– Je ne comprends rien à l'histoire... On ne pourrait pas bosser la physique, plutôt ?

– N'ose même pas recommencer.

Assis par terre devant sa table basse, Taehyung se retenait de sourire. On était samedi, aujourd'hui (soit le surlendemain de leur dernier cours de soutien), et Jungkook était revenu chez lui, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Non pas qu'il lui avait manqué en si peu de temps (ou peut-être bien que si), mais la raison pour laquelle il était aussi content était qu'il pouvait continuer de tester ses réactions et satisfaire sa curiosité personnelle. 

Au cours de la journée de la veille, il avait pu remarquer que Jungkook baissait sa garde de temps à autre, et il ne s'était pas gêné pour mettre à profit cette découverte. Il l'avait suivi à la trace tel un chasseur avec son gibier, saisissant la moindre opportunité pour se rapprocher de lui dès que Jimin avait le dos tourné. 

Son obstination lui avait permis de noter plusieurs choses : Jungkook rougissait dès qu'il posait un peu trop longtemps les yeux sur lui en classe, retenait son souffle lorsqu'il lui chuchotait des mots à l'oreille les fois où ils se croisaient dans les couloirs, et frémissait à chacun de ses touchers (il avait même montré une sensibilité toute particulière quand il lui avait effleuré l'intérieur de l'avant-bras alors qu'il récupérait des affaires dans son casier, et cette observation était de loin sa préférée). Tout ceci n'avait fait qu'accroître son désir d'en découvrir plus.

– Ou la géographie ?

– Kim Taehyung...

Alors, aujourd'hui encore, il n'était pas prêt à mettre fin à ses supplices. Il aimait bien trop le voir réagir à ses provocations pour se comporter en bon élève ou pour pâlir devant les menaces. Surtout que Jungkook était à deux doigts de craquer, il le sentait.

– Ou l'anglais ? 

– Je te préviens...

Mais s'il y avait une chose que Taehyung n'avait pas anticipée, c'était bien le retour de flamme qui lui pendait au nez.

– Ou le coréen ? 

– Je vais te jeter par la fenêtre !

– Ou littérature ? Ou alors la-

– Mais bon sang, tais-toi !

À court de patience, Jungkook se pencha par-dessus la table, vif comme l'éclair, et plaqua une main contre sa bouche pour le faire taire. L'effet fut immédiat : Taehyung se raidit violemment et ne bougea plus. Ses yeux étaient écarquillés ; sa mine effarouchée. Paralysé jusqu'à l'ongle, il le dévisageait, dans l'incapacité la plus totale d'émettre le moindre son, pas même un couinement.

Les rôles s'étaient inversés en une fraction de seconde. Jungkook était devenu le chasseur, et lui, le pauvre Bambi dans le viseur de son fusil. Cette constatation le mortifiait. Comment la situation avait-elle pu autant lui échapper ? Il se trouvait si stupide d'être troublé par un contact d'une telle insignifiance, mais c'était la première fois que son camarade le touchait sans qu'il n'eut à l'inciter. Alors, en sentant la chaleur de sa peau sur ses lèvres, il ne pouvait empêcher son cœur de jouer à la corde à sauter. Il sautait à n'en plus finir. En haut, en bas ; en haut, en bas. C'était à devenir fou.

Jungkook ne semblait même pas réaliser l'emprise qu'il avait sur lui. Tout ce qu'il montrait était la satisfaction de le voir enfin silencieux. Il ignorait tout de l'état dans lequel il le mettait. Il ignorait tout de ses pensées. Aussi ce ne fut pas étonnant qu'il éloigne sa main avec cette même ignorance quand il estima que le message était passé, lentement, prudemment, comme pour le faire languir (ce qui n'était bien sûr pas son intention). 

La précaution qu'il mit dans son geste frustra Taehyung qui, de ses yeux, suivit son mouvement tandis que le temps se mettait en suspens. Son cœur cogna plus fort encore dans sa poitrine, et ses battements sourds provoquèrent des interférences avec sa raison. Sans réellement en avoir conscience, il saisit son poignet et le rapprocha doucement de son visage. Ses paupières se fermèrent puis il déposa l'ombre de ses lèvres au creux de son articulation, offrant à son souffle le plaisir de s'y recueillir. Il ne fit que l'effleurer, une caresse aérienne aussi légère qu'une plume. Pourtant, il le vit, ce frisson courir sur le bras de Jungkook. Il l'entendit, aussi discret fut-il, ce gémissement qui sonna comme un tintinnabule à ses oreilles. Ce qu'il faisait était apprécié.

Enhardi, Taehyung pressa ses lèvres plus franchement et marqua d'un baiser expérimental cet endroit qu'il affectionnait tant chez Jungkook. Cet endroit où la peau y était plus fine et d'une douceur semblable à de la soie, et où il pouvait s'enivrer du parfum subtil de son savon aux fleurs de cerisiers.

– P-Pourquoi tu fais des... des choses comme ça ?

Cette question si timidement posée brisa le silence. Taehyung rouvrit les yeux mais sa lucidité ne lui revint qu'à moitié. C'était vrai, il s'était encore laissé emporter par ses envies, mais il était bien trop grisé en cet instant précis pour le regretter. Il était avide de ses touchers, avide de ses réactions. Il en voulait davantage, il en voulait toujours plus. Car s'il considérait Jungkook comme un interdit, lui ne se considérait pas comme quelqu'un de doué pour suivre les règles – et encore moins celles qu'il s'imposait lui-même. Il était bien trop faible quand cela concernait le beau brun qui l'accompagnait.

– Parce que j'en ai envie, murmura-t-il contre son poignet. Tu n'aimes pas ?

Il lui déroba un regard tout en goûtant une nouvelle fois sa peau frissonnante. Jungkook tremblait. Il avait perdu tout son aplomb. Sa respiration était nerveuse et ses yeux embrumés par une gêne fiévreuse. Il ne put soutenir son regard qu'une poignée de secondes avant de détourner son visage sur le côté et de le coller contre son épaule pour cacher au mieux ses joues rouges qui le trahissaient.

– J-Je... Je n'aime pas ça.

–  Ce n'est pourtant pas ce que ton corps me dit. Tu mens encore...

– Je ne mens pas ! contesta-t-il, plein de fierté.

Pour le convaincre (et surtout pour se convaincre lui-même), il se força à le fixer droit dans les yeux, mais il ne manqua pas de perdre derechef face à la profondeur de ses iris. Taehyung ne faisait pas exprès de le contempler avec toujours autant d'intensité. Simplement, il espérait tant pouvoir entrer dans sa tête ne serait-ce qu'un instant pour savoir ce qu'il s'y passait, pour comprendre ses pensées et y trouver des indices, qu'il ne prêtait pas attention à la manière dont il s'y prenait.

Ce n'était pourtant plus la peine d'y mettre autant de passion. Car s'il avait eu des doutes auparavant, ces deux derniers jours lui avaient offert une garantie : Jungkook était indubitablement sensible à chacun de ses contacts, réceptif au moindre de ses gestes, faible à tous ses regards. Mais quand Taehyung avait senti sous ses lèvres son pouls battre au même rythme effréné que le sien, il n'avait pu se contenir. Savoir qu'il était à l'origine de son trouble et qu'il était capable de lui procurer autant de sensations le rendait égoïstement heureux.

Taehyung était grandement affecté par Jungkook, ce n'était pas un secret. Mais se rendre compte que cela était réciproque le regonflait d'assurance.

– Si tu n'aimes pas ça, pourquoi n'as-tu toujours pas retiré ton bras ?

Piqué au vif, Jungkook s'empourpra et récupéra vivement son poignet. Il le couvrit de sa paume, comme pour masquer les preuves de sa propre faiblesse. Si seulement cela était possible...

– Tu ne m'aides vraiment pas, Taehyung, geint-il. Je fais de mon mieux pour ne pas... Mais toi... à chaque fois tu...

Il pinça les lèvres et ravala ses mots, avant de soudainement s'activer à ranger ses affaires étalées sur la table. Il se pressa de tout remettre dans son sac comme si le temps lui manquait, cornant sans le vouloir quelques pages de ses cahiers.

– Ce sera tout pour aujourd'hui, annonça-t-il une fois debout.

Taehyung soupira tristement.

– Pourquoi est-ce que tu luttes autant, Jungkook ? demanda-t-il en le regardant partir. Tu ne peux pas ignorer l'attraction qu'il y a entre nous. Tu la ressens aussi bien que moi.

Jungkook s'arrêta brusquement et fit volte face, le regard dur.

– Il n'y a aucune attraction entre nous, répondit-il sèchement.

Puis il disparut dans le couloir et la porte d'entrée claqua derrière lui.

Seul dans sa chambre, Taehyung se laissa tomber sur son lit et fixa le plafond. 

« Tu n'es qu'un menteur », l'accusa-t-il silencieusement. 

Il recouvrit son visage de son bras et souffla :

– Et moi je ne suis qu'un putain d'hypocrite.

Jungkook, Jimin, Taehyung... À la fin de la journée, il n'y en avait pas un pour rattraper l'autre. Tous luttaient, tous mentaient, tous allaient à l'encontre de leurs sentiments.

Mais Taehyung, lui, était indéniablement le pire de tous. 

**

Comme à chaque fois qu'il mentait et se détournait de ce qu'il était, son passé le rattrapait et lui collait une bonne claque dans la figure qui le mettait face à ses responsabilités. Celle qu'il s'était prise la dernière fois dans les vestiaires était sans doute la pire de toutes ; il pouvait encore en sentir la douleur cuisante jusqu'au fin fond de ses entrailles.

La vérité était que ce jour-là, il n'avait pas spécialement cherché à faire quoi que ce soit. Il était tombé par hasard sur Jungkook qui sortait de la douche peu de temps après lui, et il s'était au départ mis d'accord sur le fait qu'il serait plus judicieux de l'ignorer et de partir sans se faire remarquer. C'était son plan, et Dieu sait qu'il aurait dû s'y tenir. 

Se confronter aux cicatrices de Jungkook avait été un véritable choc. Une gifle si violente qu'il n'avait pas pu s'empêcher de venir les toucher, d'aller les découvrir jusqu'à s'en faire souffrir. Cela avait été une décision aussi absurde que celle de mettre les doigts dans une prise tout en sachant que ce serait dangereux. Taehyung n'avait juste pas pu faire autrement. Son corps avait agi à la place de sa conscience, et lorsque sa conscience avait repris le dessus, le mal était fait. Ce n'est qu'une fois après avoir quitté les vestiaires que tout lui était apparu comme une évidence : il ne voulait plus mentir, il ne voulait plus lutter. Il ne voulait simplement plus se détourner de ce qu'il ressentait. S'il était le commencement, alors il serait naturel qu'il soit également la fin.

Taehyung avait passé un moment dans son lit à contempler le petit bout de sol sur lequel était installé Jungkook une heure auparavant. Il l'avait imaginé être encore là, à portée de sa main. Son parfum qui ne s'était pas estompé flottait dans la pièce et lui faisait tourner la tête ; le souvenir de sa peau chaude brûlait encore contre ses lèvres. Il avait chaud rien qu'à revoir son visage suffocant à ses baisers.

Était-il possible de trop aimer ?

Il voulait Jungkook. Il voulait faire battre son cœur comme il faisait battre le sien. Il voulait être au centre de ses pensées, au même titre que lui était au centre des siennes. Il voulait son âme, son corps, son amour ; il l'avait toujours souhaité. Il le désirait tout entier et il lui montrerait, autant de fois qu'il le faudrait pour qu'il en prenne enfin conscience.

Attrapant sa petite peluche tigre cachée sous son oreiller, Taehyung la fixa un moment avant de soupirer.

– Il est temps de devenir courageux, n'est-ce pas Taetae ? murmura-t-il, le nez dans sa fourrure, avant de la reposer sur le matelas pour s'emparer cette fois de son portable.

Il inspira un bon coup et composa ce numéro qu'il connaissait encore par cœur. Il ne fallut pas plus de deux tonalités pour que la voix sèche de son interlocuteur lui réponde.

– Qu'est-ce que tu veux, Tae ?

– Tu es bien pressé de me répondre, dis donc. Je te manque à ce point ? ricana-t-il amèrement.

– Viens en aux faits, je n'ai pas le temps pour tes conneries.

– Je ne veux plus mentir, Jimin.

Sa déclaration tomba dans un lourd silence.

– Tu penses que la franchise suffira à réparer ce qui a été brisé ? finit par dire Jimin.

– Non, mais ça vaut le coup d'essayer.

Taehyung était déterminé maintenant, il ferait en sorte que tout change. Peut-être que cela ne le débarrasserait pas de sa culpabilité. Peut-être qu'il n'obtiendrait pas ce qu'il recherchait depuis toutes ces années avec autant de ferveur, mais au moins, il récupérerait son honnêteté et arrêterait de se considérer comme un lâche.

– Tu ne penses pas que s'il y avait eu la moindre chance, nous l'aurions déjà fait ?

– Nous ? répéta Taehyung.

Cette fois, il rit franchement. Un rire glaçant et dépourvu de toute sincérité.

– Comment pourrais-je le savoir ? Ce nous ne m'a jamais concerné. On ne m'a jamais demandé mon avis, à moi. Vous m'avez juste imposé tous ces mensonges, elle et toi.

– Donc, si je comprends bien, tu comptes tout lui révéler ? J'espère que te rends bien compte que si tu tombes, je tombe aussi, et que ça, je ne le permettrai pas. Je refuse de le perdre.

– Et je refuse également de le perdre. Je ne compte pas lui dire, ça ne servirait à rien que je le fasse. Je me contenterai juste d'attendre qu'il le découvre par lui-même, et si je dois pour ça le conduire sur la bonne voie, je le ferai. Je ne veux plus avoir peur. S'il décide de me détester après avoir appris la vérité, qu'il en soit ainsi.

– Tu es stupide ! cracha Jimin. Tu ne te rends pas compte d'à quel point il en souffrirait !

– Parce que tu crois qu'il ne souffre pas déjà ?! s'emporta Taehyung, les doigts cramponnés au téléphone.

Il prit une inspiration avant de retrouver son calme.

– Considères ça comme de l'égoïsme ou de la stupidité si tu en as envie, je me fous de ce que tu peux penser. Cependant, Jimin, écoute-moi bien car je ne te le répéterai pas. Tu pourras te fatiguer autant que tu veux, tu ne me dissuaderas plus de lui parler ou de l'approcher. Plus tu t'interposeras, et plus je m'accrocherai. Tu ne me l'enlèveras plus, tu ne l'éloigneras pas une nouvelle fois de moi.

– Très bien, Taehyung, répondit sèchement Jimin. Mais blesse-le à nouveau et je te tuerai.

La menace tambourina dans les oreilles de Taehyung et fit écho à sa propre colère. L'envie de tout détruire autour de lui, de hurler, de frapper son ancien ami le prit aux tripes. Il tenta malgré tout de garder son sang-froid. Les poings et les mâchoires serrées à s'en faire mal, il se concentra sur sa respiration jusqu'à ce que sa fureur s'atténue quelque peu, avant de laisser planer dans le silence une sinistre promesse...

– Si jamais je le blesse à nouveau, je m'occuperai moi-même de mon cas.

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En relisant cette histoire, je me rends compte que j'ai vraiment, VRAIMENT un kink avec les poignets... J'avoue, j'ai peut-être légèrement influencé le comportement de Taehyung, je m'en excuse. Mais en même temps... Un poignet... C'est doux, c'est fin, c'est intime, c'est joli, ça s'entoure d'une main, c'est sexy un peu, non ? Dites-moi que je ne suis pas seule à penser ça ptdrrrr

(Pas sûre, finalement, que Taehyung ait besoin de moi pour l'influencer...)

Astëlya, la fétichiste des poignets