Averse

Je suis fatiguée. Je ne sais pas pourquoi. J'ai passé mon week-end à dormir, pourtant.

C'est lundi, je devrais être en cours, prendre des notes frénétiques sur Diderot, préparer mon test de math, mais je marche sous la pluie, sans m'arrêter, insensible aux gouttes d'eau qui glissent le long de mon dos.

Je suis lasse. J'ai tellement pensé, marmonné, pleuré que je manque de mots et de larmes à verser.

Je suis perdue. Je déambule dans les rues, au hasard. Mes pieds me mènent sur un pont.
Je cille à peine lorsque je réalise que si je suis là, c'est que j'ai dû marcher pendant un bout de temps.

J'avance.

Au milieu de ce pont, je m'arrête. Je fouille dans mes poches à la recherche d'une clope et d'un briquet. Rien. De toute façon, faut pas fumer quand on est enceinte, il paraît.
Une grimace déchire mon visage et je m'appuie sur la rambarde.

J'observe les petits cratères que forment les gouttent sur l'eau, semblables à des petits volcans qui imploseraient à l'infini. L'eau est noire, sans reflet. C'est un trou béant qui semble mener au coeur de la terre.

Je ne sais pas pourquoi, j'ignore vraiment pourquoi mais je m'imagine sauter. J'imagine mes mains lâcher mon sac de cours, trouver appui pour me propulser dans les airs.

J'imagine mes boucles blondes flotter autours de moi, mes lacets voler dans les airs.

J'imagine le poids de la gravité sur ma poitrine, mon coeur monter comme lorsqu'on prend un ascenseur trop rapide.

Mon téléphone sonne. Je cesse d'imaginer quoi que ce soit.

« – Hélo', tu es malade ? me demande la voix de Dana, en guise de salutations.

J'hésite :

- Ouais...Je me sens pas très bien.

- Tu veux que je te prenne les cours ? me demande-t-elle.

- Volontiers, réplique-je doucement.

Silence.

- Tu es sûre que ça va, Hélo ? s'inquiète-t-elle.

- Oui...marmonne-je. Je suis juste un peu fatiguée.

Une voiture passe.

-Tu es dehors ? Demande-t-elle.

- Je suis sortie acheter des médicaments...marmonne-je.

- Okay...

Silence.

Je ne peux plus. Je n'arrive plus à lui parler normalement, à faire semblant de rien. Avant, c'était facile, je me mentais à moi-même, je crois. Maintenant, je n'y arrive plus. Je l'ai trahie. J'ai trahi sa confiance, son sourire, sa gentillesse, ses attentions.

- Je vais rentrer chez moi, murmure-je avant de raccrocher d'un coup.

Je range mon téléphone dans ma poche pensivement.

J'attrape mes écouteurs et je cherche une chanson, une chanson qui pourrait bien convenir au moment, une chanson qui me soulagerait ou qui m'apitoierait encore plus.

Mais encore une fois, les mots me trahissent. Rien ne semble convenir, aucun texte, aucunes chansons, rien ne reflète mes émotions qui tempêtent dans mon coeur.

Les mots manquent,comme d'habitude.

Je reprend lentement le chemin vers chez moi.

Je fixe les rues et les passants d'un air morne.
Tout le monde a l'air pressé, c'est fou, quand même.

Tout le monde a l'air de savoir où il va, de connaître sa destination.

Soudain, j'entend une musique. C'est une petite mélodie, semblable à un chuchotement.

D'un pas hésitant, je me dirige vers sa source.

J'aperçois un magasin de pianos, ça doit venir de là, je me dis.

Je regarde à travers la vitrine. Un beau piano blanc aux prix exorbitant trône en son centre.

Derrière, une ombre joue une mélodie. Je reste quelques minutes, immobile, à écouter cette musique. J'ai l'impression d'être la seule à l'entendre, personne ne fait attention, tout le monde passe.

Les voitures, les enfants bruyants, les hommes d'affaires pressés, les femmes agacées au téléphones, les adolescents, un chewing gum à la bouche.

Et puis, il y a moi, immobile, face à la musique.
Au bout d'un moment, je pousse la porte.

Je le reconnais immédiatement, le joueur de piano. Joniah.

Sentant une présence, il cesse de jouer et son regard se pose sur moi.

Il se lève et me salue d'un petit hochement de tête, un peu gêné d'être surpris.

- Salut, marmonne-je.

- Hey, lance-il, ça va ?

- Oui, et toi ?

Je l'aime bien, Joniah. Je l'ai toujours bien aimé. Je crois que c'est le cas de tout le monde. C'est un grand métis, presque moins bavard que moi. Il semble toujours un peu dur, avec sa mâchoire carrée et ses yeux presque noirs mais il a une manière de s'adresser à chaque personne qu'il rencontre, qui lui donne l'impression d'être une personne importante.

– Tu veux acheter un piano ? me demande-t-il, l'air de rien.

- Non, non, j'ai juste entendu...Ta mélodie.

- Ravel, c'est Ravel, m'explique-t-il.

Je hoche la tête. Il me toise :

- Tu t'appelles Héloïse, c'est ça ? Je me souviens de toi...On s'est vus chez David, c'est ça ?

- Ouais, c'est ça. Mais c'était il y a longtemps...

Il se lève. Il doit mesurer au moins trois têtes de plus que moi. Je ne peux pas m'empêcher de me sentir intimidée face à ce géant. La manière dont il me fixe me perturbe. Il semble dérangé, perturbé par ses propres pensés, agité. Je m'apprête à le saluer et à partir mais il m'interpelle :

- Tu bicraves toujours, Héloïse ?

- Oui...

Il acquiesce, pensif.

- Il y a quelques années, m'explique-t-il lentement, j'avais ton âge, j'ai failli tout arrêter. J'avais postulé au McDo, mais ils ne m'ont même pas embauché. Même le McDo m'a refoulé, tu réalises ?

Il se marre amèrement.

- Alors j'ai continué. Tout le monde pense que c'est de l'argent facile et ouais, p'têtre que c'est ça, mais faut comprendre que jamais j'ai eu l'impression de faire un choix. L'argent, ça rend fou, Héloïse, surtout quand tu as l'occasion d'en avoir beaucoup. Je vendais de plus en plus, toujours plus. Je brassais toujours plus d'argents, c'était cool. J'ai acheté un piano, des trucs pour ma mère et mes petits frères.

Il s'arrête :

- Et maintenant, je risque d'écoper de je ne sais combien de temps de prisons et d'une amande énorme.

- Je suis désolée, murmure-je sincèrement.

- On le sait tous, au début quand on commence, qu'on peut se faire choper. Mais on y pense pas. Au début, on risque pas grand chose. Mais plus on brasse de l'argent, plus c'est dangereux, tu comprends, ça ?

- Ouais...

- J'ai parlé à David l'autre jour. Il m'a dit que pas mal de ses gars s'étaient faits choper.

Je fronce les sourcils :

- Sérieux ? Qui ?

- J'sais pas, je les connais pas. Marco, c'est possible ?

Je soupire :

- Oui, je vois qui c'est...

- David a peur qu'on remonte jusqu'à lui.

Je ferme les yeux. David, c'est le type qui me fournit. Le big boss, en quelques sortes même si je me doute bien qu'il n'est pas seul. Si les autres se mettent à se faire attraper, il n'y a aucune raison que ça ne soit pas mon cas. Je regarde Joniah. Son regard me brûle. Il a l'air malheureux, tellement malheureux.

- Tu penses qu'ils vont balancer des noms ? je demande.

Il hausse les épaules :

- J'sais pas, je les connais pas. Tu es assez discrète, j'ai l'impression, donc peut-être que tu es protégée mais...

- Je vois...

- Tu vois, maintenant que je m'apprête à perdre du temps, je me demande si ça en valait la peine...

- Ecoute, Joniah, je commence lentement. C'est pas vraiment un choix, j'ai besoin de cet argent, okay ? J'ai besoin d'argent. Pour aider ma tante à payer ses factures et pour pouvoir me casser d'ici.

Il hoche la tête :

- Je te l'ai dit, on croit qu'on a pas le choix. Et sûrement qu'au fond, ouais, on ne l'a pas vraiment. J'sais pas. Moi si j'avais eu le choix, j'l'aurais pas fait. J'serais devenu pianiste professionnel, ou un bail comme ça.
Pas de bol. Je te dis pas d'arrêter, je t'avertis juste. David ne va rien dire pour que personne ne panique mais actuellement, c'est vraiment la merde.

Je bouge la tête en signe d'approbation.

- Pourquoi tu me dis ça ? demande-je.

- J'sais pas, souvent je te vois au parc, avec ta copine, la petite brune, là. Et j'me dit que tu mérites pas de finir devant le juge. J'veux dire...T'es jeune, t'as une copine cool, ouais... Tu mérites pas ça.

- Je le mérite pas, répète-je pensive. Et tu méritais pas ça, non plus...

Il me sourit gentiment et pose sa main sur mon épaule :

– Fais gaffe à toi, boucle d'or, fais gaffe à toi.

Il s'éloigne d'un pas lourd.

Je soupire et fixe les touches du piano d'un air las.

Je sors mon téléphone lentement.

Je soupire bruyamment. Je vois le vendeur me fixer depuis sa caisse, l'air de se demander quoi faire.

« Yo, David, j'arrête, okay ? »

J'hésite quelques instants, après tout, j'ignore comment je vais faire pour apporter de l'argent à Chacha. Je me dit qu'on se débrouillera pour joindre les deux bouts, comme toujours. On a jamais l'impression d'avoir le choix, m'a dit Joniah. Qu'importe, je veux en avoir un.
Je me demande si c'est un choix égoïste.
J'envoie mon message.

Holà ! Voilà pour ce chapitre. Je suis désolée pour le temps que j'ai mis à le publier, j'arrivais plus à écrire.
J'espère qu'il vous a plu. N'hésitez pas à me dire en commentaire, ça me fait toujours très plaisir. Le prochain chapitre est déjà presque fini, je le posterai prochainement.
Bisous et prenez soin de vous,
BlueCalifornie

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