Par-delà l'horizon - part 2
L'aube pointait tout juste son nez quand nous arrivâmes à bon port. Enfin... un port, façon de parler ! Nous avions laissé derrière nous la carcasse asséchée de notre navire couché sur le flanc. Il faisait un peu tâche dans le paysage, monstre marin échoué au milieu de nulle part, seule trace du passage de l'homme sur la terre. Le rivage sur lequel nous avions jeté l'ancre était pour le moins déprimant. Après la plage, où manquait cruellement l'ombre d'un palmier, on avait découvert devant nous à perte de vue un désert immense, sec, ponctué en de rares endroits de formations rocheuses brunies par le soleil. J'étais assis dans le sable au sommet d'une des rares dunes, à la limite entre le littoral et le désert, le vent faisant danser des djinns éphémères dans la poussière ; je me tournais vers ma compagne de voyage.
- Tu crois qu'on peut chopper une insolation, même avec nos têtes de morts ?
Elle ne répondit pas. Ma belle anonyme contemplait l'horizon avec l'air éberlué. Elle s'assit à mes côtés et eut un sifflement admiratif.
- Ça c'est de l'imagination ! s'exclama-elle ensuite en riant.
- Que veux-tu dire ? répondis-je en fronçant les sourcils.
- Ben... tout ça, répondit-elle alors en montrant le paysage, tout ça c'est toi qui l'a imaginé, Bavard.
- Non pas du tout, moi j'ai juste imaginé une forêt au début. Tout le reste était déjà là, je n'ai fait que le point de départ, et je ne sais même pas où est la ligne d'arrivée.
- Tu ne te figure quand même pas que le monde était déjà là avant que tu lui donnes vie...
- Tu m'as pris pour Dieu ou quoi ? Évidemment qu'il était là. J'ai juste... J'ai juste...
Je m'interrompis doucement. Était-il possible que, en créant cette forêt et en démolissant les murs de ma prison, j'ai créé sans le vouloir un endroit hors du temps et de l'espace ? Un endroit nouveau... "Mais si c'était le cas, alors j'aurais du atteindre la limite de ce monde à la sortie de la forêt", murmurais-je, peu convaincu.
- Pas si tu as continué d'imaginer ce que ce monde était, même au-delà de la frontière des arbres, me chuchota-t-elle en s'accroupissant près de moi. Et si tu avais créé les plaines, les fleurs et les montagnes ?
Elle tapota sa tempe du doigt. Puis se releva et éclata de rire.
- Désolée ! Excuse-moi, c'est juste que si c'est le cas, alors c'est bien toi qui a créé les montagnes, l'océan et aussi ce désert ! Et si c'est le cas... alors tu auras beau marcher durant cent jours et cent nuits, tu ne seras toujours pas plus avancé que maintenant !
Je me relevais, piqué au vif. Cette fille était charmante, même si elle avait refusé obstinément de me donner son nom ou la moindre information sur elle durant tout notre voyage, mais elle savait aussi frapper là où ça fait mal. Le soleil était presque à son zénith, et la chaleur devenait franchement inconfortable. Je jetais un regard noir au ciel, et j'imaginais alors une moto tout terrain orange aux lignes agressives, et la fit apparaître au bas de la dune. D'un claquement de doigts, je me procurais des lunettes noires et un bandana, que je nouais autour de mon cou et devant ma bouche.
- Je ne compte pas marcher, ma chère. Maintenant, ou tu viens avec moi pour une traversée du désert, ou tu restes ici et tu me regardes démonter ta théorie depuis le sommet de la dune, lui lançais-je sans la regarder en descendant la pente vers notre véhicule.
Arrivé en bas, je me retournai pour lui faire signe, et je la vis marchant presque à ma hauteur, vêtue d'un pantalon de treillis et de bottes noires. Elle avait attaché sa chevelure brune en arrière et avait troqué sa belle robe pour une veste en cuir et un débardeur blanc plus adaptés à la situation. Elle était à couper le souffle, si bien que je me sentis rougir, même si je ne le pouvais évidemment pas du fait de mon teint cadavérique... Je laissais échapper un sifflement admiratif, et je la vis sourire derrière ses lunettes de soleil.
Je montais sur l'imposante moto et elle prit place derrière moi. Elle noua ses bras autour de mon torse et se plaqua contre mon dos tandis que je lançais le moteur dans un grondement de bonne augure. Je jouais deux trois fois avec l'accélérateur, vérifiant que la mécanique répondait bien à la moindre sollicitation, puis je mis les gaz et nous filâmes à l'horizon avec pertes et fracas, en direction du levant. Et laissant le sable et les kilomètres derrière nous, je chantais :
I like smoke and lightning
Heavy metal thunder
Racin' with the wind
And the feelin' that I am under...
Born to be wild !
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