20. Harmonie
– Tiens, essaie ça ! Ah ! prends celui-là aussi. Oh mon Dieu ! Jungkook, tu serais incroyable là-dedans !
Heureux comme jamais, Jimin sautillait dans les allées du magasin comme un lutin dans les ateliers du Père Noël. Il s'arrêtait devant absolument tous les articles qu'il croisait, les étudiait sous tous les angles puis les reposait à leur place pour passer aux suivants. Jungkook avait du mal à suivre son rythme. Plus ils avançaient, et plus la montagne de vêtements dans ses bras grandissait et obstruait sa vue.
– J-Jimin, on va s'arrêter là, tu ne crois pas ?
Jimin se tourna vers lui et se posa un doigt sur le menton, en pleine réflexion.
– Hm... Ah ! Je sais ce qu'il manque !
Sans prêter attention à son intervention, il galopa jusqu'au rayon des accessoires et dénicha une paire de lunettes de soleil qu'il lui ramena, tout sourire.
– Allez, dépêche-toi d'aller enfiler tout ça !
– Mais Jimin, je...
– Tut, tut, tut, gronda-t-il en le poussant jusqu'aux cabines d'essayage. Tu ne sors pas tant que tu ne m'as pas tout montré !
Durant un instant, Jungkook envisagea de prendre la poudre d'escampette, mais il finit par entrer dans l'une des petites pièces flanquées de rideaux et laissa sa pile de vêtements tomber sur le sol. Quel enfer ! Il détestait faire du shopping. Enfin, ce n'était pas vraiment la mode qu'il détestait, c'étaient plutôt les gens et leurs contacts négligents. Il avait décidé de faire l'effort pour Jimin (bien que ce dernier ne lui aurait pas vraiment laissé le choix s'il avait tenté de refuser), mais il ressentait encore les coups de coudes maladroits des clients qui n'avaient pas assez fait attention à lui. Ça le gênait d'être touché par des inconnus.
En soupirant, il se détailla dans la glace qui réfléchissait, sous l'immonde éclairage, une bien piètre image de lui. Il jaugea son reflet avec le plus grand mépris.
– Tu ne comptes toujours pas me dire qui tu es, hein ? maugréa-t-il.
En l'absence de réponse de son autre moi, il entreprit de défaire la boucle de sa ceinture et de retirer son pantalon noir dos au miroir. Il attrapa ensuite un jean déchiré au niveau des genoux et l'enfila d'un geste pataud qui manqua de le faire trébucher.
– Alors, c'est comme ça que tu as choisi de décompresser ? fit-il la conversation à Jimin à travers le rideau tandis qu'il bataillait avec son pull. En jouant à la poupée avec moi ?
– Je dois avouer que ça me plaît bien, oui !
– Tu es au courant que je ne pourrais jamais me payer tout ce que tu m'as foutu dans les bras ? Bon sang, mais comment on met ça ?
L'étroitesse de la cabine le restreignait dans ses mouvements et les ouvertures grotesques et contre-intuitives du t-shirt qu'il était en train d'essayer ne lui facilitaient pas la tâche (à chaque fois qu'il passait la main dans ce qu'il pensait être une manche, celle-ci ressortait par un trou situé au niveau de la hanche ou de l'épaule). Alors qu'il se démenait comme un fou furieux, la tête de Jimin se fraya un chemin entre le mur et le rideau.
– Bon, t'as toujours pas fini de...
– Jimin ! s'écria Jungkook sous un vent de panique. Préviens avant d'entrer comme ça !
Il se hâta de baisser son haut pour cacher son ventre, sans penser au ton brusque qu'il venait d'employer.
Jimin regretta aussitôt son geste et se sentit stupide d'avoir cru que ce manque de pudeur ne le dérangerait pas. Il baissa la tête et s'excusa honteusement. Jungkook se radoucit.
– C'est moi qui m'excuse, Chim. Je n'aurais pas dû te crier dessus, reconnut-il.
En voyant son visage orienté vers le sol et la petite larme qui semblait vouloir s'échapper de son œil, il l'attrapa gentiment par les épaules.
– Tu n'as rien fait de mal, lui assura-t-il. C'est moi qui suis parfois trop virulent.
– Tout de même. Je n'aurais pas dû rentrer comme ça sans te demander. C'était déplacé...
– On s'en fout, ce n'est pas grave. Bon, écoute, on va oublier les vêtements, d'accord ? Nous ne sommes pas là pour moi aujourd'hui, mais pour toi. Alors je te laisse décider de la suite !
Tout à coup, les yeux de Jimin s'illuminèrent comme des décorations de Noël et la joie le regagna aussi vite qu'une allumette prend feu. C'était marrant comme il était facile de lui remonter le moral.
– Tu me laisserais quand même t'offrir les lunettes de soleil ? tenta-t-il avec une moue adorablement enfantine.
– Certainement pas, refusa Jungkook. Tu ne vas pas payer pour...
Mais il attrapa la paire de lunettes sans l'écouter et se rua vers les caisses, visiblement fier de le laisser ainsi en plan. Jungkook n'eut d'autre choix que de se dévêtir et de sauter dans sa tenue bien à lui, avant de le rejoindre à grands pas.
– Merci, mais tu n'aurais pas dû...
– Oh, ce n'est rien, voyons ! lui répondit Jimin en faisant un geste faussement modeste de la main. Bon, tu es prêt pour la suite ?
Et son sourire diabolique le fit déglutir.
**
Qu'était-il en train de se passer ?
Assis sur une des banquettes de la pièce en forme de boîte dans laquelle il se trouvait, Jungkook observait la scène, les yeux manquant de sortir de leurs orbites. Déjà plusieurs minutes qu'il essayait tant bien que mal de mettre des mots sur ce qu'il voyait difficilement à travers la lumière criarde des néons colorés.
– La-la-la, laaaa, ouhouuu !
Micro à la main, Jimin chantait devant une petite machine qui crachait des notes à n'en plus finir. Il s'époumonait plus qu'il ne chantait, si l'on voulait être honnête, et son corps s'agitait comme une fleur sous une tornade.
L'air machiavélique précédemment étalé sur son visage prenait désormais tout son sens. Ce garçon était un véritable démon. Non pas qu'il chantait faux ou dansait mal (il avait d'ailleurs assez prouvé ses compétences de danseur lors de leur soirée clandestine), mais il était juste... possédé.
Sans pouvoir s'extraire du spectacle, Jungkook essaya plusieurs fois d'attraper la paille plongée dans sa limonade. Mais quand il ne visait pas par erreur sa joue, c'était son nez qui subissait sa maladresse. Il était si hypnotisé qu'il en faisait n'importe quoi.
Quand la chanson toucha à sa fin, son camarade se laissa tomber à genoux sur le sol dans un mouvement libérateur, comme lorsqu'un joueur de foot marque un but et traverse tout le terrain sur une planche à roulette invisible.
– Alors, j'étais comment ? demanda-t-il, si essoufflé que Jungkook l'était aussi rien qu'en le regardant.
– Hum... Tu étais...
Il battit plusieurs fois des cils avant de frapper bêtement dans ses mains en guise de réponse. Les mots lui manquaient toujours autant.
– Allez, maintenant c'est à toi !
Jimin lui tendit le micro.
– Non merci.
– Mais Kook ! C'est la troisième que je chante depuis qu'on est arrivés, geignit-il avec une tête de chien battu. S'il te plaît... Pour me faire plaisir ?
Une nouvelle tentative d'amadouement ; Jungkook soutint son regard pour lui montrer qu'il ne se ferait pas avoir cette fois-ci. Loin de lui l'envie de se casser la voix et de se tourner au ridicule. Il ne chanterait pas. Enfin, ça, c'était ce qu'il se disait, juste avant que Jimin ne gonfle ses joues, la bouche en cœur.
Il se découvrit alors un point sensible insoupçonné. Depuis quand les minauderies marchaient sur lui ? Presque vexé, il appuya sur ses bajoues avec ses index et les fit dégonfler comme un ballon pour se venger.
– Tu chantes avec moi alors, négocia-t-il. Et je choisis la chanson.
Jimin hurla sa victoire et le rejoignit sur la banquette tandis qu'il s'emparait de la télécommande pour taper le titre qu'il avait en tête.
– Je l'écoutais beaucoup quand j'étais en Angleterre, justifia-t-il son choix en lui tendant un second micro.
– Oh, je la connais ! Vas-y, commence.
Le début de la mélodie se fit entendre et Jungkook se maudit aussitôt d'avoir accepté. La présence de Jimin l'incommodait ; il avait sous-estimé l'intensité de sa gêne. C'était vraiment très intimidant, et la question s'imposa dans son esprit : lui était-il arrivé de se rendre dans des karaokés avec des amis avant de perdre la mémoire ? Il n'avait pas le souvenir d'avoir déjà chanté devant quelqu'un, ni même chanté réellement, d'ailleurs. Il se rappelait vaguement qu'il aimait fredonner des chansons quand il était enfant, mais c'était tout.
Les premières notes qui traversèrent ses lèvres s'envolèrent comme un oiseau fébrile. Sa voix trembla, se coinça dans sa gorge. Et puis, un miracle. Il se fit happer par la chanson et les paroles s'enchaînèrent avec un naturel qui le surprit.
– We don't talk anymore, like we used to do...
Jimin avait fermé les yeux pour l'écouter, un sourire conquis sur le visage. Quand ce fut à son tour de prendre possession des couplets, il porta le micro à sa bouche et chanta, chanta avec une telle grâce que le monde autour de lui devint soudain plus beau, plus doux. Jungkook comprit dès lors que Jimin n'était pas un démon. Il était un ange. Et il se serait damné pour avoir ne serait-ce qu'un semblant de ce paradis dans sa voix.
– Who knows how to love you like me. There must be a good reason that you're gone...
– We don't love anymore, like we used to do...
Au moment où leurs timbres ne firent qu'un, l'émotion le prit au ventre et le fit taire brusquement. Il manqua la dernière phrase et la musique s'arrêta, plongeant la pièce dans un calme absolu que même les cris et les chants joyeux des usagers des cabines avoisinantes ne purent briser. Jungkook avait le cœur lourd de nostalgie. C'était comme revenir chez soi après un long voyage éreintant, ou comme regoûter à un plat que l'on affectionnait durant l'enfance. Une sensation difficile à décrire.
– Merci pour aujourd'hui, prononça doucement Jimin, rompant le silence. Ça m'a fait beaucoup de bien de lâcher prise.
– Ça m'a plu aussi, avoua Jungkook, tout bas.
Ils se sourirent timidement, puis se dévisagèrent sans parler pendant de longues secondes, les yeux brillants. L'un comme l'autre semblait tout aussi touché par le moment hors du temps qu'ils venaient de partager.
– J'aime ta voix, Jungkook. Promets-moi que tu me la feras entendre encore une fois.
Le compliment de Jimin, mais aussi son regard affectueux, le décontenancèrent plus que Jungkook ne l'aurait cru. Il se rendit compte, à ce moment-là, qu'il avait aimé chanter. Qu'il avait aimé l'admiration que son ami lui avait offerte. Tout comme cette manière qu'il avait de le regarder, comme s'il était un des diamants les plus précieux sur Terre... Même s'il n'était pas certain de réussir à voir chez lui ce qui pouvait être considéré comme tel, il était convaincu d'une chose : il aimait qui il était en présence de Jimin.
Jimin était une perle qui l'irradiait de sa nacre étincelante. Il faisait ressortir ses meilleurs côtés, développait sa sensibilité ainsi que son empathie, mais il faisait surtout renaître en lui ce concept agréable et oublié que l'on appelait « bonheur ». Avec lui, Jungkook souriait beaucoup plus et se laissait aller à faire des activités très éloignées de sa zone de confort. Il dansait, chantait, devenait plus démonstratif. Jimin était la première personne dont il avait apprécié l'étreinte depuis que sa vie avait volé en éclats.
Le but de leur sortie avait été de lui changer les idées et de le rebooster. Et pourtant, une fois de plus, Jungkook réalisait qu'il était celui à en avoir tiré tous les bénéfices. Le besoin désespéré de lui faire comprendre combien il se sentait reconnaissant se présenta à lui avec une telle intensité qu'il ne put le réprimer.
Ainsi, de sa propre initiative, il l'attira pour la première fois dans ses bras et lui chuchota, tout doucement, de tendres remerciements.
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Bonsoir !
Comme vous pouvez le voir, les updates recommencent à devenir réguliers. Je vais essayer de garder ce rythme tant que possible pour ne pas vous faire trop languir.
Ce chapitre est le premier de la seconde partie de l'histoire. Il sert de transition, même s'il marque un tournant important dans la relation Jikook et dans le comportement de Jk.
Je vous conseille d'attacher vos ceintures pour le suivant car on va entrer dans le vif du sujet, avec une scène qui illustrera parfaitement le titre de cette seconde partie "La mémoire du corps".
Je vous embrasse et vous dis à bientôt, sans doute en fin de semaine ;)
Astëlya
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