La fureur du maître
Il faut avoir lu les 25 premiers chapitres pour comprendre.
Voilà bien plusieurs heures que l'entité tournait en rond, seule dans sa tente, avec comme seules sources de distraction du stress qui l'assaillait qu'un hurlement presque rythmé provenant de la tente à côté. La tente de son chef, même si chef restait un bien grand mot pour Mairù Claro, qui ne se sentait pas la moindre loyauté à l'égard de cet homme. Il ne restait qu'à cause de leurs intérêts communs. L'Amour.
La quête de la mort de l'Amour qu'avait entamé Kikoolol restait secrète à un point tel que seules quatre personnes étaient au courant de tout Wattpadia. Ces trois personnes étaient Optrik, qui à force d'espionnage avait fini par en savoir plus, le Rat, à qui Kikoolol avait révélé son but pour s'en assurer la loyauté, Kikoolol lui-même, et lui, Mairù, qui savait très bien qu'il ne serait pas resté aux côtés de clichés et d'hommes qu'il méprisait pour une simple guerre wattpadienne. Un moment, il s'était senti fier d'être dans la confidence, même si comme Optrik, il n'avait reconstitué les pièces du puzzle qu'en écoutant aux portes de la Forteresse du Nord. Mais aujourd'hui, alors que Kikoolol, aussitôt rentré, s'était précipité dans sa tente et s'était mis à hurler, alors que les Grans Ortografeurs, de même qu'Optrik, étaient introuvables, et qu'une rumeur sur la mort d'une deuxième générale se répandait dans le campement, Mairù n'avait jamais autant maudit ce damné projet, et sa damnée présence au cœur des clichés, piégé là par un sceau de trop grande puissance pour qu'il puisse l'éclater en suffisamment de temps. Une précaution, avait dit Kikoolol. Histoire de ne pas révéler ses meilleurs atouts trop tôt. Non. Lui, il savait que c'était par peur.
L'air crépitait autour de Mairù alors que les rumeurs s'amplifiaient encore et encore, et un hurlement bien plus puissant que les autres lui fit briser son vœu de rester dans sa tente. Il sortit en coup de vent, débouchant sur la plaine qui bordait l'entrée des Plateaux, où le campement avait attendu Kikoolol après sa mission au Grand Temple du Créateur. Le vent d'hiver lui caressa les joues, et il sentit un frisson courir sur sa peau, vestige d'une ancienne réaction à un froid qu'il ne sentait plus. Autour de lui, les clichés étaient en effervescence. Il vit même le majordome courir vers la plus grande des tentes, la tente de Kikoolol, avec un empressement qui en disait long sur son état intérieur.
Mairù prit le temps de regarder autour de lui, les yeux plissés, cherchant à repérer des rumeurs qui l'intéressaient. Coincé aux plateaux après avoir tué Sky, incapable de s'éloigner du majordome, seul cliché restant à la base en permanence, après qu'on ait retrouvé le cadavre de Lore Claro sur le versant de la montagne, cadavre clairement signé par le meurtrier, c'était bien tout ce qu'il pouvait faire. Ecouter, assimiler, apprendre. Pas réagir. Il n'avait pas encore trouvé la combinaison magique pour briser un sceau de Kikoolol, qui dissimulait bien une nature exceptionnelle derrière un voile de magie clichée. Il ne lui manquait que quelques clauses à la formule. Quelques clauses, ce n'était pas suffisant.
Il soupira, avant d'aviser une des Mary-Sue qui traînait dans le coin, leur chef, à en juger par l'insigne qui ornait son étrange armure. Un second regard lui apprit qu'il s'agissait bien de Serenity Darkmoon Raven, récemment promue, et l'une des clichées femelles les plus casse-pieds de tout le multivers. Malgré tout, d'après les rapports qu'elle tenait entre les mains et la quantité d'espions ninjas qui l'entouraient, elle devrait en savoir plus que le cliché lambda sur la situation actuelle.
Serenity n'avait sans doute pas l'habitude de le voir approcher de son propre chef, puisqu'elle écarquilla les yeux lorsqu'il réduisit la distance. Tous les ninjas, les yeux brillant d'une terreur absolue et si surprenante sur un visage masqué, disparurent et la laissèrent approcher de Mairù avec un empressement qui aurait semblé étrange à n'importe qui d'autre connaissant la nature actuelle de leur relation. Mais Serenity était une clichée. Et apparemment, les menaces de se faire vaporiser séance tenante n'étaient rien comparées à l'étrange attirance qu'elle éprouvait pour lui.
Reprenant un peu contenance lorsqu'ils se retrouvèrent face à face, Serenity le salua d'un signe de tête, n'osant pas dire un mot de plus qu'un simple bonjour. Bien, se dit Mairù, elle n'était pas si bête au final. Elle avait compris que sa vie était sur le fil du rasoir après qu'elle ait tenté de le violer, avec un échec absolument retentissant. Mais en l'occurrence, ce n'était pas la vengeance qui l'attirait ici.
Il grommela.
" --- Oui, Serenity, bonjour, je sais, blablabla. Je suis pas là pour discuter de ta mort prochaine. T'as des nouvelles de Wake'li ?"
La clichée souffla, et son visage se tordit en une expression étrange, entre la joie et.... La terreur, Non, vraiment, cela ne lui disait rien de bon. Voyant l'hésitation de la jeune femme aux longs cheveux noirs, il fit crépiter quelques étincelles sur le courant de son bras droit, la faisant sursauter, avant de la fixer d'un œil plus froid encore que les glaciers de Tor'haël. Elle saisit vite le message. Bonne fille.
" -- Pas vraiment, seigneur Mairù. Le seigneur Kikoolol est revenu de son expédition au Grand Temple du Créateur en annonçant avoir tué Lina Blackheart, mais..."
Il n'entendit pas la fin de la phrase.
Trois mots.
C'était tout ce qu'il avait retenu.
"Tué Lina Blackheart".
Il n'avait aucune idée de la nature de l'expédition de Kikoolol, mais une chose était sûre, il s'était permis l'acte de trop. Laissant Serenity en plan, il se précipita vers la tente de Kikoolol, prêt à hurler de rage sur la bêtise de celui qu'il avait cessé de considérer comme son chef.
Son hurlement fit écho à celui de Kikoolol alors que le majordome, un air impassible digne d'admiration sur son visage lisse, sortait de la tente. Douleur pour Kikoolol, rage pour Mairù qui évacuait toute une colère, toute une frustration accumulée pendant des mois et des mois d'attente et de tension sur l'homme en face de lui. Du moins si Kikoolol était toujours un homme. De l'extérieur, il avait exactement la même apparence que d'habitude, le teint mat, les cheveux noirs, les yeux bleu glacé. Pourtant, il fallait posséder cette affinité particulière avec la magie que seuls les maîtres avaient pour remarquer les légères vibrations sur la peau de Kikoolol, ou un léger désaccord entre les ombres et les lumières sur son visage crispé. Quelque chose que Mairù serait probablement le seul à repérer en temps normal, à l'exception du majordome peut-être. La marque d'une illusion de grande puissance sans contact avec la peau.
La surprise de voir l'homme recouvert d'un sort d'illusion dont seules les liches avaient l'utilité fit marquer un léger temps d'arrêt à Mairù. Seulement une seconde. Une seconde avant qu'il ne se saisisse du col du vêtement de son aîné et le le soulève dans les airs, avec un grondement digne des plus terrifiants dragons.
" -- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?!?"
Kikoolol resta silencieux quelques secondes, quelques secondes qui ne firent que monter le niveau de rage de Mairù au-delà du supportable. Il était à deux doigts de vérifier si son interlocuteur était vraiment devenu une liche, à sa manière explosive bien connue des autres. Mais avant qu'il ne puisse concentrer ses flux, l'autre soupira, avant de marmonner :
" -- J'aimerais bien savoir de quoi tu parles, Mairù. Quoique j'ai ma petite idée. Mais vas-y, explique toi, qu'est-ce qui justifie ce coup de colère ?"
Crier ou faire exploser l'homme pendu par son col en face de lui, le choix était difficile. mais la dernière once de bon sens de Mairù choisit de hurler, faisant gagner un sursis à Kikoolol.
" -- Tu plaisantes j'espère ? Lina Blackheart morte de ta main, ça ne te dit rien, peut-être, pauvre con ?!?"
De nouveau, douleur abyssale, masque de souffrance sur ce qui était désormais une illusion. Mairù se doutait bien que sans sa rage, il aurait affiché le même masque. Dire la chose ne faisait que l'officialiser, la rendre réelle dans sa tête. Lina Blackheart morte. Lina morte. Sa Lina partie, dans l'Autre Lieu à tout jamais, sans qu'il ne puisse vraiment espérer la rejoindre. Maudit Kikoolol. Maudite Mort et ses lois sur l'Autre Lieu lui assurant le purgatoire pour une bonne partie de l'éternité. Maudite Amour et ce qu'elle lui avait inspiré. N'était-il pas mieux du temps ou il n'aimait personne ?
Kikoolol, les dents serrées, laissa de nouveau passer quelques secondes. Avant de marmonner, d'une voix atone :
" -- Elle est morte. Oui. Mais ce n'est pas moi qui l'ai tuée. Mort lui a rendu la vie peu après mon départ. Pour qu'elle la reperde aussitôt, maudit soit Optrik. Il nous a trahis."
La rage retomba un peu. Kikoolol n'était donc pas responsable. Du moins dans un sens, car la Mort redonnant vie était une chance extraordinaire. Lina aurait dû
mourir à ce moment là. Pourtant, la chance qui lui avait été offerte avait été reprise par ce sale chien d'Optrik. En moins de deux secondes, sa rage avait changé de cible. Peu lui importait le présumé sac d'os prostré entre ses doigts, désormais. Il ne voulait plus annihiler qu'Optrik. Et Optrik, contrairement à Kikoolol, ne serait pas un problème.
Il lâcha sèchement la loque qu'était désormais son ancien chef sur le sol, où il se recroquevilla dans un silence de mort des plus adaptés à son état, avant de sortir et de chercher Serenity. Il devait savoir où se trouvait Optrik. Maintenant. Plus il en saurait, plus il serait facile de lui tomber dessus après avoir brisé ses deux sceaux de contention. Et Serenity semblait la plus renseignée sur le sujet.
Serenity semblait le chercher, puisque à peine fut-il sorti de la tente, elle se précipita vers lui d'une démarche chaloupée. Une longue cape qu'elle ne portait pas il y a quelques instants flottait dans son dos, recouvrant ses formes. Même son armure semblait plus couvrante. Il y avait visiblement du nouveau.
La clichée prit une profonde inspiration, puis se lança avant même que Mairù ait pu lui poser la moindre question, l'air essoufflée au possible. Comment avait-elle trouvé le temps de changer de vêtements et de le chercher en même pas cinq minutes ? Il ne savait même pas le temps qu'il avait passé à décharger sa rage sur son ancien chef.
" -- .... Vous.... hhh.... Vous ne m'avez pas laissé le temps de terminer, seigneur Mairù ! Je voulais vous dire qu'elle a ressuscité par un moyen que j'ignore et qu'Optrik l'a capturée, après avoir échoué à la tuer ! Visiblement, il fait aussi une battue pour dénicher les deux autres généraux, et d'éventuels complices, avec comme prétexte l'assassinat du roi !
-- Sauf que nous savons, toi comme moi, que ce n'est pas Lina qui aurait pu tuer Style de Wattpadia, pas vrai ?"
Il avait renchéri immédiatement, grinçant des dents à l'accusation déguisée de Serenity autant qu'à ce que ces nouvelles sous-entendaient. Optrik avait vraisemblablement décidé de faire cavalier seul, et le fait que Kikoolol ne savait rien du véritable devenir de Lina en disait long sur les réels objectifs de l'Inquisiteur. Il avait fait sécession, et fait en sorte de mettre l'assassinat de Style sur son dos pour se débarrasser d'elle. Et ensuite, avoir le champ libre pour anéantir Kikoolol et régner sur Wattpadia en entier.
La mine sombre de Serenity confirma ses doutes.
" -- Oui... D'après mes espions sur place, qui avaient enfin réussi à pénétrer dans la capitale, il a distribué un édit le plaçant à la tête du royaume et accusant les généraux et quelques officiers de l'armée de haute trahison. Je me dois de préciser qu'il va être impossible pour eux de prouver le contraire : Les Grans Ortografeurs ont échappé à tout contrôle, le nôtre comme le sien. Et Intrigue est morte. Optrik ne joue plus la comédie. Le moindre chef d'accusation qu'il pourra faire peser sur Lina Blackheart, il en jouera."
Le bref soulagement qui avait envahi Mairù à l'entente de la nouvelle de la survie de son plus précieux trésor s'évanouit, comme chassé par un coup de vent. Il ne fallait pas être très observateur, lorsqu'on avait côtoyé Optrik Sin, pour savoir qu'il éprouvait le même amour absolu et sans limites pour Intrigue que Mairù pour Lina. Et Optrik n'était pas homme à s'infliger des années d'entraînement psychologique des plus pointus pour contenir la puissance des émotions entraînées par ce sentiment. Il y avait, en même temps, tant de zones d'ombres dans l'histoire de Serenity. Comment Optrik avait-il pu s'assurer une place sur le trône alors que Style comme Intrigue réprouvaient la Flamme, comment avait-il pu préparer son coup en assurant son soutien qu'on pensait infaillible à Kikoolol, pourquoi celui-ci n'était-il au courant que de la partie sur la mort de Lina.
Tout ça n'avait eu lieu qu'en l'espace que quelques heures. Il ne s'étonnait pas de la vitesse avec laquelle les clichés relayaient l'information, c'était bien une caractéristique de leur peuple. Et un malentendu était si vite arrivé avec une telle vitesse de relais. Peut-être Kikol n'avait-il reçu qu'une part des informations, et au jugé de la crispation générale du corps entier de Mairù, Serenity n'allait probablement pas risquer d'aller dans la tente de son chef. Elle n'était pas idiote au point de balancer n'importe quelles nouvelles, n'importe quand.
Mais il était probable que dès l'instant où il l'apprendrait, lui, Mairù Claro, se retrouverait de nouveau plus confiné que jamais, encore tenu à l'écart des géniaux plans du chef des clichés pour tirer sa Lina de là, et détrôner Optrik. Il n'aurait pas la satisfaction de lui faire voler la tête. Il n'aurait pas la satisfaction de déchaîner une puissance trop longtemps contenue, dirigée que ce soit contre les clichés ou contre le Grand Inquisiteur. Il n'aurait pas la satisfaction de revoir Lina avant de se retrouver de nouveau mis au placard. Il serait écarté, probablement placé sous une suite de sceaux plus complexes les uns que les autres, alors que Kikoolol rentrerait aux Plateaux avec les honneurs et sans doute la satisfaction d'avoir sauvé une générale et remis les allégories sur le trône, de quoi excuser tout ce qu'il avait pu commettre.
Écarté comme une arme dont on a perdu le contrôle.
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