres en fonction des titres. 

Je monte les marches de l'escalier deux par deux. La lumière s'éteint quand j'arrive sur le dernier palier mais ça n'a aucune importance parce que je n'ai pas besoin de clé. La porte s'ouvre toute seule. L'odeur lourde de l'appartement abandonné m'enrobe tout entier. 

Parfois, je regrette un peu de ne jamais avoir adressé la parole à son ancien propriétaire. Je me rappelle encore de son visage. C'était un vieux voûté et plein de rides, qui avait fait la guerre et en parlait à chaque personne qu'il croisait sur son chemin en allant chercher le pain. Les gamins du quartier l'appellait Le Dragon à cause de sa veste en tweed verte.

Je ne sais même pas comment il est mort. Je l'ai appris par hasard, un jour, et j'ai eu l'idée d'aller voir si l'appartement était vidé. Mais non.

Je crois que tout le monde s'en foutait, de ce vieux, et que ses enfants vont laisser toutes ses affaires pourrir.  A moins qu'il n'en avait pas, d'enfants. 

C'est un peu triste. 

Je pénètre dans le salon. Il y a un grand tapis sur le sol, avec un motif surrané. Tout sent la vieille personne, vous savez, cet odeur de biscuit sec, de médicaments et d'eau de cologne bon marché, mais ça ne me dérange pas. Je crois même que j'associe cet odeur à celle d'un lieu où je suis en sécurité, maintenant.

D'habitude je suis seul dans l'appartement. 

Mais aujourd'hui, allongé sur le canapé, il y a Louis.

Je ne peux pas m'empêcher de sourire en le découvrant là, les jambes légèrement repliés, un bras dans le vide, la bouche entrouverte. Il respire doucement. Je me demande depuis combien de temps il est là à dormir, mais il doit être vraiment fatigué pour ne pas m'avoir entendu arriver. Du coup je fais le moins de bruit possible, m'installant dans le fauteil de cuir avec mon livre ouvert sur les genoux.

...

Je reste concentré dix secondes avant de le rabaisser pour l'observer. J'ai une drôle de sensation dans l'estomac, quelque chose de tout doux. Peut-être parce que Louis semble juste... Apaisé. Sa main gauche est dans la poche de son sweat, et je repense au soir où il y avait mis les miennes. J'ai envie d'être à nouveau contre lui, de respirer son odeur sans parfum et de me fondre contre la chaleur de son corps.

C'est étrange, parce que je ne suis pas très tactile, mais j'ai comme... besoin de la présence de Louis. Exactement comme cela ne me dérangeait pas qu'il me voit nu, je ressens seulement l'envie qu'il me prenne dans ses bras.

Sauf qu'il dort. 

Donc c'est moi qui le fait.

Je me lève doucement, laissant mon livre sur le fauteuil et je m'assois près de lui. Il remue immédiatement, ouvrant un œil. Bleu nuit. Il me sourit à moitié, et sors la main de la poche de son sweat pour l'enrouler autour de ma taille. Il murmure, la voix encore lourde de sommeil :

-Salut. 

Je m'allonge contre lui, la tête dans son cou. Je me sens bizarre. Bizarre bien. Bizarre heureux et léger, mais pas à cause de la faim dans mon ventre... Juste à cause de Louis.

Je ne l'avais pas recroisé depuis l'ascenseur, il y a trois jours. Je ne sais plus si je suis encore en colère contre son regard moqueur et sa façon de me parler, comme si j'étais un gamin capricieux et tordu et en fait, je n'arrive même plus à y réfléchir. A cet instant précis, je m'en fiche totalement. 

Louis se réveille lentement. Il me demande quel heure il est, puis il dit qu'il a faim. Je mens en disant que j'ai déjà mangé, de peur qu'il ne veuille m'inviter chez lui ou une connerie du genre. Mais il n'insite pas, frottant bizarement son nez contre ma mâchoire. Je me demande depuis quand nous avons cette intimité spéciale qui me semble si... normale. Nous avons déjà dormi ensemble sur le canapé. Nous nous sommes embrassés à sa fête d'anniversaire. Il m'a vu nu. Mais là... C'est différent. J'ai l'impression qu'il agit comme si nous étions en couple. Et le pire, c'est que ça ne me dépaît pas vraiment. 

Je le repousse un peu quand même, pour la forme, et il ouvre vraiment les yeux, analysant mon visage pendant quelques secondes. Je pensais qu'il allait protester ou me dire de me pousser mais il murmure juste d'une voix très lente : 

-J'avais jamais vu que tu avais des tâches de rousseur.

Moi non plus, en fait. Mais sa remarque me déstabilise tellement que je ne ne répond pas. Je sens sa main bouger et lentement, il porte ses doigts sur le haut de mes joues. Il caresse lentement la peau fine de cet endroit, contournant mon nez et passant léger par dessus mes paupières.

-Ta peau, c'est du papier de riz.

Je ne sais pas ce que c'est, le papier de riz, mais ça me donne envie de l'embrasser alors je le fais. Aussi simple que ça. Il ferme les yeux. Ses lèvres sont chaudes et ses doigts caressent ma nuque. C'est meilleur que la première fois, parce que la première fois, ça ne voulait rien dire. Là, il y a toute cette douceur autour de nous et moi qui ait brutalement envie d'être aimé. Et que ce soit par lui. 

On s'embrasse un long moment. J'aime le goût de sa langue. J'aime entrouvrir les yeux, et voir ses pupilles noires se fixer dans les miennes. J'aime sentir ses jambes s'enrouler autour des miennes. J'aime ses doigts qui s'enfoncent lentement dans mon cou. J'aime son odeur et sa manière de respirer contre ma bouche, sans totalement s'en éloigner. 

Je n'ai jamais embrassé personne de ma vie et ce n'est pas ce que je suis en train de faire avec Louis. C'est beaucoup plus. Je lui donne mon âme entière. 

On finit par s'arrêter doucement, parce que je n'ai plus vraiment d'air. Louis se mordille la lèvre. Elle est plus rouge que tout à l'heure, et je ne pensais pas que j'aimerais à ce point ce détail. Il a l'air encore tout endormi, mais avec une langueur dans ses gestes en plus. Une langueur qui le rend vraiment désirable. Mais j'ai besoin de parler, la voix lente et basse. 

-Tu es venu parce que tu savais que je serais là ?

Il fronce un peu les sourcils, glisse une mèche trop longue de mes cheveux derrière mon oreille.

-Pourquoi tu penses ça ?

-Parce que sinon tu aurais dormi chez toi, je suppose. 

Il sourit un peu.

-Je venais avant de te croiser ici, tu sais. 

D'ailleurs, je ne comprends toujours pas comment j'ai pu ne jamais tomber sur lui dans l'appartement. Je reste silencieux, et c'est lui qui finit par reprendre :

-Est-ce que tu vas bien ?

Ce n'est pas une simple question. Je le sais. Et Louis me connaît peu, mais suffisament pour que je sache que s'il me demande cela, c'est pour que je lui réponde la vérité. Et moi, je n'ai jamais peur de dire la vérité.

-Tout de suite, oui. Autrement, pas trop.

-Pourquoi ?

-Est-ce que tu me trouves ridicule ?

Je crois que ma question le surprend un peu, parce qu'il fronce vraiment les sourcils et secoue la tête.

-Non ? Pas du tout. J'ai l'air de te trouver ridicule ?

-J'sais pas.

Je me sens vraiment comme un gamin là. C'est à ce moment que je mesure la différence d'âge entre Louis et moi. Il a quelque chose en plus que je ne possède pas, malgré l'air que je me donne de tout contrôler. C'est peut-être cette supériorité qui fait que j'ai l'impression de n'être rien du tout par rapport à lui.

Je baisse la tête pour ne plus croiser son regard, et je joue avec le cordon de son sweat.

-L'autre jour, dans l'ascenseur... Je pensais que tu te moquais de moi.

-Pourquoi je me moquerais de toi ?

Je hausse les épaules.

-Parce que les gens se moquent de moi en général ? Parce que je suis bizarre, maigre, moche et que j'ai voulu mourir mais que je n'ai même pas réussi ?

Il soupire et caresse doucement son pouce avec ma joue. Ses yeux sont d'un bleu immense et ennivrant. Je ne sais pas pourquoi j'ai dit tout ça, mais le poids dans mon ventre est un peu moins lourd. 

-Tu n'es pas bizarre. Je ne trouve pas. Tu es juste... Ombrageux ? Et moche, non. Absolument pas. 

Je ne dis rien. Je suppose que j'attends quelque chose. Quelque chose d'autre, de plus. Et Louis le sait, alors il finit par me lâcher et se redresser lentement. On s'assoit l'un à côté de l'autre sur le canapé, et je le regarde enlever son sweat, le faire passer par dessus ses cheveux. Ils se dressent sur sa tête comme des petites brindilles givrés, à cause de l'électricité. 

Louis prend une petite inspiration, et puis il enlève aussi son t-shirt. Ensuite, il dit :

-Moi aussi j'ai voulu mourir et j'ai raté. Ce n'est pas ridicule.

Sur son ventre, enroulé comme un serpent qui mord, il y a une longue cicatrice. Blanche. Propre. Et quand il se retourne, il y en a aussi dans son dos. Une qui part de son omoplate et qui descend jusqu'à la hanche, et puis pleins de petites qui criblent le dessous de sa nuque. Il m'explique qu'il en a aussi une à la jambe droite. 

Que lui ce n'était pas en avalant des médicaments, que c'était en plongeant dans le vide. Qu'il a raté, que ce n'était pas assez haut et qu'il s'en est sorti comme un con avec des os brisés et des endroits à recoudre. Qu'il a eu mal pendant des mois, et que la douleur n'a pas disparu et qu'elle ne disparaîtra sans doute jamais. Mais qu'il a beaucoup, beaucoup de chance. Qu'il la mesure à présent. Et que parfois, même s'il a toujours cette envie lancinante de détruire et de se détruire, il a l'impression de s'en sortir. Il a l'impression qu'il peut. Que l'envie de vivre revient petit à petit, dans la couleur du ciel et le bruit des oiseaux. Que ça ne tient à rien du tout : l'odeur du chocolat, ses potes qui lui font un cadeau d'anniversaire, un chien qui lui lèche les mains, un inconnu qui lui sourit dans la rue, sa musique préférée à la radio, un pays qu'il voudrait visiter. Moi aussi. Depuis peu. 

Il dit tout ça et ensuite il me tient fort la main et il me sourit. Je n'ai rien à lui répondre. 

Mais je touche du bout des doigts le tatouage qu'il a sur le côté de sa hanche. 

« io vivo »

-Pourquoi en italien ?

-Parce que c'est le pays que je veux visiter. 

Et juste parce que j'ai l'impression que c'est la chose à dire, ce qu'il veut entendre, je plonge mes yeux dans les siens et je murmure :

-Un jour, on ira tous les deux.

- - -

Merci d'avoir lu ce chapitre. ♡
N'hésitez pas à me laisser un commentaire ou à utiliser #SLPfic sur Twitter !
Et si vous cherchez de la lecture pour patienter jusqu'à mercredi prochain, je vous conseille d'aller jeter un coup d'oeil aux écrits de Tetsu__ vous ne serez pas déçu.e.s !
xx

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