Tempête sous un crâne
Cela faisait maintenant vingt minutes que je n'avais pas bougé le moindre muscle. Ma respiration s'était calmée, et était devenue plus profonde et plus lente. Les yeux fermés, j'étais plus concentré que je ne l'avais jamais été dans toute ma vie. Au bout d'un moment, j'avais eu l'impression de quitter mon corps et d'entrer dans un état second, un état de conscience plus poussé. J'étais comme le spectateur de ce qui se passait, contemplant la scène de l'extérieur, incapable de faire ne serait-ce qu'un mouvement léger. Devant mes yeux, je vis Ral'kh attendre ma prochaine question, prêt à répondre comme toujours par une énième énigme. Au fil des minutes, alors que je n'émergeais toujours pas, il s'affala de plus en plus dans le cuir de son fauteuil. Au bout d'un moment, il cessa de prêter attention à moi et s'amusa à faire tourner son chapeau haut-de-forme au bout de son index crochu.
Intérieurement, je me marrais. "Vas-y, repose-toi... Pendant ce temps moi je bosse !". Dans mon esprit, toutes mes pensées étaient comme en ébullition, et des flashs lumineux envoyaient parfois une image se projeter derrière mes paupières closes. J'avais presque fini. L'idée m'étais venue après que mes tentatives pour créer une sortie, en me souvenant des propos que m'avait tenu Ral'kh dès le premier instant, quand je lui avais demandé où nous étions. Il me fallait juste quelques petites précisions afin de peaufiner mon plan d'évasion. Il me fallait pouvoir poser, en fait, seulement une question, à laquelle il était obligé de répondre franchement... et ce privilège, je l'avais obtenu la veille au soir ! Je fermai les yeux encore plus intensément, me concentrant sur les derniers détails de mon plan.
"Comment je peux fermer les yeux alors que je n'ai de peau nulle part sur le visage ? J'ai pas de paupières pourtant. Est-ce que...". Je me ressaisis très vite. Un moment, j'avais failli perdre le fil de mes pensées ! Je devais rester vigilant si je ne voulais pas tout faire rater.
Impossible de dire combien de temps s'était déjà écoulé, mais dans ma tête c'était clair, net et précis. Sans ouvrir les yeux, je levais le bras et tendis la paume de ma main droite vers le mur du fond, puis... je lançais à haute et intelligible voix :
- Occulus Reparo !
C'était con. Très con. Mais ça avait marché ! A mes mots, toute la pièce se mit à trembler. Ral'kh fit tomber son couvre-chef, et jeta un regard affolé derrière lui. Nous vîmes tous les deux le mur tomber, s'effondrer sur lui-même en une multitude de débris, emportant au passage les meubles et les tableaux.
Quand la poussière se dissipa, nous constatâmes, lui avec incompréhension et moi avec joie, que derrière le mur de brique, il y avait là un beau paysage printanier. Nous restâmes sans rien dire, contemplant la forêt de chênes et de hêtres clairsemée qui s'étendait là, dehors.
Je me tournai vers le mur de droite. D'un geste lent, je levai la main.
- Mais arrête ! Qu'est-ce que tu fais ? s'exclama Ral'kh.
- Trop tard ! répondis-je en riant. Brisingr !
Et le deuxième mur s'écroula dans un bruit infernal, enterrant ainsi le miroir sur pied que Ral'kh avait créé. Ce dernier toussait à cause des particules en suspension dans l'air. J'avais moi-même les yeux qui piquaient, mais je m'empressai de continuer avant qu'il puisse m'en empêcher.
- Euh... commençais-je avant d'être interrompu par une quinte de toux et par le manque d'inspiration. Merde... euh... Bah ! Contente-toi de t'ecrouler !
- Nan fais pas ça !
Mais le troisième mur partit en fumée. Je regardai le plafond avec un air satisfait. Comme prévu, celui-ci s'était volatilisé en toute discrétion, sans nous tomber sur le coin de la figure. Maintenant des ramures denses laissaient passer juste ce qu'il fallait de soleil au travers des frondaisons pour qu'on puisse contempler la nature environnante sans effort.
- Pourquoi tu fais ça ? me demanda Ral'kh, l'air de se demander si j'étais devenu fou.
Je tendis le doigt vers l'horizon caché par les arbres, qu'on pouvait maintenant admirer presque tout autour de nous. Presque...
- Il est temps de briser le quatrième mur, murmurais-je pour moi-même en souriant.
Dans mon dos, le dernier mur de ce qui était autrefois notre salon/prison/minibar disparu purement et simplement, sans autre forme de procès. Je fermai les yeux et levai la tête vers les cieux. Je ne pouvais pas encore voir le soleil, mais je sentais déjà ses rayons réchauffer mon visage et mes os. Il flottait dans l'air une délicieuse odeur de menthe et d'herbe humide. Exactement comme je l'avais imaginé.
Ce n'était pas une façon de parler. Ce paysage, cette nature sauvage, c'était moi qui l'avait construit de toutes pièces. Chaque arbre était là parce que je l'avais planté en esprit. Les ombres sur les écorces, les feuilles qui frémissent doucement... Tout était parfait. Sans me presser, je me tournais vers Ral'kh, le petit diable hors de sa boîte.
- Ral'kh ? Eh oh, Ral'kh ! répétais-je en claquant des doigts devant son visage hébété. C'est à moi de poser une question, et j'en ai une qui me trotte dans la tête depuis un moment déjà.
Je pris une grande inspiration, et lui demandais : "Si j'avance dans une direction donnée et que je ne dévie ni ne m'arrête jamais, est-ce que je finirai par rentrer chez moi ?"
J'étais prêt à toutes les réponses, mais pas à celle qu'il me fit. Il eut d'abord un sourire sardonique, reflet déformé de celui qui étirait mes lèvres, puis ricana avec malice.
- Non.
- Quoi non ? C'est tout ?
- Non tu sortiras jamais d'ici. Tu es un prisonnier qui regarde par la fenêtre, et qui croit que le monde s'arrête là où commencent les barreaux.
- Je ne vois aucun barreau, ironisais-je en montrant les arbres tout autour.
- C'est parceque tu ne vois pas assez loin.
- Haha. Donc tu penses que même si je marche indéfiniment par là-bas, je ne sortirai jamais d'ici ?
- Jamais, jamais, jamais.
- Si c'est le cas alors nous nous reverrons, mon cher Ral'kh ! Mais tu sais, je n'ai ni besoin de dormir, ni besoin de manger, ni même besoin de m'arrêter pour me reposer, alors ça peut durer plus que tu ne l'imagines...
- Pas autant que toi, Bavard, pas autant que toi. Mais si tu arrives à sortir d'ici, fais un beau geste, reviens me rendre visite de temps en temps, pour boire le thé, d'accord ?
J'eclatais d'un rire féroce et lui promit de passer à l'occasion. Puis je laçais fermement mes baskets, je mis mes mains dans les poches de mon sweat, et je prie la route. J'avançais vers ce qui était probablement le Nord, dans un paysage idyllique, laissant derrière moi un petit diable au milieu des décombres, avec la ferme intention de trouver la limite de ce monde, et de la franchir.
Il faisait beau, ça sentait la menthe fraîche...
Je n'avais jamais été aussi heureux !
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