Chapitre 5 :

Sous mon lit, il y a un carnet grand comme ma main. C'est pas le mien. C'est celui de Dana. Elle écrit toujours dans des petits carnets multicolores, Dana.

Je l'ai remarqué dès la première fois que je l'ai vue. Elle était en train d'écrire, la tête dans ses mains d'un air préoccupé.

Je sais pas trop si elle m'a repéré en premier.

Je sais juste ce qu'elle a écrit sur moi, dans ce carnet que j'ai dérobé. C'était irrésistible. Et pas correct, c'est vrai.

J'ai lu juste les passages qui parlaient de moi, je voulais pas trop m'immiscer trop dans son intimité, quand même. Et comme je suis narcissique, les passages qui parlaient de moi, ils m'intéressaient.

Je les relis souvent. J'aime sa manière de me voir, j'aime la personne que je suis à ses yeux.

« J'ai vu une fille aujourd'hui, dans le bus. Je l'ai trouvée jolie.
Elle a les cheveux blonds ondulés, un nez légèrement retroussé, des lèvres rosés.
Je l'ai vue parce que c'était la seule qui écoutait pas de musique ou qui n'avait pas les yeux rivés sur son téléphone.
Elle regardait à la fenêtre. Je me suis demandée à quoi elle pensait. Elle avait pas l'air heureuse.
Elle avait quelque chose qui a attiré mon attention. Je n'ai pas pu détacher mon regard d'elle jusqu'à ce qu'elle descende du bus. »

« J'ai pas revu la fille du bus aujourd'hui. Ma prof de français m'a renvoyé parce que j'avais pas fait mes devoirs. Rien à dire de plus. »

« La fille du bus s'appelle Héloïse. C'est joli, ça. Elle l'a écrit sur ses classeurs. Elle a une écriture en patte de mouche, un peu chaotique.
Elle prend toujours le bus qui arrive à la dernière minute au collège. Souvent elle somnole adossée la vitre. Je me suis assise à côté d'elle, un peu par hasard.
Elle a les yeux bleus translucides. Son regard m'a traversé. Elle m'a à peine vu. »

En réalité, c'est faux. Je l'ai vue dès qu'elle s'est assise à côté de moi.

«La fille du bus a un sourire éclatant. C'est impressionnant, comme son visage s'illumine. Je crois qu'elle me reconnaît maintenant, on s'assied tous les jours à côté. Et quand elle m'aperçoit, elle me sourit. On dirait alors qu'elle a le soleil coincé dans les yeux qui ne souhaite que sortir »

« Aujourd'hui, la fille du bus était à la fête de Rachel. Je la croise souvent aux fêtes, maintenant que j'y réfléchis. Elle est restée avec un garçon qui s'appelle Juan, je crois. Je me demande s'ils sont ensemble. Je n'ai pas osé aller lui parler. Je crains. »

« La fille était à la fête de Rachel pour vendre de la drogue. C'est pour ça qu'elle va à toutes les fêtes de la ville. C'est Julia qui me l'a dit. Je trouve ça déstabilisant, je ne l'imaginais pas comme ça. En même temps, c'est bizarre, je ne sais pas pourquoi je me suis fait une image d'elle.
Je ne comprend pas pourquoi elle m'intéresse autant, je la connais même pas. »

« Aujourd'hui, Julia a fêté son anniversaire. On s'est tous baigné dans sa piscine, en sous-vêtement pour un pari. La fille du bus s'est baignée avec nous. Elle a hésité quelques instants, mais j'imagine que l'attrait était trop grand. Elle a enlevé son t-shirt et son jean et s'est jetée dans l'eau, avec un sourire et une clope coincé au coin des lèvres.
J'avais l'impression d'être dans un de ces films pour ados, où les soirées sont délurées. Sauf que c'était la réalité.

J'avais la tête qui tournait, les jets d'eau qui me chatouillaient les pieds.

L'eau était chaude, étonnamment et l'air glacial. On osait plus sortir.

La fille souriait et grelottait en même temps. On a fait des batailles d'eau. Elle m'a jeté de l'eau dessus en riant. Puis, on a couru à l'intérieur pour se réchauffer. Les gens se sont éparpillés dans la maison. La fille du bus a voulu prendre une douche chaude. On s'est retrouvé toutes deux à la salle de bain. Je m'appelle Héloïse, m'a-t-elle dit en se laissant glisser sur le carrelage glacé. Dana, me suis-je présentée. Elle m'a souri avec ses lèvres bleues. La fille du bus, a-t-elle commenté. J'ai écarquillé les yeux. Je t'appelle aussi comme ça, me suis-je exclamée. Elle a ri. On a parlé jusqu'à six heures du matin. Finalement, on s'est endormies, calées contre la baignoire. Et j'ai attrapé le rhume.»

« Aujourd'hui, j'ai revu Héloïse, dans la cour. J'étais persuadé qu'elle allait m'ignorer, je ne sais pas pourquoi. Elle parlait avec Juan.
Ils sont souvent ensemble. Je me demande quelle est la nature de leur relation. Elle avait l'air un peu saoulée, mais j'ai remarqué que c'est souvent le cas. Je ne sais pas combien de temps je l'ai observée. Au bout d'un moment, Juan lui a donné une pichnette, et elle s'est reculée avec un petit rire. Elle a jeté un coup d'oeil circulaire à la cour et nos regards se sont croisés. Son sourire s'est agrandi. Et elle s'est approchée de moi, suivie de Juan et m'a parlé. On a discuté pendant un petit moment. Juan était vraiment sympa. On s'entend vraiment bien et ça m'a rendu heureuse.»

J'arrête ma lecture. J'ai les mains qui tremblent, les yeux embrumés, le coeur qui bat à tout rompre. C'est trop dur de relire, ça. Je revois nos fous rires, nos conversations, nos silences. Je ne sais pas comment ça a pu m'échapper, comment j'ai pu oublier.

Je pousse un long soupir et me blottis sous ma couette.

Je pense à la mer. Je la vois d'un bleu profond, m'aspirer et m'appeler. Et j'entend les vagues. Cette image m'apaise. J'imagine que ma respiration est le bruit des vagues. Je fais souvent ça. Dana trouve ça étrange, cette obsession pour la mer.

Alors que je m'apprête à me rendormir, mon téléphone vibre. C'est un message de Fly.

« Tu viens au lac, ce soir ? »

Je grogne et enfonce ma tête dans mon coussin.

Il vibre à nouveau. Je tend le bras pour l'attraper, à l'aveugle. Je m'apprête à dire à Fly d'aller se faire voir quand je vois l'émetteur du message.

Dana.

Mon coeur accélère tellement, que j'ai l'impression de frôler l'arrêt cardiaque. Je ferme les yeux, incapable de lire son message. Je pousse les couvertures de mon lit et je me laisse lentement glisser sur le sol froid. Je reste un long moment couchée comme ça avant de me décider à lire le message.

Je suis une catastrophe, murmure-je pour moi-même.

« Je reviens demain. Hâte de te revoir :) »

Je soupire. La porte de ma chambre s'ouvre à la volée. Riad entre et fronce les sourcils :

– Tu fais quoi couchée par terre ?

– Je meurs.

– Ah.

Il n'a pas l'air spécialement concerné par la nouvelle et jette un regard circulaire à ma chambre.

– Tu aurais pas vu ma Xbox ? Chacha l'a cachée.

– Nan.

– Ah. Et sinon...

Je le vois hésiter. Je hausse un sourcil.

– Quoi ?

Il gigote quelques instants, avant de reculer.

– Quoi ? je répète, un peu plus agressivement.

– Non rien, marmonne-t-il.

Il s'éloigne et avant de sortir, lance :

– Evite de mourir, tu as la vaisselle à faire ce soir.

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BlueCalifornie