Quelque part entre ciel et terre
Les mots sont comme des lapins apeurés. Il faut que le premier sorte de son terrier pour que les autres le suivent, rassurés. Ral'kh et moi éclatâmes de rire, et cela me soulagea d'un poids. J'eus l'impression qu'un carcan dont j'ignorais l'existence venait de tomber. Un carcan qui emprisonnait ma poitrine et m'empêchait de respirer convenablement.
Quelque chose avait changé entre nous. En nous peut-être. Autour de nous, ça, c'était certain ! J'avais ouvert les yeux dans un décor qui m'étais complètement étranger. Je n'avais rien imaginé, rien conçu, rien prévu. J'avais projeté, avec force, toutes mes émotions contre la surface grise inattaquable, et celle-ci m'avait répondu. Et quelle réponse...
Les murs étaient en pierres et parcourus de poutres de bois brun massif, tout comme l'étaient le parquet et le plafond, bien que de teintes plus claires. Un feu crépitant dans la cheminée apportait à la pièce une lumière chaude. Des volutes de chaleur dansaient au dessus d'une fausse peau d'ours. À l'Est, une large baie vitrée donnait sur un balcon et sur un paysage hivernal.
J'y étais allé, juste pour voir. Nous surplombions un gouffre vertigineux, et tout autour de nous s'élevaient des montagnes immenses et blanches. Inaccessibles, elles s'élevaient avec une facilité qui donne le vertige, vers les plumeaux de cirrus qui tombaient en boucles légères. Notre refuge tenait lieu du miracle. Un cocon de chaleur dans un univers de glace et de vent.
J'avais créé ce décor sans le vouloir. Il était venu à moi, naturellement. Je le découvrais avec un léger baume au cœur, et pour la première fois depuis longtemps j'eus l'impression d'être chez moi. Il y n'y avait qu'un détail : mon colocataire, ses deux cornes et sa longue queue fourchue.
Quelque part dans le processus de création, Ral'kh était intervenu, ajoutant sa touche personnelle à certains aspects de notre nouvelle pièce. Cela allait de détails légers, comme le bonnet de père Noël à grelots qu'il arborait ou sa peinture qui trônait au-dessus de la cheminée, à d'autres un peu plus... voyants. Mon regard s'attarda sur une chaise à clous molletonnée, passant vite sur la vierge de fer qui trônait dans le coin de la pièce à côté de menottes crasseuses qui cliquetaient alors qu'il n'y avait pas le moindre courant d'air, suspendues au plafond. Mon attention revient se porter sur Ral'kh, qui agitait ses grelots devant un appareil à raclette, posé à même le sol. Celui-ci avait du vouloir recréer la pièce aussi, et le mélange de nos imagination était plus que douteux.
Je captai son regard. Nous essayâmes de garder notre sérieux, mais c'était impossible ! Bientôt le fou rire nous gagna et je le rejoignis sur le tapis dans ce décor moitié cabane du Père Noël moitié donjon S.M. dont nous avions hérité.
Je lui racontais tout. Mon voyage, mes déboires, ma rencontre avec Elle. Il respecta mon besoin de parler, ne m'interrompant de temps à autre que pour poser une question ou demander un éclaircissement. Parfois, quand j'atteignais un point de mon récit où les choses devenaient plus intenses, je voyais ses pupilles de chat s'agrandir alors que je ménageais des courtes pauses et que je faisais monter le suspens.
J'avais toujours eu un don pour raconter les histoires, mais Ral'kh était bon public.
Cependant quand j'atteignis ce dernier moment, dans le désert, je sentis ma voix dérailler. Les yeux de Ral'kh, eux, exprimaient une grande lassitude.
- Je comprends, soupira-t-il. C'est loin d'être ce que tu espérais en partant.
Je m'affalai dans le canapé.
- Comment savoir, Ral'kh ? Comment savoir ce qui est vrai ou pas ? Regarde par la fenêtre, rien de tout ça n'est vrai. J'ai créé chaque flocon, chaque reflet, chaque bourrasque. Tu vois le tapis sur lequel tu es assis ? Il est à 97% synthétique. Pas besoin de vérifier l'étiquette, je suis sûr que je l'ai imaginé comme ça.
J'agitai la main avec dédain et posai les pieds près des restes de notre repas.
- J'aimerais avoir au moins un élément tangible, juste une chose que je sache vraie. Un point d'ancrage, dans lequel je peux avoir confiance.
À ces mots, Ral'kh me sourit et ouvrit les bras, l'air de dire "Hey ! Tu peux te fier à moi"... Mais le pouvais-je vraiment ? Il vit mon hésitation, et grimaça :
- Tu n'as pas confiance en moi ?
- Ben... Te vexes pas, Ral'kh, mais tu est tout rouge, avec une queue fourchue et un déguisement de Père Noël. C'est quoi le plus probable ? Que je t'ai inventé alors que je tournais en rond dans ma cellule ou bien que les diablotins existent ?
- ...
- Je ne peux avoir confiance qu'en ce que je sais savoir, tu vois ?
- Tu te dit que tu existes, et tu sais que tes souvenirs et tes connaissances sont réels aussi, mais tu te demandes si le monde autour de toi est vrai ?
- Exactement ! m'exclamais-je, heureux qu'il comprenne si vite.
- Donc pour toi, un petit diable c'est absooolument pas crédible, dit-il, ironique, par contre un squelette qui parle, là, pas de problème ?
J'allais lui répondre que c'était différent, mais je m'interrompit. Il avait parfaitement raison... Je n'existais pas !
- Oh putain... Je suis pas dans la merde, tiens...
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