Sanglantes retrouvailles
Il faut avoir lu les 17 premier chapitres pour comprendre. Et bon, y'a un peu de foreshadowing aussi.
Je précise pour ceux qui l'ont lue sur mon compte personnel que je l'ai réécrite.
"Patron, je sors!"
Les deux personnages présents dans la salle du trône sursautèrent au son de la voix grave et sèche qui venait de résonner dans l'immense pièce. L'un d'entre eux, tout vêtu de bleu et noir et assis sur un trône d'argent gravé, porta son regard sur le troisième des présents, un grand homme maigre aux cheveux bleu turquoise ébouriffés, appuyé dans l'encadrement de la porte principale. Ce dernier plissa les yeux devant le silence de son interlocuteur.
"J'ai dit, patron, je sors. Tu m'as entendu ou quoi? Vu qu'apparemment je suis censé te transmettre mes moindres faits et gestes."
Le porteur du titre, le grand homme maigre au teint mat revêtu de bleu et de noir, se redressa dans son trône, passant une main dans ses cheveux bruns. La créature à côté de ce même trône, elle, se crispa, effrayée. Il était un espion, simple variable dans la grande armée basée dans le Nord, simplement venu faire un rapport banal sur l'avancée du front. Un rapport n'était pas censé risquer de se faire au beau milieu d'une dispute entre deux des entités les plus puissantes du monde. Entités qui heureusement, s'étaient détournées de lui. L'une d'entre elles, l'homme qui le commandait, assis dans le trône des êtres clichés, souffla doucement, avant de lâcher d'un ton calme :
"- C'est vraiment le moment de nous imposer tes caprices, Mairù? Je vais avoir besoin de toi pour la prochaine offensive. Les généraux sont tenaces, ils ont réussi à abattre un des Grans Ortografeurs et à retrouver l'âme du prince récemment. Mon espion vient de me l'apprendre."
L'espion en question se crispa. Cette dernière phrase de son général et chef des clichés Kikoolol lui glaçait le sang. Il le mettait sur un piédestal et même si ce n'était pas volontaire, il se retrouvait ainsi à la merci de la colère du troisième lieutenant de l'armée des clichés, qui n'était pas connu pour sa clémence.
Lieutenant qui avait laissé échapper d'entre ses lèvres un soupir rude, son visage marqué par la guerre et la dégénérescence de son propre corps crispé dans une expression de pur agacement. On sentait aux crépitements qui retentissaient dans la salle à quel point cet agacement avait pris de l'ampleur au cours des derniers jours, depuis la mort de Sky Senerum, depuis que l'homme était cloîtré au palais par crainte qu'il ne récidive.
"-Écoute boss, je suis claustro. J'en peux plus de rester coincé dans ton palais pour raisons stratégiques. Si tu me laisses pas sortir, ça va finir par retourner dans ta gueule. De toute façon j'vais pas loin. Juste nettoyer un coup le plateau de ses espions éventuels. T'as compris?"
Foudroyant du regard son chef, il commençait à jouer avec une petite figurine d'un éclat argenté, qui commençait à émettre une légère fumée. Probablement une pièce d'échecs qu'il avait chipée sur un plateau, quelque chose qu'il faisait facilement en quête de distractions, et qui provoquait un énorme épuisement des stocks de jeux d'échecs complets dû à la destruction de ces dernières. Il faut dire qu'avec un bras composé à cent pour cent de magie, l'irascible lieutenant avait largement de quoi faire fondre la pièce.
Enfin, après quelques minutes à fixer son subordonné et meilleur atout avec une expression lassée, Kikoolol rendit les armes, un profond soupir teinté du plus pur agacement s'échappant de ses lèvres. Les traits de son visage s'étaient figés, impossible de savoir ce qu'il pensait. Réticence, acceptation, agacement, colère ? L'espion n'en avait aucune idée. Et l'autre non plus, probablement.
"-Très bien. Mais tu n'as pas intérêt à te montrer à l'extérieur du plateau. Ce serait dommage de griller mon meilleur atout."
Un léger ricanement s'échappa de la gorge de celui qu'on surnommait, à juste titre, le maître de la magie. Un crépitement électrique et un gémissement de terreur du cliché dans la pièce l'accompagnèrent.
"-T'inquiète patron. Je serai bien sage."
Et, sur ces mots, Mairù Claro détourna les talons et sortit de la salle d'un pas vif, sa longue blouse tachée de produits divers flottant derrière lui, la démarche marquée par une excitation croissante. Il n'était pas sorti depuis si longtemps....
Dans la pièce, l'espion se tourna vers Kikoolol avec une expression apeurée. Ce dernier lissait l'hermine de son manteau avec une nonchalance incroyablement bien jouée. Seul, le petit tic qui agitait son œil gauche indiquait son inquiétude. Une inquiétude justifiée au vu des antécédents de Mairù au cours de cette guerre. Décès de Sky, supposée participation à la bataille qui avait coûté la vie à Sretaz. Et d'innombrables morts dans les environs des Plateaux qu'on savait tous à qui attribuer. Au vu de tant de données, une question s'imposait à l'esprit du cliché, une question que même le respect et la peur qu'il éprouvait envers son roi n'empêcherait de sortir.
"-C'est vraiment prudent de le laisser aller dehors ?"
Le chef des clichés soupira avec une profonde lassitude, et marmonna d'une étrange voix atone:
"– Je préfère qu'il anéantisse des ennemis plutôt que nos soldats."
Étrangement, l'espion n'était pas convaincu. Mais d'un autre côté, qui le serait avec Mairù Claro désormais lâché dans la nature ?
De l'extérieur de l'immense palais de Kikoolol, le maître de la magie prit une profonde inspiration, s'emplissant le corps d'air pur et de magie ambiante, tant de choses qui lui avaient manqué. Enfin, enfin, après tant de temps cloîtré dans cette maudite forteresse, il était dehors. Et il comptait bien profiter de son moment de liberté.
Marchant d'un pas lent sur les sentiers montagneux des Plateaux des Clichés et caressant quelques animaux au passage, Mairù tentait de repérer un de ces fameux ennemis, prêt à lui réserver un sort atroce si il avait la malchance de croiser son chemin. Il n'était pas bon de se balader dans les Plateaux pour un soldat de l'armée grammaticale, même si rares étaient ceux qui s'y risquaient depuis la mort de Sky et de son régiment entier. Lina avait dû prendre des mesures pour révéler la réelle nature du danger qui les menaçait, se disait-il. On leur signalait toujours quelques téméraires, mais bien moins qu'auparavant, à l'époque ou la mort de Sretaz, anéantissant le moral de la moitié des troupes, leur avait fait perdre du terrain. Alors Mairù se disait, il avait toujours une chance de tomber sur un malheureux espion trop fouineur? Qui ne comprendrait même pas que sa dernière heure était arrivée.
Mais le nombre incalculable d'animaux qui s'approchaient de lui pour quémander une caresse ou un peu de nourriture lui indiquait très clairement que personne ne rôdait dans les environs. Les seules traces de pas dans la neige étaient celles des quelques rares bêtes des Plateaux qui, en ce plein mois de février, n'hibernaient pas, et sortaient de leur trou. Quelques cerfs, des oiseaux sédentaires, et même un ou deux lapins des neiges sortis de leur trou, se laissant guider par l'odeur et l'aura de Mairù, qui semblait les attirer encore plus que des papillons par une flamme. Bientôt, le jeune homme fut entouré de cerfs et eut des oiseaux jusque dans les cheveux, pépiant dans ses oreilles, mais toujours aucune trace d'ennemi.
Détendu malgré tout, le maître de la magie se pencha pour caresser un lapin. Un souvenir lointain lié au petit animal le fit doucement rigoler, un rire sincère qui ne tarda pas à résonner dans toute la clairière où il s'était arrêté. Rire auquel se joignirent rapidement les brames des cerfs et les pépiements des oiseaux, dans une harmonie étrangement naturelle.
Mairù se sentait bien, à cet instant. En communion avec une nature amicale, aux côtés d'êtres qui l'acceptaient malgré tout ce qu'il avait pu faire dans sa courte vie. Il se sentait à sa place. Simplement heureux d'être là, pour changer. Une impression qu'il ne ressentait plus que rarement, ces temps derniers, qui était bien trop précieuse à ses yeux pour espérer l'interrompre par un ennemi.
Et c'est à cet instant que retentit le craquement.
Il est dit que c'est lorsqu'on refuse que quelque chose prenne fin que cette issue s'impose à nous, inévitable, et que c'est lorsqu'on cesse de chercher à obtenir quelque chose que l'objet de nos désirs se présente face à nous. Mairù, maintenant, allait prouver ces deux expressions anciennes. A ses dépends.
À peine le son de la branche cassée se fut-il propagé jusqu'au lieutenant et ses compagnons que les oiseaux s'envolèrent dans un piaillement affolé et les cerfs se précipitèrent à l'abri des bois, interrompant la symbiose du jeune homme d'une manière tellement abrupte que son humeur replongea dans les tréfonds d'une rage noire. Tiré d'une rêverie assez douce, il eut un spasme sec achevant de faire fuir les derniers oiseaux coincés dans sa tignasse turquoise, pour voir le dernier des lapins s'abriter dans un fourré. Ce qui lui fit serrer les dents. Fort.
Analysant le schéma de fuite de ses compagnons animaux, il ne tarda pas à trouver la source du bruit, vers laquelle il se dirigea d'un pas lourd, sans se préoccuper du bruit qu'il pouvait faire. Les feuilles mortes et la neige craquaient sous ses pieds à un rythme soutenu, révélant instantanément sa position à quiconque était doué d'un minimum d'ouïe, mais il n'en avait cure. De toute façon, il trouverait la source.
Une odeur métallique ne tarda pas à s'imposer à ses narines, le plongeant dans un simili état d'excitation prenant pas sur sa rage. De tout temps, ces relents de métal ne pouvant appartenir qu'à un écoulement de sang avaient eu un effet néfaste sur lui, stimulant ses sens et éveillant un instinct qu'il avait si longtemps tenté d'oublier. Surtout ce qui ne pouvait être que du sang voyageur. Là, dans les buissons tout proches de sa position, il y avait quelqu'un. Quelqu'un de blessé. Et puisque la plupart des voyageurs ne suivaient pas Kikoolol dans sa quête, incapables qu'ils étaient de voir le vrai but de ce dernier, c'était forcément un ennemi.
Un ennemi bientôt mort.
Ses traits de plus en plus tordus en un sourire fou, les nerfs pulsant d'excitation à en faire crépiter son essence, Mairù écarta les branches du buisson séparant la clairière de l'orée de la forêt, juste assez pour passer la tête entre ces dernières sans être repéré dans malheureux sur qui il allait tomber. Et se figea net.
En face de lui, appuyés contre un des plus vieux arbres du champ de vision du lieutenant, se tenaient deux personnes d'âge mûr, l'air effrayés et perdus. Aucun des deux ne semblait avoir repéré le jeune homme, tout occupés qu'ils étaient à panser leurs blessures et récupérer des plantes. L'homme, ses longs cheveux bleu ciel ébouriffés et couverts de saletés lui cachant le visage, fouillait dans des racines et y dénichait des champignons, sans se préoccuper de son costume déchiré ou de son haut-de-forme percé par les ronces. Semblant épuisé, il releva la tête et s'épongea le front, dégageant de son visage ses mèches rebelles et révélant un regard bleu vif que Mairù avait instantanément reconnu et haïssait du plus profond de son être.
L'autre, une femme aux cheveux roses et courts et portant un masque lui couvrant la moitié droite du visage, était davantage aux aguets que son compagnon. Malgré une blessure au côté qu'elle tentait de désinfecter avant de soigner, ses yeux roses et fins balayaient la zone avec empressement et peur. Elle avait probablement entendu les craquements des feuilles sous les pas de Mairù, puisqu'elle serrait dans sa main terreuse et ensanglantée une dague rouillée. Elle aussi était en piètre état. Une robe de cocktail rouge et échancrée, qui semblait avoir très mal vieilli à en juger par les déchirures et la décoloration du tissu, n'était pas l'idéal pour vivre en forêt.
Mairù connaissait ces visages, seigneur Créateur il les connaissait. Chaque nuit les horribles souvenirs qui leur étaient rattachés le faisaient hurler de terreur et de rage, plus vivides à chaque rêve qu'il faisait. Chaque nuit les gémissements d'un enfant le sortaient de son sommeil, avant que ne se télescopent devant lui un air autoritaire et une badine, et un visage haineux qui aurait dû aimer. Et il tenait finalement, là, entre ses mains, la chance de se purger des horreurs qu'il avait vécu alors qu'il n'était âgé que de trois ans. De tirer un trait sur huit ans de souffrance, huit ans qui l'avaient forgé en le monstre qu'il était.
Alors il se redressa et s'avança dans l'obscurité de la forêt, faisant face à son père et sa belle-mère, son corps entier contracté et prêt à frapper tel le chat qui avait acculé sa proie.
Lore Claro fut la première à le repérer. Son cri de surprise s'étrangla dans sa gorge avec le sang qui venait de l'emplir, giclant des blessures causées par un des tentacules de l'entité enragée. Tentacule qui se ramifia à l'intérieur même du corps de sa cible, faisant exploser des organes vitaux et faisant jaillir de nouveaux geysers de sang, rouges sur le blanc de la neige. Sauf qu'à peine les tentacules retirées du corps désarticulé, celui-ci se reconstitua à grande vitesse, laissant une victime pantelante et terrifiée mais intacte.
Alors Mairù se tourna vers son père, animé par une rage noire et sanglante, ses yeux turquoise se plantant dans ceux, bleus, de celui qui l'avait engendré. Ce dernier émettait une magie très particulière, azur aux yeux du maître de la magie, qui vivifiait toute la forêt autour de lui. Les blessures de Lore se refermaient, les arbres verdissaient, des fleurs et des fruits poussaient. L'hiver reculait. Le jeune homme pouvait même sentir ses dégénérescences se réparer. Alors que, devant lui, droit dans ses bottes déchirées et les bras le long du corps dans une posture relâchée, Gabriel Claro, son père, le fixait avec regret.
C'est ce regard, plus que tout autre chose, qui poussa le lieutenant de l'armée de Kikoolol au summum de la rage. Son père n'avait pas le droit de le fixer ainsi. Il avait perdu ce droit dès qu'il avait cessé de se considérer comme tel. Il avait perdu ce droit au moment où il s'était persuadé qu'il n'avait pas de fils. Au moment où il avait laissé Mairù seul entre les mains de l'odieuse belle-mère, contraint aux pires entraînements et aux pires atrocités, sans jamais tourner vers lui que cet œil empli de haine, de haine, de haine, de dégoût, de haine, tant d'émotions que jamais un enfant ne veut voir sur le visage de celui qui l'avait engendré.
Grondant comme un chat sauvage, le fils lésé leva la main, prêt à infliger le coup fatal à son père. Il attendait ça depuis tellement d'années. Depuis tellement de sévices, tellement d'horreurs, de larmes, de malédictions, de sang. Tant de choses entraînées par l'homme en face de lui, son géniteur, celui qui choisissait qui avait le droit de l'appeler "papa". Mais quelque chose stoppa le rayon prêt à sortir de sa paume, prêt à déchiqueter l'homme indigne devant lui, prêt à en finir. Et à la place, ce furent des mots qui sortirent, les mots de l'enfant qu'avait été Mairù.
"Tu as perdu le droit de me dévisager de la sorte au moment ou tu a décidé que j'avais causé ta ruine."
Son grondement résonna dans toute la forêt, tournant vers lui le regard de Lore et s'attirant un sourire de Gabriel, un sourire teinté de tristesse et de déception. Encore. Encore de la tristesse, encore de la déception, encore un déni de son existence, de ses besoins. L'entité serra les poings, de plus en plus fou de rage. Il était maintenant au bord des larmes, les flux partant en tout sens. Tant furieux qu'il en était prêt à causer la mort de la nature qu'il avait tant aimée.
"Ça t'amuse, c'est ça, hein? Tu t'en fichais bien de moi, dès le début je n'étais qu'une anomalie, un vulgaire bug dans la matrice qui t'a privé de ta femme! Un être tout juste bon à regarder souffrir tandis que ton cadet, le favori, ah ça tu le gâtais, hein, vieux con?!? Pas vrai?!?!?"
Et Mairù continuait sa tirade, des larmes qu'il ne pouvait plus retenir s'échappant en cascade de ses yeux, son essence bouillonnant de toute la colère rentrée qu'il avait accumulé durant vingt-deux longues années. Alors que son géniteur le fixait en silence et que sa belle-mère retenait tout juste un rire moqueur. Bien sûr qu'elle riait. Voir la souffrance de son pion favori l'avait toujours amusée au-delà du possible.
Mais Mairù n'était plus un pion.
Plus jamais.
L'attitude de la femme ne lui échappa pas. Et, dans son reste de lucidité, il savait qu'il ne pourrait rien tenter si son père continuait d'émettre cette aura. Alors il se tut. Se dirigea vers lui d'un pas rapide. Et tendit sa main intacte, la gauche, pour attraper Gabriel par le cou et le soulever du sol, figeant instantanément ses flux de magie. Autour de lui, la terre jaunit, les feuilles partirent en poussière et les arbres se flétrirent à vue d'œil, signalant le retour de l'hiver. Et le bruit de Lore crachant du sang acheva de renseigner Mairù sur le bien-fondé de son initiative.
Un tentacule transperça la deuxième femme Claro sans un regard de son bourreau et elle s'effondra au sol dans un bruit sourd, tandis que la prise du fils se resserrait sur le cou de son père. Le jeune homme était désormais à quelques centimètres du visage du paternel tant honni.
"Et qu'est-ce que tu comptes faire, maintenant, vieux con, hein, maintenant que je te tiens enfin? Prêt à rejoindre maman? J't'en prie, j'adorerais te donner ce plaisir!"
Le sourire qui tordait ses lèvres n'était en aucun cas le reflet d'une quelconque joie. Il désignait toute la colère, toute la tristesse, toutes les attentes déçues que Mairù tenait désormais entre ses doigts, un léger flux de sang contre sa peau meurtrie témoignant de la vie qui habitait encore celui qui les incarnait. Il n'était plus que rage et douleur, une douleur qu'il ne s'expliquait pas. Pourquoi avait-il si mal, alors qu'il s'expliquait enfin avec son exécrable paternel ? Pourquoi ne ressentait-il aucune jubilation en captant le pouls, si vif et pourtant si fragile, de la proie qu'il avait entre ses mains ? Le tortionnaire était devenu torturé, la victime le bourreau. La tendance s'inversait enfin, Mairù s'affranchissait des liens qui l'avaient immergé dans une spirale de haine,d e souffrance, de monstruosité.
Gabriel toussa légèrement et posa sa main droite sur celle de son fils, sans doute dans l'espoir de desserrer une prise toujours plus ferme. Le contact parut chaud à Mairù, qui ne s'était pas rendu compte du froid glacial qui l'avait envahi. Et puis, il sourit de nouveau, et quelques mots prononcés d'une voix rauque sortirent d'entre ses lèvres gercées.
"– Mairù....."
Ce dernier sentit son corps se pétrifier sous le coup de la rage. Pourquoi il prononçait son nom? Il n'avait pas le droit de prononcer son nom. Il n'avait pas le droit de faire comme si c'était son père. Ce n'était pas son père. Il n'avait pas le droit. Il n'avait pas le droit. Il allait perdre ce droit. Il n'avait rien à exiger de lui. Et surtout pas de prononcer un nom qui avait été donné en signe de haine et de mépris. Le terme "chaos" en une très, très ancienne langue. Quelle ironie, n'est-ce pas ? Quelle ironie pour Mairù, pour Gabriel, pour Wattpadia tout entier.
"....Tu as tellement grandi.....
–Tais-toi!"
La gifle assénée par le maître de la magie fou de rage, infligée par sa main droite bouillonnante de fureur, déchira les chairs du père indigne et fit jaillir un geyser de sang sur l'entité qu'il avait engendrée. Ce dernier lui hurlait, un hurlement étranglé par la colère et les larmes. Sa dernière barrière avait cédé. Il n'était plus que rage et hurlements, que souffrance et désespoir. Comment osait-il ? Comment osait-il ? Comment pouvait-il penser qu'il avait le droit de lui dire ça ? Il n'avait été un père que pour Baku, pour Mairù seulement une crainte, un regret, un étranger qui le haïssait sans même qu'il ne comprenne pourquoi. Il n'avait pas le droit. Il n'avait pas le droit. Il n'avait pas le droit.
"Tais-toi, tais-toi, tais-toi, tais-toi, tais-toi, tais-toi, tais-toi, TAIS-TOI!"
À chaque nouveau cri de rage, un nouveau coup frappait Gabriel Claro, ex-médecin le plus talentueux du monde, et faisait jaillir une nouvelle gerbe de sang. L'odeur métallique se raffermit, le rouge recouvrit la blouse de l'enfant lésé, de l'adulte marqué. Mairù continua longtemps, très longtemps, transformant le visage de celui qui fut son père en une bouillie informe, recouverte d'hémoglobine. Il ne cessa que lorsque la respiration de sa victime ne cessa de lui parvenir aux oreilles. Ses joues étaient recouvertes de larmes, blessées par la magie qu'elles contenaient. Il n'était plus sûr de ses perceptions, sa vision était floue. Avait-il autant abîmé le visage de Gabriel, ou était-ce simplement sa vision troublée ? Il ne contrôlait même plus ses sanglots. Plus rien, plus rien, plus rien, tout partait en vrille, tout s'échappait de son corps en même temps que le ressenti scellé depuis tant d'années.
"Tais..... Toi......"
Finalement, ses géniteurs étaient morts tous les deux, tous les deux de sa main. Et, à côté du cadavre de sa belle-mère, alors qu'il tenait dans les mains le corps désarticulé de son père, Mairù Claro, fils aîné des Claro et septième maître de la magie au monde, avait enfin obtenu sa vengeance.
Et loin de ressentir le soulagement, la jubilation dont il avait tant de fois rêvé, alors que son père le laissait seul et sans nourriture bébé, le regardait avec ces yeux emplis de colère rentrée, alors que sa mère le faisait ployer sous ses coups et sa domination, l'obligeait à torturer son propre frère, enfant somme toute innocent à l'époque, tout ce qu'il éprouvait, c'était un immense et horrible vide. Comme si on venait de lui ôter quelque chose de capital. Comme si on lui avait tout ôté.
Rentré au palais de Kikoolol bien avant l'heure prévue, la blouse recouverte de sang et les joues blessées par ses larmes, il croisa ce dernier dans les couloirs. Il y voyait encore trouble et ne savait plus où il en était. Mais ça ne l'empêcha pas de remarquer les sourcils haussés du chef des clichés.
"– Qu'est-ce que tu fais là si....
– Pousse-toi!"
Sans même lui accorder un regard, l'entité bouscula son chef et le laissa planté là, se dirigeant d'un pas rapide vers sa chambre. De retour dans un environnement un semblant familier, il claqua la porte dans un bruit lui vrillant les tympans, avant de s'effondrer sur son lit, et de laisser échapper d'entre ses lèvres un horrible hurlement de douleur, un cri de bête blessée.
Allongé sur son lit, les vêtements recouverts du sang de son père, sa dernière phrase tournant en boucle dans sa tête à le rendre dément, Mairù Claro laissait échapper toute la douleur et la rage accumulées durant de longues années, les larmes tombant en cascade sur ses joues et les doigts crispés sur ses couvertures. Vidé, dénué de sens. Sans plus savoir où il en était.
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