Réussir sa sortie


- Nous sommes partout et nous sommes nulle part. Mais la question vraiment importante n'est pas "où nous sommes", mais plutôt "qui nous sommes ?". Car moi, je suis votre confident. Et vous... vous êtes l'auteur sans succès d'un roman inachevé.

- ... Quoi ???

  Ral'kh leva les yeux au ciel. Je crois que je le saoulais au moins autant qu'il m'exaspérait. Mais je n'allais pas le laisser tranquille de sitôt ! Je repris avec véhémence :

- Arrête de soupirer et réponds plus clairement. Comment peut-on à la fois être partout et nulle part ? Et qu'est-ce que tu sais de moi au juste ? Il y a une heure tu ne connaissais même pas mon nom !

- Je n'ai jamais dit que je ne le connaissais pas...

- Tu veux dire que tu savais qui j'étais avant même de me rencontrer ?

- Bien sûr ! Pourquoi en serait-il autrement ? Je vous ne vous ai pourtant pas caché que j'étais là pour vous parler, à vous précisément !

  C'était vrai. Il avait réponse à tout, semblait-il. Mais je me rappelais moi aussi très bien de notre échange.

- Tu m'as aussi affirmé ne pas savoir où on était. Mais à l'instant tu viens de me dire, même si ça n'a aucun sens, qu'on était à la fois partout et nulle part ! Qu'est-ce qui a changé ?

- Rien. Rien n'a changé, et mes deux réponses sont exactes.

  Il se mit debout sur ses petites jambes et s'étira. Il avait retrouvé son sourire, ce que je trouvais assez curieux, puisque quelques instants plus tôt, il tirait franchement la gueule.

- J'ignore où nous sommes précisément, mais je sais que ce n'est pas la première fois que nous jouons à ce petit jeu, et ce n'est probablement pas la dernière. Et bien sûr, nous ne sommes pas vraiment là, puisque nous pouvons être partout. Tu comprends ?

- ... Comment qui que se soit pourrait comprendre ton charabia ?!!

  Il éclata de rire. Malgré moi, je me calmais un peu. Je n'avais plus envie de crier et de foutre en l'air le mobilier. Quoi qu'il me serait probablement possible de le faire réapparaître, tout comme Ral'kh avait créé ce miroir. Je me laissais aller au fond de mon siège et décréta une pause dans mes questions.

  Je parcouru la pièce des yeux jusqu'à poser mon regard sur une commode victorienne du plus bel effet. Je me concentrai dessus en fronçant les sourcils. Le diablotin, qui avait remarqué mon petit manège, suivait mes efforts avec attention. De mon côté, j'essayais de me représenter le meuble dans ses moindres détails, le montant et le démontant dans ma tête et le faisant tourner sur lui-même pour visualiser toutes ses facettes. Une fois que je pus me le figurer parfaitement, je tentais de lui apporter quelques modifications.

  J'avais les yeux fermés, mais je savais bien ce que Ral'kh voyait, lui. Devant lui, le meuble grandit, puis il le vit changer de couleur, passant du brun au gris, puis au blanc, les tiroirs disparaître, et une poignée apparaître sur la face avant.

  Je m'affalais contre le dossier du fauteuil avec un sourire satisfait. Ral'kh s'approcha de mon oeuvre, et ouvrit le meuble que je venais de créer. À l'intérieur un faible éclairage venait de réfléchir sur des petites bouteilles en verre.

- ... Un mini-bar ?

  Je ris de son expression mi-figue mi-raisin. Il avait l'air surpris, mais quand même déçu.

- Très utile... Tu sais qu'on peut juste demander n'importe quelle boisson, et aussi l'imaginer à la température voulue, hein ? ajouta-t-il avec une grimace moqueuse.

- Laisse tomber, tu ne peux pas comprendre.

  Je voulais juste savoir si je pouvais modifier les choses qui étaient déjà créés, et pas juste les sortir de nulle part. Je comprenais mieux ce qu'il voulait dire par "nous pouvons être partout et nulle part". Je pouvais modeler la pièce à ma guise et faire ce que je voulais de mon environnement. En gros je pouvais être n'importe où, puisqu'il me suffisait d'imaginer y être, et j'étais donc aussi nulle part, puisque je n'étais évidemment pas là où je voulais. Je demeurais prisonnier de cette pièce sans porte ni...

  Est-ce que ça marcherait ? C'est tellement malin, et en même temps tellement idiot... Tout le contraire de moi !

  D'un bond je me mis debout, faisant vaciller la table devant moi et chuter les verres encore pleins. Il me fallait juste un mur... Je pris appui sur le cuir du fauteuil et sautai par-dessus le dossier.

- Que se passe-t-il ? s'enquit Ral'kh avec inquiétude, derrière moi.

  D'un geste de la main, je fis disparaitre le miroir dans lequel je voyais encore mon crâne inexpressif se réfléchir, et je tendis ma volonté.

- Désolé, mon cher diablotin, mais je viens de comprendre que même si je ne sais pas comment je suis arrivé ici, ça ne m'empêchera pas...

  Sur le mur en face de moi apparu une porte en bois toute simple. Pas de fioritures, juste une poignée en laiton. J'avais paré au plus pressé.

- De réussir ma sortie !!! m'exclamais-je en ouvrant en grand la porte.


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