Hermès Talaria
Le monde est vieux, très vieux. Il a traversé les époques, témoin silencieux de l'effervescence des civilisations qui ont émergé et se sont éteintes. Des milliards d'individus ont peuplé ses terres, de simples mortels, des ombres éphémères, des voix nées pour contempler les destins extraordinaires de quelques-uns. Au fil des siècles, le monde a été le théâtre de légendes.
Aujourd'hui, le titre de légende est octroyé trop facilement à ceux qui, par chance ou mérite, ont accompli quelque chose sortant de l'ordinaire dans le quotidien morne de l'humanité. Mais parmi ces prétendues légendes, rares sont celles qui méritent réellement ce statut, accompagné des surnoms évocateurs et du murmure d'admiration qui suit leur simple évocation. Tel est le cas de l'écurie Hermès Talaria, une institution née en 1990, arborant fièrement comme emblème le dieu olympien Hermès.
Tout un chacun rêve de piloter pour Hermès Talaria, mais bien sûr, l'accès à ce privilège exclusif n'est pas donné à tous.
Parfois, il suffit de naître fils d'un ouvrier mal payé, affligé d'un handicap invisible, un père incapable de garantir un repas quotidien, pour que naissent des rêves insensés. À défaut de remplir mon estomac, mon père comblait ma tête d'absurdités.
Mon père, Lorenzo Velocci est un amoureux du sport automobile.
Deux mains gauches, un repas sur trois, une paire de chaussures pour trois ans, une veste pour dix ans, et un avenir de champion. Voilà comment il me décrirait. Moi, son fils, Phoenix Velocci, serait un jour champion du monde. C'est un refrain qu'il entonne après chaque gorgée de bière, dans la taverne du coin, après des mois sans avoir goûter à une seule goutte de ce breuvage sacré, qui rend fou les érudits et donne raison aux fous.
J'ignore comment il a découvert ce sport, d'où est née cette passion en lui, un intérêt qui ne devrait pas en être un pour des gens comme nous. Mais mon père était capable de vendre son âme au diable, aussi croyant qu'il fût pour assister à une seule course.
Fils d'un père insensé, je me considère doté d'une raison proportionnelle à ma vie. J'avais foi en ma foi, en Dieu et tout ce qui est à la porté de mes yeux. Après chaque course, chaque saison, chaque discours de mon père sur comment et pourquoi je devais devenir pilote de course, je me réfugie dans ma chambre, place mes genoux au contact du sol granuleux et froid de mon nid et je prie.
Je supplie Dieu de pardonner à mon père, de lui rendre la raison, de purifier mon âme de ses mots. Pourquoi aimer avec tant de désespoir un sport, un être humain à l'intérieur d'un engin de fer sur une piste d'asphalte, s'amusant à dépasser ses camarades dans une course folle où seule une ligne d'arrivée compte ? Pourquoi une telle passion existe-t-elle alors que l'amour de Dieu est là, la plus noble des passions, celle de se consacrer à Dieu plutôt qu'à un quelconque sport.
Le cœur en chamade, après de longues prières, je m'écroule sur mon lit crasseux. L'écho des exclamations de la foule bourdonne dans mes oreilles, l'odeur imaginaire de la transpiration des pilotes chatouille mes narines. Elle me parvient, je la saisis, me l'approprie, et en éprouve la honte. Pourquoi l'odeur de transpiration de mon père, celle d'un homme respectable qui a passé toute une journée à l'usine pour garantir un repas, un toit et un avenir à son unique fils, me donne la nausée plutôt que la bouffée de gratitude qu'elle devrait susciter en moi ?
Je m'endors souvent sur ces pensées d'un fils ingrat.
Je me réveille, c'est un dimanche matin, conscient que le petit-déjeuner est destiné aux rois. Pour mon père, un journal sportif prime sur tout. Parfois, il regrette de privilégier l'achat d'un journal plutôt que de fournir quelque chose à manger à son fils, il répétait que je devrais manger mieux pour grandir correctement et avoir un physique apte pour le sport.
À neuf ans, ses absurdités m'échappaient encore un peu. Je m'assois devant lui, le ventre vide, et il me parle des dernières informations circulant sur Hermès Talaria, l'écurie d'excellence qui, selon lui, me correspondrait parfaitement.
Le directeur général, Pasquale Ricci, a été surpris dans un bar luxueux, mais bien caché, en compagnie d'une femme. Cependant, ce n'est pas n'importe quelle femme, mais Alessandra Soarina, la femme de son rival de toujours, Gabriel Soarina, le directeur de l'écurie Jaunri Lotus.
Le scandale de l'année et mon seul repas de la journée en pâtit.
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