Cyclone
Mon coussin est trempé de larmes.
J'ai pleuré, je crois. Sans m'en rendre compte, les larmes se sont écrasées sur mes joues, mon coussin. Il y a un bol à côté de mon lit. J'ai vomi. J'ai vomi, vomi, vomi jusqu'à ne plus pouvoir vomir que de l'eau.
C'est drôle dans un sens. Incapable d'articuler un mot, j'ai craché toute ma haine, toute ma colère, tout mon désarroi dans un bol rouge.
A côté du bol, il y a mon téléphone. Du bout des doigts, je l'ai effleuré, longuement, sans parvenir à me convaincre de l'utiliser.
J'ai touché sa surface noire et lisse, un brin éraflée.
Puis j'ai appuyé sur le bouton du menu. Je me suis détestée, oui, je me suis haïe d'une force incroyable lorsque j'ai vu Dana me sourire depuis mon fond d'écran.
J'ai hésité sur la personne à appeler. Je me suis sentie un peu comme dans ce genre d'émission, là, pour gagner des millions en répondant à des questions. Il fallait que je fasse le bon choix, que je réponde correctement à la question. Et je n'avais pas la moindre idée de la réponse.
Je voulais de l'aide. Je voulais l'aide d'un ami.
Et un ami, j'en avais qu'un.
Pourtant, j'ai hésité. Je savais qu'au moment où je prononcerais à voix haute la vérité, il sera impossible de revenir en arrière.
Je me suis dit que je pourrais cacher ça, faire disparaître le bébé dans une clinique et vivre avec ce secret toute ma vie.
Après tout, les secrets, ça me connaît.
Mais je me suis décidé. Juan. J'ai appelé Juan.
Il a décroché en un clin d'oeil.
- Alors, malade, Hélo ? m'a-t-il demandé en guise de salutation.
Je n'ai rien répondu. Ma voix s'est étouffée dans ma gorge.
- Héloïse ? a-t-il répété.
- Tu peux venir, s'il te plaît ?
Il y a eu un silence à l'autre bout du fil.
- J'arrive dans deux minutes, finit-il par lâcher.
J'ai raccroché. Je savais qu'il serait vraiment là, dans quelques minutes. Après tout, on était voisin, et ça, depuis plus de dix ans.
Il a débarqué dans ma chambre comme s'il était chez lui.
Il a lancé sa veste sur mon bureau dans un grand geste théâtral et s'est avachi à côté de moi, sur mon lit.
- Pas très rangée, cette chambre, a-il-commenté.
J'ai hoché la tête, incapable d'articuler un son.
– Alors, il y a quoi ?
Je n'ai pas répondu.
- Ta mère ? a-t-il demandé d'un ton prudent.
J'ai secoué la tête négativement.
- Allez, Hélo' ! T'as perdu tes mots ?
J'ai fait signe que oui.
- Il s'est passé quelque chose de grave ?
Regard affirmatif.
- T'as regardé High School Musical ? a-t-il plaisanté.
J'ai haussé un sourcil.
- Okay, je rigole. Un problème de santé ?
J'ai dandiné la tête.
- Mmh... La gastro ?
Je lui ai fait les gros yeux.
- T'as une MST.
J'ai fait une grimace tentant d'expliquer que c'était plus ou moins quelque chose en rapport avec le sexe.
- Du style...Euh...
Il a fait mine de réfléchir et son visage s'est assombri si soudainement à mesure de sa réflexion que ça en aurait été presque comique.
- Oh non. Le Sida.
J'ai secoué la tête négativement.
- Ouf. J'ai eu peur, a-t-il dit soulagé. La Chlamydia ? La mononucléose ? Ah non, ça c'est pas une MST, c'est quand tu roules une pelle à quelqu'un. J'ai eu la mononucléose, c'était hyper pénible...
Il a fait une pause, pensif et a fini par lâcher :
- J'en sais rien, Hélo. Parle. Je connais presque pas de maladie sexuellement transmissible, je suis pas médecin.
- Bébé, ai-je fini par lâcher.
- Ecoute, Hélo', je suis pas trop pour ce genre de surnom entre potes, a-t-il commenté, je veux dire c'est un peu ridicule.
Je l'ai fixée blasée et j'ai levé un sourcil. Il m'a regardé, plongé dans l'incompréhension.
– Fais pas l'idiot Juan, je vais avoir un bébé, ai-je finalement murmuré, la gorge serrée.
Il n'a pas immédiatement répondu.
- Désolé, a-t-il fini par lâcher. J'avais pas compris. Un bébé... Euhm. Tu veux dire...Un vrai ?
- T'as déjà vu des faux bébés ?
- Des poupées ? a-t-il proposé.
- Non pas des poupées, Juan. Je suis enceinte.
- Ah, a-t-il commenté platement. C'est un peu étrange.
- Etrange ? ai-je répété d'une voix presque hystérique. C'est pas le mot que je choisirais.
- Embêtant, alors.
- Embêtant ?
- Très embêtant ? a-t-il proposé. Nan...Je dirais plutôt que c'est... Inattendu.
- Ah, ça. On peut pas le nier, ai-je dit amèrement. Non, le mot c'est plutôt accidentel.
Il a froncé les sourcils.
– Ecoute Hélo...Je veux pas avoir l'air intrusif mais si j'ai dit que c'était étrange au début c'est parce que...Comment deux filles font pour avoir un bébé par accident ? Je savais pas que c'était possible. Enfin, je suis pas hyper fort en biologie, mais biologiquement parlant, il faut des ovules et des spermatzoïdes non ?
J'ai ricané :
- Juan...C'est pas possible.
- Ah. Du coup, Dana n'est pas une fille ? Enfin, je veux dire...Bien sûr, que c'est une fille. Mais je veux dire... A sa naissance, elle était dotée d'un..
Je l'ai fixée. Il cherchait visiblement un moyen d'exprimer sa pensée, sous mon regard septique.
- Je respecte totalement, s'est-il justifié face à mon regard. Pas de problème de mon côté.
- Juan. Dana n'est pas une fille trans.
- Ah...Du coup, ne me dis pas que c'est l'enfant du Saint Esprit, j'aurais dû mal à te croire, a-t-il plaisanté.
J'ai pris ma respiration et j'ai lâché ces mots, ces mots que j'osais à peine dire, que j'avais tenté d'éviter absolument pendant tout ces jours :
- J'ai trompé Dana.
Il s'est mordu la lèvre.
- Ah, a-t-il commenté.
Une larme a roulé sur ma joue. Je l'ai retenue. Je n'avais pas le droit de pleurer, j'étais pas la victime, j'étais l'autre, la traîtresse, la méchante. Je l'ai essuyé rageusement. Il a arrêté ma main et a secoué la tête en me fixant, puis m'a attiré contre lui. Je savais qu'il aurait voulu dire que c'était pas grave mais Juan, il me ment pas, c'était grave, il le savait.
Il n'a rien dit. Je savais qu'une part de lui me jugeait, qu'il en pensait pas rien. Il aimait pas les traîtrises, surtout depuis qu'il s'était senti trahi par sa copine.
Mais il a rien dit.
Il s'est contenté de me caresser les épaules.
Il a attendu mes mots, mes explications, patiemment.
Je ne sais pas combien de temps on est resté comme ça. Moi, incapable de prononcer un mot, lui, les yeux perdus dans le vide.
- Je sais pas pourquoi j'ai fait ça, ai-je dit au bout d'un moment. Je ne l'aimais pas, le gars avec qui j'ai couché. J'ai toujours aimé Dana.
Je n'osais plus le regarder.
- Je voulais pas perdre Dana. Je l'aimais. Je l'aime.
- Il faut que tu lui dises, a-t-il soufflé doucement.
- Je sais...ai-je murmuré.
Il a hoché la tête.
- Bon...Tu vas en parler à Chacha ?
- Je sais pas trop...
- Et tu vas en parler au gars ?
J'ai hésité.
- J'imagine que j'ai pas le choix, non ?
- Pas vraiment. Il faut que tu lui en parles, Hélo. Enfin, je lui en parlerais si j'étais toi.
- Ouais...
- C'est qui ? Le type ?
- Tu l'aimes pas, je crois.
- Dis toujours, a-t-il proposé.
- Fly.
- Fly? Le Fly ?
- Ouais...Tu connais son vrai prénom d'ailleurs ?
- Non, ça doit être un truc bien moche.
- Sûrement. Ou peut-être quelque chose de terriblement banale.
- Peut-être, a-t-il acquiescé.
Il a fait la grimace :
- Fly...Sérieusement.
- Il est sympa, ai-je dit en haussant les épaules.
- Et beau...
- Ouais...
Il a semblé réfléchir :
- Ouais, a-t-il répété peu convaincu. Bon...On va trouver une solution. Ne t'inquiète pas. Tu veux que je cherche un médecin ?
- Non, ai-je refusé, je vais chercher...
- Okay. Dis moi quand t'as trouvé. Ne fais pas traîner la situation Hélo... Tu pourrais bien te retrouver avec un bébé sur les bras.
- Je sais...
J'ai hésité :
- J'ai pas spécialement envie, en fait. Je ne crois pas pouvoir être mère. Je ne crois pas vraiment pas. J'en suis juste incapable.
Il m'a jeté un regard perçant.
- Je travaille comme une dingue pour aller dans une bonne fac, ai-je marmonné. C'est ça, mon but. J'ai toujours voulu ça. Si je deale c'est pas pour payer des habits pour mon enfant. C'est pour mettre de l'argent de côté et pour payer les factures de Chacha. Je veux même pas d'enfants. J'en ai jamais voulu. La famille, tout ce délire... ça a jamais été le mien. Surtout pas un enfant avec Fly... Je connais même pas son vrai prénom... C'est qui, au fond, Fly ?
C'est vrai, ça. C'était qui, Fly ? Un amateur des mots, des clopes, des escapades nocturnes ? Oui, mais encore ?
- Un charmeur qui roule mal ses clopes, a répliqué Juan.
- Il roule pas mal..C'est toi qui roule trop bien, l'ai-je taquiné.
- Que veux tu...Trop de talent pour ce monde.
Nan, t'sais qu'en vrai, je vais arrêter de fumer.
-Vraiment ? me suis-je étonnée. C'est bien.
Il a haussé les épaules.
- J'en ai marre d'être trop vite essoufflé quand je cours. Et puis, avant, je fumais toujours avec Mireille. C'était la clope du matin, en regardant le soleil se lever. Maintenant, je fais plus ça. Et quand je le fais, je me sens seul.
Je l'ai toisé. Il parlait rarement de ses sentiments ou de Mireille.
- Je vois... Tu l'as revue, Mireille ? ai-je demandé précautionneusement.
- Pas depuis un moment...a-t-il soupiré. J'ai pas spécialement cherché à la voir. Et la dernière fois que je l'ai aperçue, elle s'est planquée sous la table pour m'éviter.
- Ah oui, c'est vrai.
- Elle a vraiment cru que je ne verrai rien, a-t-il commenté avec un sourire, mi-amer, mi-amusé.
Cette anecdote a eu le mérite de me faire esquisser un sourire. J'avais tellement du mal à imaginer la fière Mireille, avec ses yeux noirs brûlants perdre ses moyens au point de se cacher par peur de croiser le regard de Juan.
- Elle te manque ? ai-je soufflé.
Il n'a pas répondu immédiatement et a passé sa main dans ses cheveux.
- Parfois... a-t-il marmonné. Mais bon. C'est la vie.
- C'est la vie, ai-je répété.
Il s'est raclé la gorge. J'ai observé ses joues légèrement rougies, ses cheveux jais qui tombaient devant ses yeux.
- Revenons à Fly, a-t-il marmonné.
- Je vois...J'avais oublié que le sujet « M » était tabou.
- C'est pas tabou...Mais bref. Fly.
- Oui, Fly, ai-je répété.
- Tu vas lui dire quand ?
- Je sais pas...Faudrait que j'en parle à Dana.
- Ouais. Dana, a-t-il répété pensivement. Je pense pas qu'elle risque de très bien le prendre.
- Moi non plus.
Juan a fait la grimace :
- Je pense pas, non...
Il y a eu un silence. Il a sorti son téléphone et a écrit avec précaution « Comment annoncer sa grossesse ? » Je l'ai vu esquissé un sourire.
- Il y a un site qui s'appelle « annoncer sa grossesse.com », s'est-il esclaffé.
- Tu plaisantes ?
- Non... Par exemple, ils te proposent de l'annoncer en l'écrivant dans un kinder surprise. Il faut écrire un petit mot inséré dans le bonbon.
- Excellent jeu de mot, ai-je grommelé.
- Je trouve ça vraiment drôle, s'est-il marré.
J'ai haussé un sourcil.
- Vraiment ? Juan ?
Il ne répondait plus. Il riait tellement qu'il ne pouvait plus articuler un mot.
- C'est tellement bizarre comme idée, a-t-il articulé entre deux fous rires. Imagine, imagine la tête de Fly face à son kinder surprise.
J'ai souri. Après s'être calmé, il a de nouveau jeté un coup d'oeil à son téléphone. Il s'est remis à ricaner.
- Il proposent d'autres trucs, attends...Tu peux l'annoncer en musique, sinon. Sur « La preuve par trois » de Zazie.
- Zazie ? ai-je répété, sceptique.
Son fou rire a repris. Peut-être que c'était nerveux. Ou peut-être que c'était pour dédramatiser mais je me suis mise à rire avec lui.
« Entretien numéro cinq :
- Pour une fois, vous avez pris sur vous et vous avez affronté la situation.
- Oui... J'avais très peur, en fait.
Le psy a noté quelques mots sur son bloc-notes.
- Je savais pas qui avertir, ai-je continué.
- Avez-vous pensé à parler à votre mère ?
- Ma mère ? Non...Je ne l'avais pas vue depuis un moment. Je n'y tenais pas spécialement en fait.
- Mais cette situation vous a poussé à repenser à elle, n'est-ce-pas ?
- Hum, ai-je hésité. Oui. J'ai repensé à elle.
Il a attendu que je parle.
- C'est un peu bête, ai-je bégayé. Mais je me suis dit que je revivais la situation qu'elle avait vécu, dix-sept ans auparavant, à ma naissance. C'est rare, pourtant que je me demande ce qu'elle pense ou ce qu'elle fait... D'habitude, je tente de l'oublier. Mais là, je pouvais pas m'empêcher...
J'ai hésité :
- ... De me comparer à elle.
Il a noté frénétiquement des mots sur son cahier et son regard a à nouveau glissé sur moi.
- Bien sûr, ce n'était pas les mêmes circonstances, me suis-je justifiée. Bien sûr. Mais le fait est là, je suis tombée enceinte au même âge qu'elle. J'ai décidé d'avorter alors qu'elle, ne l'a pas fait. Et du coup, ça m'a fait bizarre. C'était comme...Si on vivait en parallèle.
- Je vois...
- Je n'ai jamais voulu lui ressembler, vous savez. Ou l'imiter. Loin de moi cette idée. Ça n'a jamais été un modèle, pour moi. Elle me détestait. Et au fil du temps, je pense que j'ai appris à faire semblant que moi aussi.
- A faire semblant ? répète-t-il.
- A faire semblant que je la détestais.
Note :
Et voilà ! Ce chapitre est terminé, j'espère qu'il vous a plu. Je suis désolée d'avoir pris autant de temps à poster, j'avais pas mal de trucs à faire ces derniers temps...
le site pour annoncer sa grossesse existe vraiment, mais je sais pas si vous pouvez le trouver directement depuis Google haha. J'ai un moteur de recherche qui s'appelle ecosia (qui est génial d'ailleurs parce qu'il utilise l'argent qu'il gagne pour planter des arbres et je trouve ça génial.) C'était gênant parce que mon père est arrivé derrière moi au moment où j'étais sur sue le site et il était un peu perplexe parce qu'il a cru bah que j'étais enceinte.
Bref, ce n'est absolument pas le cas, du coup, c'était vraiment gênant.
Breff... qu'avez vous pensé de ce chapitre ? Vous aimez Juan ? Pour ceux qui ont lu "les étoiles(...)" et bien oui, il s'agit bien de l'ex de Mireille. (Le monde est petite ue voulez vous...)
Bref, n'hésitez pas à laisser un commentaire,
Merci à tous pour vos lectures, vos votes et vos commentaires, ils me comblent de joie !
BlueCalifornie
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