Une très bonne idée
- Je vois. Tu doutes de tout et tu repars à zéro. Je pense donc je suis, c'est ça ? dit-il avec un sourire en coin.
- Oui ! Plus question de me faire avoir. On repart sur des bonnes bases, continuais-je en faisant les cent pas.
- Et si tu mettais toutes ces considérations philosophiques de coté ? Je doute que ça intéresse qui que ce soit ici.
- Il n'y a que deux personnes ici, Ral'kh. Voire moins si on tient compte de ce que j'ai dis plus tôt. Et puis on est pas en démocratie de toute façon.
- Quoi ? Depuis quand ? s'exclama-t-il.
- Depuis que j'ai ouvert la porte... Avant ça tu fais ce que tu veux, je m'en moque.
- Tête de mort.
Je lui tirai la langue. Façon de parler, évidemment. Je m'assis dans le fauteuil le plus proche en évitant de regarder de trop près les menottes qui pendaient à chaque accoudoir.
- Ce qu'il faut, c'est remonter aux origines du problème, commençais-je en croisant les mains devant mon menton.
- Attends... T'as l'intention de tout faire à voix haute ? Pitié achève-moi tout de suite !
- Tout a commencé quand je me suis réveillé dans une cellule, continuais-je en l'ignorant.
- J'ai connu ça deux ou trois fois, ricana Ral'kh.
- À partir de là, j'ai très bien pu tout imaginer inconsciemment. Une porte, une sortie, un petit salon confortable avec une décoration de chiotte.
- C'est pas vrai, tu l'aimais bien au début. Du moins avant que tu la démolisses... deux fois !
- Reste à savoir pourquoi j'aurais imaginé ça, mais après tout, j'ai une imagination hors-normes...
- Et un égo démesuré.
- J'ai probablement tiré le décor de quelque chose que je connaissais déjà.
Peut-être que j'ai vu ça dans un film, ou dans un livre ?
- Pas dans un de ceux que tu écris, dans ce cas. Pour ça il faudrait que tu arrives à dépasser le troisième chapitre.
- Mais pourquoi est-ce que j'aurais, volontairement ou non, inventé un être aussi insupportable que ce diablotin pour seul compagnon de cellule ?
- Tu vas continuer encore longtemps ?
- Je ne sais pas, tu comptes arrêter de te plaindre quand ?
Ral'kh me jeta un regard méchant, mais sembla saisir le message. Il pris l'appareil à raclette qui traînait encore sur le sol, et sortit avec sur le balcon.
- Bonne idée, profites-en pour faire la vaisselle.
Ral'kh lança la machine par-dessus la rambarde, et fis tomber son bonnet de Père Noël par la même occasion. Il chassa ensuite une poussière imaginaire de son costume et regagna sa place sans m'accorder un coup d'œil.
- ... Pas très écologique, mais bon. La question qui me trotte dans le crâne, c'est de savoir si je peux te faire confiance, sachant que je t'ai peut-être créé de toutes pièces. Tu m'as affirmé que tu disais toujours la vérité, mais puis-je me fier à tes réponses alors que je ne me fie même pas à mes cinq sens ? Non, bien sûr. C'est marrant, mais j'ai le souvenir de m'être dit, en te voyant pour la première fois, que c'était exactement comme ça que j'imaginais l'apparence d'un diablotin. Que peut-on en déduire à ton avis ?
Mon colocataire fis mine de verrouiller sa bouche et de jeter la clef. Puis il m'adressa un geste des plus vulgaire. Bien compris, je ne devais pas espérer d'aide de sa part.
- En même temps... En même temps peut-être que je pars du mauvais postulat. J'ai dit que tout commençait dans une cellule, parceque c'était une pièce sans porte ni fenêtre, sans issue visible. Je n'ai aucun souvenir de comment je suis arrivé là-bas... Peut-être qu'au fond, c'est toi qui existe, et moi qui n'existe pas ?
- Bon, ça suffit les conneries. Comment tu pourrais ne pas exister, et en même temps te poser la question de ta propre existence ? cracha Ral'kh. "Je pense DONC je suis". C'est pas si compliqué, n'est-ce pas ?
- D'accord. J'existe. Mais si tout ça était faux ? Si tout avait effectivement commencé pour moi dans cette cellule ?
- Tu...
- Est-ce que mes souvenirs m'appartiennent vraiment ? Dans une autre situation, je ne me serais pas posé la question, mais là, je suis un crâne qui parle à un petit diable déguisé en Père Noël.
- Je sais qu...
- Je ne me rappelle de rien de ce qu'il y avait avant que je me réveille dans cette pièce sombre ; cependant, dans tous les souvenirs que j'ai, j'ai un visage. Et plutôt agréable à regarder, j'en suis sûr. Et je ne crois pas avoir de supers pouvoirs. Et je ne crois pas non plus que les diablotins existent.
- Ça doit être vraiment ennuyeux, dans ce cas, répondit-il en haussant les épaules avec un reniflement.
Je clignai les yeux en le regardant. "Pardon, tu voulais dire quelque chose ?" lui demandais-je avec un grimace d'excuse.
- Oui. Je sais comment tu peux savoir si tu existes ou non.
- Vraiment ? Comment ?
Ral'kh passa sa langue bifide sur ses dents pointues et ricana.
- Oh ça va te plaire, ne t'inquiètes pas...
- Ça ne me rassure pas vraiment.
- Jette-toi dans le vide.
- Pardon ?
- Jette-toi dans le vide !
- Mais en quoi ça va m'aider ???
- Si tu meurs, c'est que c'est vrai. Sinon, c'est que c'est faux.
- C'est un peu rude comme test !
- T'as peur ?
- Ben un peu oui, quand même.
- Alors où tu vas comme ça ?
- C'est quand même une très bonne idée...
- ...
Je sortis sur le balcon et inspirai un grand coup. En-dessous de moi, il y avait un vide plus grand qu'un gratte-ciel.
- C'est si beau... Les montagnes.
Le diablotin me rejoignit, et posa ses coudes sur le garde-fou. Il avait l'air calme, et sérieux, comme si le paysage gigantesque était, à lui seul, capable d'apaiser les tensions et de stopper le cours du temps.
- C'est vrai. C'est magnifique.
Nous restâmes un long moment silencieux. Puis Ral'kh reprit la parole :
- Tu... tu vas vraiment le faire ?
- Tu t'inquiètes pour moi ? lui demandais-je, attendri.
- Je ne veux pas me retrouver tout seul à nouveau. Tu sais, ne pas savoir, c'est aussi bien finalement. Tu peux faire apparaître ce que tu veux, être où tu veux, tu n'as plus besoin de dormir ni d'aller aux toilettes... On ne peut pas dire que la situation soit si mauvaise que ça. Tu pourrais juste attendre et profiter de cette chance que tu as.
- Je peux vivre éternellement sans manger ni boire. Mais l'attente risque de me paraître un peu longue, sans appareil à raclette... Je vais le chercher !
- Hein ?
- Adieu, mon cher Ral'kh.
Je le saluai d'un mouvement de tête, et sautai d'un mouvement leste par-dessus la balustrade.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top