Jungkook avait quatorze ans quand il vit pour la première fois sa nouvelle maison à Londres. Elle était moins grande et moins luxueuse que celle de Séoul. Mais après tout, ici ou ailleurs, ça n'en restait pas moins qu'une maison.

– Alors, mon cœur, comment tu la trouves ? demanda sa mère, un sourire encourageant sur les lèvres.

Cette question, il se contenta d'y répondre en haussant les épaules sous le regard déçu de madame Jeon. Celle-ci se reprit tout de même et arbora le même sourire qu'elle avait quelques minutes plus tôt.

– Tu verras, tu vas t'y plaire ! Londres est une belle ville même si le temps n'est pas toujours clément.

Effectivement, il ne l'était pas. Le ciel était gris et parsemé de nuages menaçants. Jungkook n'aimait pas la pluie. Pour des raisons inconnues, elle le mettait inconfortable.

Sa mère lui fit visiter les lieux et il ne put s'empêcher de passer toutes ses observations à la loupe. Le salon était trop petit et la cuisine bien trop grande pour l'utilisation qu'ils en feraient. Il n'aimait pas la couleur des murs, et l'escalier qui menait aux chambres grinçait sous leurs pieds. Il découvrit alors la sienne : simple, de taille correcte. Ni trop grande, ni trop petite. Et les murs étaient blancs. Il souffla de soulagement et s'assit sur le lit en jetant un œil tout autour de lui. Il s'étonnait du peu d'affaires à lui qui s'y trouvaient. Avait-il toujours eu aussi peu de choses ? 

Curieux, il se releva pour se diriger vers sa bibliothèque que sa mère avait déjà organisée pour lui, et y trouva un album qui attira son attention. Il l'ouvrit, puis parcourut les quelques clichés rangés à l'intérieur. Des clichés d'elle et de lui. Quelque chose lui semblait étrange : plusieurs photos manquaient. Il pouvait facilement le deviner car beaucoup de cases étaient vides. En y pensant, Jungkook la suspectait sans mal d'avoir enlevé toutes celles où son père apparaissait dessus. Ou peut-être s'en était-il lui-même chargé ? Il ne se rappelait plus.

– Jungkook, à table !

Le brunet referma le livre et le reposa à sa place, avant de descendre la rejoindre pour dîner. 

Il ne repensa plus jamais à cet album.

Jungkook s'agita dans son sommeil et l'un de ses oreillers glissa du matelas pour tomber sur le sol. Chaque nuit, ses rêves étaient emplis de souvenirs dont les images défilaient sous ses paupières endormies. Il n'aimait pas la sensation de revivre des choses qu'il avait déjà vécues. Des choses qu'il aurait parfois voulu ne pas revivre. Bien que certaines nuits, les souvenirs étaient plus ou moins insignifiants.

– Salut ! Alors, c'est toi le nouveau de notre classe ?

Un coude posé sur la table et la joue appuyée dans sa main, Jungkook releva paresseusement les yeux de son cahier. Son regard se planta aussitôt dans celui d'un lycéen aux cheveux flavescents comme les épis de blé sous un soleil d'été.

– Moi, c'est Mike, je suis ton voisin de table, se présenta ce dernier sur un ton un peu trop enjoué à son goût. Et toi, comment tu t'appelles ?

Silence absolu.

– Tu viens de Corée, c'est ça ? C'est ce que les rumeurs disent. Et bon, vu ta tête... Enfin, je ne pense pas que les rumeurs mentent !

Malgré sa tentative de rapprochement, Jungkook continua de le fixer sans un mot en se disant qu'il finirait par abandonner et le laisser tranquille s'il gardait la bouche fermée. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Après avoir attendu quelques secondes de plus une réponse qui ne vint pas, ledit Mike fronça les sourcils et posa un doigt sous son menton, l'air de réfléchir.

– Dis donc, tu n'as pas l'air très bavard, commenta-t-il.

Il s'arrêta un instant, avant de finalement présenter sa main et de reprendre avec la même dynamique :

– Bah ! C'est pas grave, je parlerai pour deux, alors. J'ai de la salive à revendre.

Étonné, Jungkook regarda le bras tendu du blond, puis son sourire sincère, puis ses yeux pétillants de malice. Sans savoir pourquoi, son cœur s'adoucit et il se surprit à avancer sa propre main vers celle de son camarade pour la lui serrer en retour, dans un geste engageant.

– Jungkook, répondit-il simplement.

– Enchanté, Jungkook ! s'exclama victorieusement Mike. Soyons amis !

**

Un mois était passé depuis que sa mère lui avait annoncé leur déménagement. Ce n'était plus qu'une question de jours, maintenant. Quand Jungkook avait appris la nouvelle à Mike, ce dernier en avait été si attristé qu'il ne l'avait depuis plus lâché, prétextant vouloir se faire le plus de souvenirs avec lui avant qu'il ne le quitte pour toujours (ses mots).

–T'inquiètes pas, Mikie, ce n'est pas comme si je partais à l'autre bout du monde, avait dit Jungkook, sarcastique.

– Arrête, t'es pas drôle ! avait ronchonné l'autre. Tu m'appelleras, hein ? Si mon cœur ne meurt pas d'ici-là à cause de ton absence trop douloureuse, je te ferai l'honneur de répondre.

À présent, Jungkook se tenait dans sa chambre et finissait d'emballer ses dernières affaires, ses derniers souvenirs de cette vie qu'il devait désormais laisser derrière lui. Lorsqu'il était venu ici pour la première fois, il n'avait ressenti rien d'autre que de l'indifférence pour cette maison et pour cette ville. Aujourd'hui, il avait un pincement au cœur à la simple idée de les abandonner. Il ne voulait pas partir.

– Je n'aime pas non plus cette idée, Jungkook, lui avait confié sa mère. Mais la maison que nous avions à Séoul appartient à ma compagnie. Mon chef a pensé que nous aimerions la récupérer à notre retour alors il nous a renouvelé le bail. Je ne pouvais pas refuser et faire ma difficile après ce qu'ils ont accepté pour nous...

– Ça servait bien à quelque chose que tu m'emmènes loin de mes anciens démons si c'est pour m'y traîner à nouveau, avait-il soufflé en échange.

Jungkook appréhendait ce retour dans son pays d'origine. Y penser lui tordait le ventre comme pas permis. Pourtant, il le savait. Il allait devoir prendre sur lui, car il partirait ce week-end, et rien, absolument rien ne pourrait y changer.

**

On y était.

Le jour du déménagement.

Jungkook se trouvait devant ce qui était à présent son ancienne maison. Tout était vide, à l'intérieur. C'était désolant. Plus rien ne le rattachait désormais à cet endroit. Plus un meuble, plus un tableau, pas même une chaussure oubliée dans un coin du salon ou un pot de yaourt dans le frigo. Le camion qui contenait leurs affaires avait déjà tout emporté depuis longtemps. Elles aussi allaient faire un grand voyage.

« Un de plus », se dit-il amèrement. Son cœur était lourd, tout comme celui de Mike qui avait insisté pour venir lui faire ses ultimes adieux. Ils étaient étrangement silencieux. Plus loin, madame Jeon attendait son fils dans la voiture. Consciente que leur séparation serait éprouvante, elle avait tenu à leur laisser un peu d'intimité.

– Bon, eh bien... Je suppose que ça y est, prononça Mike au bout d'un moment.

Jungkook tourna la tête vers lui et vit ses yeux brillants. Il semblait à deux doigts de craquer.

– Tu ne vas tout de même pas pleurer, Mikie, ricana-t-il pour se moquer. 

Mais alors qu'il s'attendait à ce que Mike le frappe à la tête, ce dernier l'attrapa brusquement dans ses bras et fondit en larmes. Le temps d'un instant, Jungkook resta interdit. Puis, quand la surprise fut passée, ses mains agrippèrent le manteau de son ami et il sourit tristement, le visage enfoui dans son cou. 

Les deux adolescents restèrent dans cette position pendant une bonne minute, à profiter de la chaleur de l'autre pour se réconforter. Jusqu'à ce que Jungkook en ait marre d'entendre Mike renifler à répétition.

– Arrête ça, t'es pas viril du tout, maugréa-t-il.

– Et toi, t'as toujours autant une sale gueule, rétorqua le londonien d'une voix nasillarde.

– Et toi, mauvaise haleine. Pire qu'un vieux chien qui a mangé de la sardine.

– Tu es puéril, Jay.

Ils finirent enfin par se détacher l'un de l'autre, bien qu'à contrecœur, et Jungkook gloussa en voyant le visage rouge et boursoufflé de Mike. Si cette image ridicule était la dernière qu'il devait garder de lui, alors qu'il en soit ainsi. Cela lui permettrait peut-être de rire un peu et de relativiser lorsqu'il lui manquerait trop. 

À vrai dire, il lui manquait déjà.

– Bon, j'y vais, annonça-t-il résolument.

Mike hocha la tête et Jungkook s'éloigna sans plus attendre. Il savait que s'il restait là rien qu'une seconde de plus, la séparation ne serait que plus douloureuse encore. C'était bien la dernière chose dont il avait besoin. Alors, d'un pas pressé, il monta dans la voiture et la portière se referma dans un claquement sourd. Il ne jeta aucun regard derrière lui, ni dans le rétroviseur dans lequel se dressait la silhouette de son ami. 

À la place, il se tourna vers sa mère et prononça avec calme :

– Allons-y.

Le véhicule démarra en direction de l'aéroport et le trajet commença. Ce ne fut qu'à ce moment-là que Jungkook s'autorisa à verser une larme, la tête posée contre la vitre froide. 

– Est-ce que ça va ? s'inquiéta madame Jeon devant son silence. 

Jungkook essuya rapidement sa joue et haussa les épaules, les yeux rivés sur le paysage qui défilait à toute vitesse de l'autre côté de la fenêtre.

Oui, ça allait. Il allait bien.

Il inspira profondément.

« Je vais bien », se répéta-t-il en enfilant sur son visage ce masque décoré d'indifférence qui l'avait maquillé pendant si longtemps auparavant.

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Oh ! là, là, ça me fait si bizarre de revivre les séparations de Mike et de Jungkook. Pour moi qui ai déjà écrit et publié toute l'histoire une première fois, ça me semble si lointain.

Pour ceux qui découvrent SODS, rassurez-vous, Mike ne sera pas le genre de personnage décoratif que l'auteur.e finit par oublier. Il restera très présent dans l'histoire, d'une manière où d'une autre (et heureusement, parce qu'il a fait battre plus d'un cœur lors de la première édition ;D)

Le prochain update se fera samedi et non vendredi.

Je vous embrasse ♡

Astëlya