23. Nuit


À la fin des cours, Choi Dohyun avait quitté le lycée pour se rendre au supermarché. Deux fois par semaine, il passait chez son meilleur ami d'école qui, depuis le divorce avec sa femme, partait régulièrement en voyage d'affaires aux quatre coins du monde en laissant son enfant derrière lui. Cela faisait longtemps qu'il avait pris le relais pour s'occuper de cet adolescent auquel il était très attaché (et dont l'attachement était réciproque). Pour l'un comme pour l'autre, ils faisaient partie de la même famille.

– Tae, c'est moi !

Le professeur referma la porte derrière lui, les bras plein de sacs qu'il déposa à la hâte dans la cuisine. L'entièreté de la maison plongée dans le noir l'interpellait, tout comme le manque de réponse.

Peut-être n'était-il pas encore rentré du sport, se disait-il en allumant les lumières sur le chemin de la chambre de son élève.

– Taehyung, tu es là ?

Il s'arrêta devant la porte entrebâillée et la poussa. Lorsqu'il fit un pas dans la pièce, l'obscurité l'enveloppa et il se retrouva la tête dans un épais nuage toxique. Il fut pris à la gorge. Toussant violemment, il agita la main devant son nez pour chasser la fumée et appuya sur l'interrupteur pour y voir plus clair. Il fut aveuglé pendant une seconde par l'ampoule du plafonnier. Puis ses épaules s'affaissèrent et il soupira.

Devant lui, allongé en position fœtale au pied de la tête de lit, son élève serrait contre son ventre un oreiller, le regard vide et rouge. Dohyun le contourna pour aller tirer le rideau et ouvrir la fenêtre, puis l'aida à se redresser en passant ses mains sous ses aisselles. Ce ne fut qu'à partir de ce moment-là que Taehyung sembla remarquer sa présence.

– Hyung, hoqueta-t-il.

– Qu'est-ce qu'il se passe, Taehyung ? Et c'est quoi ça ? gronda Choi en désignant le joint entamé qui traînait dans le cendrier. Je croyais que tu avais arrêté !

– J'ai encore merdé, gémit-il sans relever la remarque au sujet de sa consommation de drogue.

Sa bouche se mit à trembler et des larmes se collèrent à ses longs cils noirs. Devant son piteux état, le professeur soupira une nouvelle fois et attrapa son bras.

– Bon, viens avec moi. Tu vas aller boire un verre d'eau fraîche et m'expliquer tout ça, l'enjoignit-il en le tirant jusqu'à la table de la cuisine où il le fit s'assoir.

Contraint, Taehyung descendit son verre d'une traite et essuya ses lèvres d'un revers de main.  Penser qu'il irait mieux après avoir bu de l'eau était bien absurde. La meilleure chose que ça puisse lui faire, c'est de lui enlever cette sensation de langue pâteuse. Mais pour son mental, rien ne pourrait le faire aller mieux.

– Je... J'ai vu quelque chose que j'aurais préféré ne pas voir, marmonna-t-il. Et je crois que j'ai blessé Jungkook dans le processus.

Il enfouit la tête dans ses bras, laissant son front reposer sur la surface froide de la table avant d'ajouter pitoyablement :

– Encore une fois...

Dohyun le regarda avec dépit.

– Taehyung, nous en avons déjà suffisamment parlé, soupira-t-il. Tu sais très bien que Jungkook est quelqu'un de fragile. Tu ne peux pas te comporter comme ça avec lui.

– Je sais ! Et cette fois je ne l'ai pas fait exprès ! jura-t-il. Je sais que j'ai toujours eu un comportement incorrect avec lui, mais je n'ai jamais voulu lui faire peur et encore moins lui faire de mal. La dernière fois, il m'a dit qu'il voulait qu'on soit amis. Je ne comprends même pas comment il a pu en avoir envie.

– Qu'est-ce que tu lui as répondu ?

Taehyung posa un regard noir sur son professeur et renâcla :

– À ton avis ?

– Écoute, fit Dohyun d'un ton sec, je ne vous ai pas mis ensemble en cours de soutien sans raisons. Je pense sincèrement que ça pourrait à tous les deux vous être bénéfique. Mais tu dois y mettre du tien pour ça. Tu n'es plus cet enfant de quinze ans, Tae ! Tu es presque majeur, et j'ose croire que tu es aussi tout à fait en mesure de réfléchir par toi-même.

Taehyung ne partageait pas son avis, pourtant. Lui se sentait toujours comme un enfant ; un enfant seul, apeuré, et qui avait fait une grosse bêtise dont les conséquences pesaient bien trop lourd sur ses frêles épaules.

– C'est justement ça, mon problème ! Dès que je réfléchis trop, j'agis comme un pauvre con avec lui, tout ça pour qu'il me déteste. Et dès que je mets mon cerveau sur pause... Eh bien... 

Sa bouche se déforma en un sourire railleur. 

– Tout le monde sait ce qui se passe.

– Tu te raccroches à lui, compléta Dohyun.

– Je passe mon temps à laisser échapper les choses de mes mains et à essayer ensuite de recoller les morceaux. Mais je n'ai pas de colle ! Je n'ai pas de scotch non plus ! rit-il amèrement, les bras écartés. Et à part me couper les doigts avec les débris, qu'est-ce que je peux faire d'autre ?

– Il faut que tu en parles à Jungkook. Je pense que c'est le seul moyen pour y arriver.

– Certainement pas ! rugit Taehyung.

Il se leva furieux et sa chaise bascula brutalement contre le sol. Jamais une telle chose n'arriverait ! Jamais il ne pourrait lui parler de tout ça. L'image déjà lamentable que Jungkook avait de lui se ternirait encore plus, et cela suffirait à le conduire tout droit à la porte des Enfers. Dieu savait combien il en avait envie, pourtant. Il rêvait d'une rédemption qu'il n'obtiendrait probablement pas. Mais il était terrifié des conséquences s'il avait un jour le malheur de voir ses espoirs réduits en poussière et jetés à perpétuité dans les plaines du néant. Il était lâche. Là était la triste définition de son existence.

– Tu crois que je ne vois pas ce que tu essayes de faire, Taehyung ?

– Et qu'est-ce que j'essaie de faire alors d'après toi ?

– Tu es très intelligent et tu as toujours été brillant à l'école. Seulement, tu as décidé que tu n'étais pas digne de cette excellence et tu te tires une balle dans le pied en te faisant passer pour un idiot, déclara son professeur. Tu as toujours été très apprécié des autres, mais tu rejettes volontairement leur amitié et leur amour car tu considères que tu ne mérites pas qu'on te porte ce genre d'estime. Tu te noies sous une pluie de coups de fouet alors que c'est toi-même qui en tiens le manche. Tu dois arrêter de te flageller comme ça pour tes erreurs ! Tu es en train de te saboter. Tu ne peux pas continuer à gâcher ta vie en jouant, et à la victime, et au bourreau.

– J'ai détruit une vie, alors ce n'est qu'un juste retour des choses, tu ne crois pas ? rétorqua Taehyung.

Son insolence constante fit arriver Choi Dohyun à saturation. Ce dernier ferma les yeux quelques secondes et se pinça l'arrête du nez en soufflant. Il les rouvrit une fois plus calme.

– Ça fait des années, Taehyung. Des années que je te ramasse à la petite cuillère, que je répare les pots cassés en cachant à tes parents tes écarts de conduite et que je me comporte comme un grand frère pour toi, en plus d'être ton enseignant. Tu sais que je continuerai à le faire, par respect pour ton père et par amour pour toi. Mais il arrive un moment où, même moi, je ne sais plus quoi faire pour t'aider. Tu es le seul à pouvoir à te pardonner.

– Mais ce que j'ai fait est impardonnable ! explosa Taehyung. Je suis la raison pour laquelle on en est tous là. Comment veux-tu que j'arrête de me haïr si les autres ne le font pas ? Comment veux-tu que je puisse me pardonner si personne autour de moi n'en est capable ?!

– Ce n'est pas à toi de juger la capacité des autres à le faire ! trancha Dohyun, sur un ton encore plus puissant que le sien.

Cela eut pour effet de le faire réagir. Taehyung baissa la tête et se fit plus petit.

– Et ce n'est pas à toi non plus, Hyung...

– Exactement. Et tu ne peux pas le savoir tant que tu n'essaies pas. Tu veux expier tes fautes ? Alors commence par réparer ce qui est réparable. Va t'excuser auprès de Jungkook et ne le lâche plus. Tu lui en as assez fait baver comme ça.

Sur ce rappel à l'ordre, il quitta la maison de son élève en claquant la porte.

**

La Nuit est dangereuse, et Taehyung ne l'aimait pas.

Il ne l'aimait pas car, dès qu'elle obscurcissait le ciel et fondait sa chambre dans la pénombre, elle embrassait également son cœur de sa noirceur. Il ne l'aimait pas car elle envahissait sa maison d'une atmosphère calme et froide, ne le laissant que mieux éprouver cette solitude qui l'entraînait toujours plus vers le fond.

La Nuit est perfide, et la Nuit cache bien des choses. Elle abrite les plus sournois sous sa couverture maculée de leurs secrets répugnants, dissimule leurs actes malsains et leurs pensées souillées.

Malheureusement pour Taehyung, aussi épaisse que puisse être cette couverture, elle n'était pas suffisamment opaque pour éteindre les souvenirs qui dansaient comme des flammes sous ses paupières closes.

Lorsque le jour s'endort, les personnalités changent et les démons s'éveillent.

Et les siens sifflaient encore et toujours ces paroles incessantes au creux de son oreille, tel un serpent qui crache son poison.

« Que cherches-tu, Taehyung ? »

– Je dois lui dire, murmura-t-il. Peut-être que comme ça...

« Le pardon ? Seuls les insensés te l'offriraient. Tu ne mérites pas ce bonheur. »

– Je le sais bien...

« Tout est entièrement ta faute. Vois où ton orgueil, ta jalousie et ton avidité t'ont mené. »

– J'ai été tellement con.

« Tu dois payer pour les crimes que tu as commis. »

– Je les paies tous les jours...

«Tu as été oublié mais tu n'as pas oublié. Telle est ta punition. Tu ne trouveras jamais le Salut, Taehyung. Tu dois souffrir pour compenser les peines que tu as infligées. »

Les larmes ravagèrent son visage. Essayant de faire taire la voix cinglante qui le torturait, il se recroquevilla un peu plus sur lui-même au fond du lit et serra son oreiller à s'en étouffer, répétant jusqu'à en perdre haleine :

– Pardonne-moi... Pardonne-moi...

La Nuit est vénéneuse, et Taehyung ne s'aimait pas.


• • •「◆」• • •


Bonsoir ! Voilà un petit aperçu de ce qu'il peut se passer dans la tête de notre Taehyung. Décidemment, sa dernière rencontre avec Jungkook l'a tout chamboulé. Il y a pas mal d'indices cachés dans ce chapitre (la plupart sous forme métaphoriques, en réalité). Peut-être que les relecteurs y verront quelque doubles sens, qui sait !

J'espère sinon que vous allez bien. Moi je continue d'avancer sur la réécriture de l'histoire et pour l'instant, ça ne se passe pas si mal même si certains chaps me donnent du fil à retordre. J'ai hâte d'arriver aux moments bien plus sombres et profonds.

Je vous laisse pour ce soir et vous dis à la semaine prochaine ! Je vais continuer mes corrections. Du love

Astëlya


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