55. Prisonnier


Le lendemain, dès neuf heures, le groupe scolaire retrouva leur guide devant l'entrée de la grotte volcanique. Tous les élèves portaient des vêtements chauds et de bonnes chaussures pour éviter les chutes. Dans ce genre d'endroit, le sol pouvait se révéler glissant et la différence de température était particulièrement importante en été.

Alors que le vieux monsieur monologuait sur les nombreuses mesures de sécurité, Jungkook ne pouvait s'empêcher de remuer, alternant de façon excessive ses appuis. Jambe gauche, jambe droite, jambe gauche... Un manège qui ne passa pas inaperçu auprès de Jimin.

– Kook, tu as peur ?

– Je n'aime pas les espaces confinés... Tu restes avec moi ?

– Bien sûr !

Jimin lui offrit un sourire rassurant, avant de se mettre sur la pointe des pieds pour observer tout autour d'un air soucieux.

– Tu ressembles à un suricate, lâcha Yoongi qui surgit derrière eux.

– Un suri... s'étrangla Jimin, avant de laisser tomber sa remarque. Bref, peu importe.

Il recula d'un pas pour le prendre en aparté.

– Dis, tu as vu Taehyung ?

Yoongi désigna l'avant du groupe d'un coup de menton. Jimin maugréa entre ses dents.

– Bon sang, mais à quoi il joue ?

Malgré sa volonté d'être discret, le nom de Taehyung ne manqua pas de trouver chemin jusqu'aux oreilles de Jungkook, qui baissa le regard sur ses chaussures, le cœur serré. Lorsqu'il s'était réveillé ce matin, Taehyung avait déjà disparu de la chambre et il ne s'était pas non plus présenté au restaurant pour le petit-déjeuner. Il avait espéré lui parler une fois dans le bus, mais encore une fois il s'était confronté à un mur : Taehyung lui était passé devant pour s'asseoir au fond du véhicule.

– Ne te prends pas la tête, Kook, ça lui passera, lui souffla Jimin en voyant sa mine abattue. Tu sais bien qu'il est un peu lunatique.

Jungkook se força à lui sourire, quand bien même le cœur n'y était pas. Comment diable pouvait-il ne pas se prendre la tête ? En plus d'être rejeté, il se sentait complètement impuissant ! Il aimait à croire que ce n'était qu'une passade et qu'il lui suffisait d'être patient, mais il redoutait tellement que Taehyung redevienne le garçon froid, agressif et si changeant qu'il avait connu...

Il se frotta rapidement les yeux et suivit la classe lorsque celle-ci pénétra à l'intérieur de la grotte. L'humidité le prit aussitôt à la gorge. Il plissa le nez, dérangé par l'atmosphère lourde et inhospitalière.

– Le tube de lave de Manjanggul est le douzième plus long du monde. Il s'étend sur plus de huit kilomètres, mais seulement un est accessible au public...

Dès l'instant où ils étaient entrés, le guide s'était mis à retracer l'histoire des lieux. Jungkook avançait lentement sans l'écouter. Il priait de tout son cœur pour que la visite se termine au plus vite.

– Cette grotte a été découverte par hasard en 1947. Les chercheurs ont réussi à déterminer la date approximative de sa formation, qui remonterait à plus de deux cent mille ans, lorsque...

Un pied après l'autre, le regard rivé sur le sol, sa concentration était intégralement réservée au maintien de son équilibre. Malgré les diodes colorées qui éclairaient les murs rocheux, la grotte restait encore trop sombre à son goût et il avait peur de tomber. L'endroit le mettait cruellement mal à l'aise, quand les autres élèves, eux, semblaient enthousiasmés par ce qu'ils voyaient.

À mesure qu'ils s'engouffraient plus profondément, son sentiment d'oppression ne fit qu'enfler dans sa poitrine. Bientôt, son imperméable ne lui offrit plus aucune protection contre le froid. Alors il se colla instinctivement au corps de Jimin, en quête de sa chaleur.

– Jungkook, ça va ?

L'inquiétude dans la voix de son ami l'obligea à hocher la tête pour ne pas l'alarmer davantage. Mais Yoongi, juste derrière, s'enquit à son tour :

– Tu veux qu'on demande au prof si quelqu'un peut te raccompagner dehors ?

Jungkook s'apprêta à refuser mais tituba violemment. Jimin eut le bon réflexe de le retenir par le coude, tandis que Yoongi se ruait sur lui pour le rattraper de l'autre côté. Jungkook blêmit de gêne.

– Ça va, ne vous en faites pas...

Sa voix n'était plus qu'un filet. En vérité, il désirait plus que tout sortir d'ici, mais il ne voulait pas causer plus de soucis à ses amis. Il lui fallait tenir jusqu'au bout de la visite. Mais combien de temps restait-il encore ?

Une voix fantomatique perça soudain son esprit.

— Non, ne m'enfermez pas ! S'il vous plaît ! Ne faites pas ça !

La sienne. C'était sa propre voix qu'il entendait. Et alors qu'il se voyait propulsé à l'intérieur d'une pièce sombre, son cœur se mit à cogner plus fort, au même rythme que ses poings qui frappaient désespérément sur la porte close.

Ça recommençait... Il hallucinait.

Sa panique sur le point d'exploser, Jungkook essaya de respirer normalement, mais sa vision se brouillait de points lumineux et ses jambes faiblissaient à vue d'œil.

– J'ai besoin... de faire une pause... lâcha-t-il, à bout de forces.

Jimin et Yoongi s'arrêtèrent à sa demande et il ne résista plus au besoin de s'accroupir.

– Jungkook, on devrait vraiment demander à M. Choi de te faire sortir, insista Yoongi en se baissant devant lui.

Mais Jungkook ne put lui répondre quoi que ce soit. S'il ouvrait la bouche, il risquait bien de rendre sa bile.

— Laissez-moi sortir... J'ai peur...

Le tintement des clés s'ajouta aux rires mauvais. Puis, l'énorme cadenas en fer se verrouilla de l'autre côté, provoquant un bruit sourd qui le fit sursauter. Il tomba à genoux sur le sol et posa la tête contre la porte, suppliant à nouveau pour sa liberté. Mais déjà les pas s'éloignaient et il n'entendit plus qu'un terrible et profond silence.

— Revenez...

– Jungkook. Jungkook !

– Bon, ça suffit. Je vais voir les profs.

Yoongi se releva brusquement et disparut à la tête du groupe. Jimin le remplaça devant Jungkook, mort d'inquiétude.

– Kook, tu m'entends ?

Il le secoua légèrement mais le regard de Jungkook était vitreux et son visage pâle comme celui d'un malade. Il semblait proche de la perte de connaissance. Jimin retira son écharpe pour la passer autour de son cou, espérant lui donner un peu de chaleur et lui éviter l'hypothermie.

Jungkook était si seul. Et prisonnier de cet endroit qu'il haïssait. Ce n'était pas la première fois qu'on l'enfermait ici. Dès que le soir tombait, la petite pièce étroite se glaçait et se remplissait d'obscurité. Il se recroquevilla sur lui-même pour tenter de se réchauffer, une larme silencieuse roulant le long de sa joue.

Il allait encore passer la nuit ici...

– Hyung...

Jimin leva instantanément la tête. Il ne mit pas longtemps à apercevoir Taehyung, quelques mètres plus loin, dont l'attention était déjà portée sur eux. Jungkook l'avait appelé. Il avait besoin de lui. Désespéré, il lui mima de venir, du bout des lèvres. Mais Taehyung ne bougea pas. La mine tiraillée, il se contentait de les observer, les poings serrés le long du corps.

Un sentiment de rage monta en Jimin. Pourquoi un tel manque de réaction ? Taehyung savait. Il savait, et pourtant il restait passif. Jimin lui adressa son regard le plus noir, désireux de lui montrer l'étendue de son mépris. Taehyung sembla alors se réveiller. Il fit un premier pas, mais se stoppa net lorsque le professeur d'anglais lui passa devant, Yoongi sur ses talons.

– Aide-moi à le relever, fit M. Stevens à Yoongi.

Il se pencha devant Jungkook pour passer un bras sous son aisselle et le redresser, tandis que Yoongi l'imitait de l'autre côté. À deux, ils mirent Jungkook debout et rebroussèrent chemin avec Jimin.

À la seconde même où ils furent dehors, la lumière vive du soleil frappa le visage de Jungkook, le tirant de sa léthargie. Il cligna des yeux plusieurs fois, trop ébloui pour les garder ouverts, et se laissa guider par son professeur jusqu'à un banc près de l'entrée de la grotte.

La tête dans les mains, il mit un certain temps à reprendre ses esprits.

– Qu'est-ce qu'il s'est passé... ? demanda-t-il une fois revenu à lui.

– Tu as fait un petit malaise, Jungkook, expliqua M. Stevens. (Il sortit une bouteille d'eau de son sac et la lui tendit). Comment tu te sens ?

Jungkook but quelques gorgées avant de répondre :

– Ça... ça va. Je crois...

À part qu'il avait chaud. Trop chaud. Le soleil l'écrasait sans aucune pitié. Au bord de la suffocation, il s'empressa d'ôter l'écharpe de Jimin.

– Tu aurais dû nous signaler que tu étais claustrophobe, on aurait pu te dispenser de la visite, reprit le professeur d'anglais.

– Excusez-moi... Je ne voulais pas gâcher votre sortie.

Jimin s'assit à côté de lui et prit sa main.

– L'important est que tu ailles bien. Ne pense pas au reste et repose-toi un peu en attendant les autres.

Malgré tout, Jungkook se sentait coupable. Il se rappelait que Jimin n'avait jamais voyagé et il l'avait privé d'une visite dont il s'était réjoui. En dépit de son sentiment de honte, il décida de ne pas enfoncer le couteau dans la plaie et d'écouter son ami. De toute façon, il n'avait pas grand-chose d'autre à faire. Avec un peu de chance, une courte sieste calmerait son mal de crâne naissant. Il ferma les yeux et expira longuement, accueillant malgré lui des pensées vagabondes.

Il avait encore eu des hallucinations. C'était la troisième fois. Bien qu'il ne soit pas tombé dans les pommes ce coup-ci, ça n'en était pas moins perturbant. Il espérait que ce phénomène ne se produirait pas trop souvent ; la sensation d'être bloqué entre deux réalités était si pénible. Il n'était même pas certain de parvenir à la supporter si elle s'intensifiait encore.

Basculant la tête sur l'épaule de Jimin pour plus de confort, il n'eut pas le temps de pousser la réflexion plus loin. L'épuisement le rattrapa.

Tandis qu'il s'endormait, Jimin lui caressait les cheveux, son esprit lui aussi ailleurs.

– C'est pas la première fois qu'il fait ça, nota Yoongi.

Ses yeux noirs rencontrèrent ceux de Jimin.

– Tu sais ce qui lui arrive, n'est-ce pas ?

Ce n'était pas une question. Pas vraiment. Et Jimin le comprit. Il soutint son regard quelques instants, sans cesser ses caresses sur le crâne de Jungkook qu'il prodiguait désormais de manière très machinale. Un goût amer lui tapissait le fond de la gorge.

– Je ne suis pas certain...

Jungkook n'avait jamais fait de chutes de tension. Il n'était jamais tombé dans les pommes et n'était pas de nature claustrophobe. Jimin n'avait donc pas besoin d'être un génie pour faire le rapprochement entre les événements du passé et le malaise de Jungkook à l'intérieur de la grotte.

Il s'en rappelait, lui aussi. Comment l'oublier ?

Lors de leur deuxième année au collège, il était arrivé à Jungkook de disparaître de la circulation un soir après les cours, ne donnant plus de ses nouvelles jusqu'au lendemain. Ça avait rendu Jimin fou d'angoisse. L'idée qu'un malheur puisse lui être arrivé l'avait poussé à le chercher dans le quartier sans relâche, ainsi qu'à appeler un par un ses camarades de classe.

Mais Jungkook demeurait introuvable.

Au petit matin du jour suivant, Jimin avait eu la présence d'esprit d'écumer les endroits les plus reculés de l'école. La bibliothèque, les chambres froides des cuisines du réfectoire, les laboratoires de chimie... Pour finalement demander au concierge de lui ouvrir la porte de la remise du gymnase. Là, roulé en boule et transi de froid, Jungkook les attendait, le nez encore rouge et les joues abîmées par le sel de ses larmes.

Bien sûr, le concierge avait cru à un malencontreux incident. Mais Jimin, conscient du harcèlement que son ami subissait, avait immédiatement compris qu'il ne s'agissait pas d'une simple mésaventure, mais d'un acte d'intimidation.

Pour le calmer, Jungkook lui avait assuré que c'était la première fois que ça lui arrivait et qu'ils ne recommenceraient plus. Mais cela ne l'avait pas empêché de prendre le réflexe de vérifier la remise dès que son meilleur ami ne répondait pas à ses appels.

Tout comme Jungkook ne pourrait jamais oublier entièrement ce qu'il avait vécu, Jimin ne pouvait pas effacer de sa mémoire la détresse qu'il avait lue dans ses yeux lorsqu'il était venu le délivrer ce jour-là. S'il avait été impuissant à l'époque, désormais, il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour le protéger du mieux possible. Il se l'était juré, à l'instant même où il l'avait revu après ces deux années loin de lui.

Jimin coula un regard sur son visage relâché et le doute se fraya un chemin dans son cœur. Comment le protéger de ce qui allait suivre... ? Petit à petit, Jungkook semblait retrouver ses souvenirs perdus, et il ne pouvait rien faire pour l'arrêter.

Bientôt, il découvrirait toute la vérité. C'était inévitable.

Ce n'était plus qu'une question de temps...


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Hello ! J'espère que vous allez bien.

Je complète cet update avec une petite info. Lors de la première publication, beaucoup de mes lecteurs voulaient en savoir plus sur l'amnésie dissociative et sur le travail de recherche que j'avais fait en amont à ce sujet. À l'époque, donc, j'avais partagé après ce chapitre quelques passages de mes notes, en faisant beaucoup de parallèles avec mon histoire.

J'ai assez hésité à republier ce petit dossier. Finalement, je pense que je vais le remettre car c'était tout de même intéressant, surtout grâce aux liens qui sont faits avec Jungkook et ses comportements et qui permettent de mieux comprendre son trouble. 

Bien sûr, rien ne vous obligera à le lire ;)

Par ailleurs, les prochains chapitres risquent de vous donner envie de vous arracher les cheveux, ou bien de me démembrer. Je ne vais donc pas tarder à chercher une bonne cachette...

À bientôt !

Astëlya

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