27. Orage
Il n'était pas tard ce soir-là. Pourtant, Jungkook était déjà au fond de son lit, le corps recroquevillé sous la couette et la tête enfouie sous un coussin qu'il écrasait sur ses oreilles. Masquer les bruits sourds qui grondaient derrière la vitre, c'était tout ce qu'il voulait. Chaque éclat de lumière le faisait sursauter, chaque détonation le faisait gémir. À la fois tremblant et pétrifié, il priait pour que son calvaire cesse au plus vite et que la masse noire déserte le ciel de Séoul.
Du plus loin qu'il se souvienne, il avait toujours eu une peur bleue de l'orage. Il lui arrivait fréquemment de réveiller ses parents les nuits où la foudre tombait lorsqu'il était enfant. C'était plus fort que lui, il n'avait jamais su se contrôler. Dès que le tonnerre fouettait ses carreaux et que les vibrations se propageaient dans l'ensemble de ses muscles, c'était comme s'il basculait dans un autre monde ; un monde cauchemardesque et dangereux par les monstres qu'il abritait.
Son père lui avait un jour appris que tous les monstres, aussi impressionnants qu'ils puissent être, avaient une faiblesse qu'il suffisait juste d'exploiter. L'orage ne faisait pas exception ; paraît-il même que compter à voix haute le ferait décamper. Ce n'était bien sûr qu'une invention de monsieur Jeon pour rassurer son fils. Et l'important était que cela marchait. Jungkook n'avait pas atteint les cents que ses paupières s'étaient fermées et que la tempête au-dehors s'était tue. C'était ainsi devenu leur rituel à tous les deux. À chaque orage, ils s'asseyaient sur le lit et ils comptaient, comptaient jusqu'à ce que celui-ci s'éloigne.
Aujourd'hui, Jungkook était suffisamment grand pour comprendre que dans tous les cas, qu'il compte ou non, le mauvais temps finirait toujours par passer à un moment ou à un autre. C'était peut-être pire de le savoir. Sa naïveté d'autrefois avait au moins le mérite de lui donner une impression de contrôle sur sa peur. Une impression de pouvoir, à sa manière, la chasser courageusement.
À présent il n'avait plus ni contrôle, ni père, ni envie de perdre son temps à compter. Mais une chose parvenait encore à le calmer ne serait-ce qu'un peu. Il envoya une main derrière lui et chercha à tâtons sur le matelas, se tortillant sur lui-même pour pouvoir en ratisser toute la surface. Ses cheveux s'emmêlèrent sur sa tête sous ses agitations. Il pesta en sortant le visage de la couverture.
– Maman ! cria-t-il aussi fort que possible.
Son regard balaya le mur qui lui faisait face et qui jouxtait la chambre de sa mère. Il cogna dessus de son poing en n'obtenant aucune réponse.
– Maman ! répéta-t-il. Tu n'as pas vu Cookie ?
– Tu l'as laissé traîner dans le salon ! répondit-elle enfin.
– Tu peux... Tu peux aller me le chercher ?
– Je suis occupée, Jungkook.
Désemparé, Jungkook ouvrit la bouche, prêt à la supplier, quand la lumière aveuglante d'un éclair traversa la pièce au même instant. Un gémissement lui échappa et il se recacha sous les draps, attendant dans l'angoisse le coup de tonnerre qui allait suivre. Il avait beau l'avoir anticipé, cela ne l'empêcha pas de sursauter quand celui-ci éclata quelques secondes plus tard.
Tremblant comme une feuille, il abaissa une nouvelle fois la couverture au niveau de ses oreilles et jeta un coup d'œil anxieux à la fenêtre. S'il voulait s'en sortir, il devait aller chercher Cookie tout seul. Seulement, il avait si peur. Et son père n'était plus là pour lui tenir la main.
– Comme si j'avais besoin de lui, siffla-t-il entre ses dents.
Il secoua la tête avec dédain et sauta hors du lit sans plus penser. Il n'avait plus besoin de cet homme. Pourtant il se surprit à compter lorsqu'il s'engouffra dans le sombre couloir, emmailloté dans sa couette qui lui servait d'abri. Il descendit dans un premier temps les escaliers avec prudence, comme s'ils menaçaient de s'effondrer sous ses pas. Mais il manqua de trébucher sur un bout de couverture quand un nouvel éclair retentit et le fit dévaler les marches pour aller récupérer son lapin en peluche oublié près de la télé.
– T'étais là, toi...
Il soupira de soulagement en la serrant dans ses bras. Il y était arrivé ! Et sans l'aide de personne. Une certaine fierté le prit et le fit sourire. Il hésita ensuite sur ce qu'il devait faire à présent. Malgré sa prouesse, il n'avait pas le courage de remonter dans sa chambre. L'aller avait été trop pénible pour qu'il veuille se risquer à faire le retour. Il se mit donc en boule sur le canapé et se pressa contre les coussins. Dehors, l'orage persistait, mais bien que toujours apeuré, Jungkook sombra doucement dans le sommeil.
Cookie était avec lui, maintenant. Il le protégerait.
Il l'avait toujours fait.
**
– Tiens, je te l'offre, il s'appelle Cookie !
Jungkook fronça les sourcils et observa le lapin rose au bout du bras tendu de son ami.
– Il sort d'où ? demanda-t-il en l'attrapant.
– Je l'ai depuis que je suis enfant. Je l'ai appelé comme ça parce qu'il me faisait penser à toi !
– Mais pourquoi tu me le donnes ? C'est le tien !
Il tenta de le lui rendre mais le garçon refusa en secouant la tête.
– Non, non ! Il est à toi, maintenant. Tu sais, il m'a beaucoup aidé et réconforté quand j'étais plus jeune. J'aimerais que tu le gardes. Et puis, comme ça, quand je ne pourrai pas être là un jour d'orage ou un jour où tu te sens triste, il prendra soin de toi à ma place.
Jungkook baissa la tête, ému.
– Merci, Hyung... J'y ferai très attention, alors.
Ses bras enlacèrent un peu plus fort le lapin et il ferma les yeux en se nichant lui-même dans ceux de son aîné. Ce cadeau le rendait profondément heureux, même si, secrètement, il s'en voulait tout de même un peu de lui prendre sa peluche. Il ne souhaitait pas qu'il se sente seul, maintenant qu'il ne l'avait plus.
Tandis que les doigts de son hyung lui gratouillaient la tête, il se mit à réfléchir en silence, quand une idée de génie lui vint. Il lui offrirait en retour une des siennes ! Et il savait déjà parfaitement laquelle. Parmi les quelques peluches qu'il possédait, il y en avait une qui lui faisait tout particulièrement penser à lui, avec ses petits orbes noirs et sa fourrure toute ébouriffée.
Un sourire satisfait s'esquissa sur son visage. C'était décidé ! Son petit tigre porterait dorénavant le surnom de son si cher ami.
**
– Bonjour, Jungkook ! Bien dormi ?
Jungkook abandonna son livre et une drôle de sensation lui chatouilla le ventre lorsqu'il posa le regard sur Taehyung. Durant un instant, il s'était attendu à le voir arriver avec ses cheveux bleus, oubliant bêtement qu'il les avait teints la semaine passée. C'était un changement auquel il avait du mal à se faire et il se trouvait tout aussi perturbé que la première fois. Non pas qu'il trouvait que cette couleur ne lui allait pas. C'était même bien le contraire : Jungkook le trouvait encore plus beau avec ses reflets gris perle.
Il s'ébroua mentalement pour faire disparaître ces pensées qui n'avaient rien à faire là, puis s'étira. Les muscles de son dos étaient encore gourds de sa nuit passée dans le canapé.
– J'ai connu pire, répondit-il paresseusement.
Comme sa mère avait dû se rendre tôt au travail ce matin, elle l'avait réveillé malgré elle en traversant le salon et il n'avait pas réussi à se rendormir après son passage. Il s'était alors rendu à l'école en avance, décidant de mettre à profit le temps dont il disposait avant les cours plutôt que de le gâcher à végéter dans le canapé. Le mois de mai touchant presque à sa fin, la météo était idéale pour bouquiner au pied d'un arbre. Aussi, peu d'élèves se baladaient dans le parc du lycée à cette heure-ci, alors Jungkook avait pu lire quelques chapitres tranquillement. Jusqu'à ce que la belle et chaude voix de Taehyung ne le coupe dans son moment à lui.
– Et toi ? demanda-t-il par simple politesse.
– Pas très bien, il y a eu de l'orage cette nuit. Je peux m'asseoir avec toi ?
Jungkook le dévisagea d'un air soupçonneux avant d'acquiescer et de le regarder prendre place à ses côtés dans l'herbe. L'approche pacifique et naturelle dont son camarade faisait preuve l'étonnait beaucoup. Il n'était toujours pas habitué à son comportement qui semblait s'être depuis peu stabilisé.
– Toi non plus tu n'aimes pas ça ? s'intéressa-t-il sans trop savoir pourquoi. L'orage, je veux dire.
Taehyung se frotta la nuque.
– Hm... Moi, ça ne me dérange pas. Mais j'ai passé beaucoup de temps à penser à quelqu'un qui en a très peur.
– Moi aussi, ça me faisait très peur avant, confia Jungkook. Mais j'ai Cookie avec moi, maintenant !
– Cookie ?
En réalisant ses paroles, le rouge lui monta aux joues.
– C'est mon lapin. Enfin... c'est... Tu vas te moquer.
Il baissa la tête, intimidé par le regard attendri de Taehyung qui s'attardait sur lui.
– C'est une peluche ? devina celui-ci. Tu n'as pas à avoir honte, tu sais ? Moi aussi j'en ai une.
– Toi ? Une peluche ?
– Tout à fait ! Elle s'appelle TaeTae et c'est un petit tigre tout mignon. Elle me tient compagnie quand je me sens trop seul.
Le cœur de Jungkook s'agita dans sa poitrine. Ce fut si bref cependant qu'il n'y fit pas vraiment attention. Il était bien trop surpris pour se laisser distraire ; jamais il n'aurait imaginé Taehyung avec un doudou. Durant un instant, il se représenta mentalement l'image de son camarade avec son tigre et gloussa, avant de vite plaquer une main contre sa bouche en réalisant sa maladresse.
– Pardon, s'excusa-t-il, confus. Je ne me moque pas.
– Je sais, lui sourit Taehyung.
Rassuré, Jungkook lui rendit son sourire sans y penser. Et soudain, ce fut comme si le temps ralentissait sa course. Le vent fit danser les brins d'herbe et quelques mèches de leurs cheveux tandis que le silence se levait. Jungkook frémit sous cette brise. Pourquoi Taehyung l'observait-il avec une telle expression ? Son visage était figé dans une émotion qu'il ne pouvait décrire.
– Qu... Qu'est-ce qu'il y a ?
– C'est la première fois que tu me souris, prononça Taehyung dans un murmure.
La bouche de Jungkook s'ouvrit mais aucun son ne put en sortir. L'atmosphère s'était alourdie au point où il n'osait plus dire un mot. Elle n'était pas devenue lourde dans le sens où elle était pesante, cela dit. Elle avait simplement décliné en quelque chose de plus personnel, de plus intime. C'est vrai, c'était leur premier échange sincère, dénué d'animosité ou d'arrières pensées. Et Jungkook songea que c'était vraiment agréable de se regarder sans parler, de juste être là et d'apprécier le moment.
– Il avait l'air de te passionner. C'est quoi le titre ?
La voix de Taehyung fit éclater sa bulle et il mit quelques secondes à comprendre de quoi il parlait. Il posa les yeux sur son livre.
– Ah... Des fleurs pour Algernon. C'est mon préféré.
– Je ne connais pas. Ça finit bien ?
Cette question amusa Jungkook bien plus qu'elle ne l'aurait dû mais il se retint de le montrer. Qui donc demandait la fin avant même de connaître le synopsis ? Il patienta pour voir si Taehyung était sérieux, mais ce dernier semblait bel et bien attendre une réponse de sa part.
– On ne peut pas vraiment dire ça, non, fut-il contraint d'admettre. C'est une belle fin mais elle est assez triste.
– Alors ce ne sera pas possible entre Algernon et moi, déclara Taehyung de but en blanc.
– Pourquoi ça ?
Il haussa les épaules.
– Parce que je n'accepte de lire que des livres qui finissent bien !
Cette fois, Jungkook rit ouvertement. Ce fut plus fort que lui. Ce petit côté naïf qu'il découvrait chez Taehyung était, il devait l'avouer, très attachant.
– C'est incroyablement enfantin, ça, Hyung ! lâcha-t-il spontanément.
Puis il se reprit en le voyant pincer les lèvres.
– Pardon ! Je sais que tu n'aimes pas quand je t'appelle comme ça, et pourtant, j'oublie tout le temps...
Le souvenir de Taehyung le lui interdisant lors de la soirée étudiante le fit baisser la tête.
– Tu peux m'appeler comme ça si tu en as envie, entendit-il tout bas. Ça me va... maintenant.
– Oh... d'accord.
Un autre silence se fit et leurs regards se mirent à s'éviter. Jungkook ne savait pas quoi penser. Son camarade le perturbait une fois encore. Au fond de lui, il sentait que quelque chose était en train de changer entre eux. Leurs rapports n'étaient indéniablement plus les mêmes qu'au début. Peut-être était-ce la perception qu'ils avaient l'un de l'autre qui n'était plus la même, ou peut-être était-ce encore pour une autre raison. Cela lui importait peu, en réalité. Tout ce qu'il savait était qu'il souhaitait partager dans le futur d'autres moments comme celui-là avec lui.
Taehyung se racla subitement la gorge.
– Ça va bientôt sonner, on y va ? proposa-t-il, mettant fin à leur embarras.
Jungkook regarda machinalement l'heure avant d'attraper timidement la main que Taehyung lui tendait. Il se mit debout grâce à son aide, puis balança son sac sur son épaule tandis qu'ils se mettaient en marche.
Aucun mot ne fut échangé sur le chemin. De leur point de départ jusqu'à leur arrivée, les deux garçons restèrent muets, sans savoir que leurs cœurs, eux, se répondaient en secret sous la chaleur de leurs paumes toujours liées.
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Bonsoir !
C'est assez marrant comme ça peut être vrai lorsqu'on dit qu'on met parfois beaucoup de nous dans nos personnages. En relisant, je me rends compte que Jungkook me ressemble sur plein de points. Moi aussi Taehyung est l'homme de ma vie (laissez-moi rêver), moi non plus je n'aime pas l'orage, et mon livre préféré est Des fleurs pour Algernon. D'ailleurs, avez-vous déjà lu ce livre ? Je vous le conseille vivement ! Étant le favoris de Jk, vous n'avez en tout cas pas fini d'en entendre parler dans SODS !
Mis à part ça, préparez-vous pour la suite. Je vous prévoie un certain... comment dire ? "rapprochement" Taekook, qui je pense saura vous ravir ;)
Sur ces belles paroles, à bientôt !
Astëlya
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