Par-delà l'horizon - part 1
- Tu peux encore marcher longtemps comme ça, tu n'arriveras quand même nulle part !
Je me tournais vers elle avec un soupir. Derrière ses lunettes de soleil, je devinais qu'elle se marrait, comme à son habitude. Exaspéré mais malgré tout sous le charme, je relevai la tête vers les étoiles. Soupir, sourire... souvenirs.
Huit jours plus tôt...
Les premières heures avaient été plaisantes. La forêt avait laissé place à une plaine sauvage, dont les collines étaient ça et là parsemées de petites fleurs blanches et jaunes. Aucun chemin visible, aucune trace d'habitation. En même temps je ne voyais pas vraiment pourquoi il y aurait qui que ce soit, dans ce monde insensé.
C'était la première fois, depuis que j'étais sorti de ma cellule, que je me retrouvais vraiment seul avec mes pensées. Mais cette solitude n'était pas angoissante, ou pétrie de doutes sur l'avenir, comme ça avait pu être le cas quelques jours auparavant. Je pouvais enfin bouger, respirer, apprécier la liberté, sans la présence continuelle d'un démon dans le fauteuil d'en-face.
"Je me demande ce qu'est en train de faire Ral'kh, en ce moment...", m'interrogeais-je avant de me sermonner. J'avais encore une longue route à faire avant d'atteindre les petites montagnes que je voyais poindre à l'horizon, et j'étais certain de ne pas parvenir à m'échapper de ce monde avant de les avoir mises derrière moi ! Je me mis en route sans plus tarder, m'aidant dans ma marche d'un solide bâton que j'avais récupéré dans les bois.
J'avançais à grandes enjambées, certain de ne souffrir ni de soif, ni de faim, ni de fatigue. Combien de randonneurs auraient pu en dire autant ? Ah ça c'est sûr que si Frodon et compagnie n'avaient pas eu besoin de s'arrêter pour pisser, ils auraient fait l'aller-retour jusqu'au Mordor en un seul bouquin ! Moi, et j'en fis l'expérience le soir-même, je pouvais enchaîner les kilomètres de jour comme de nuit sans effort. Je laissais dans mon dos les collines verdoyantes, lesquelles cédaient de plus en plus le pas à des pierres grises aux contours acérés. Bientôt il n'y eut plus à mes pieds que des buissons épars d'épineux.
Le dénivelé s'accentua sans que je m'en rende vraiment compte, tant et si bien, que vint un moment où je me retrouvais devant une paroi abrupte faite de pierres instables, qui ne demandaient qu'à rouler sous mon pieds et à me faire dévaler toute la pente. Je tentais de faire quelques pas, mais il n'y avait rien à faire. Même problème en contournant, je me retrouvais partout devant un à-pic, comme si la montagne me résistait et voulait m'empêcher de passer. Alors que je me tenais devant la paroi, j'eus une idée.
- Tu veux jouer ? dis-je en me craquant les doigts. Alors on va jouer !
Confiant en mes pouvoirs, j'avais alors imaginé que toutes les pierres se réunissaient alors pour former un escalier. Lorsque que j'en eu fini, une voie royale s'ouvrait à moi. Je continuais ainsi jusqu'à ce que la neige recouvre les pierres. J'avais vaincu la montagne, et même si j'avais presque passé deux jours rien que pour atteindre un col, le spectacle que j'avais sous les yeux valait bien autant d'efforts...
Devant moi, une descente douce, érodée par le vent d'ouest, menait droit vers une forêt de conifères qui s'étendait au-delà de ma vision. Et les arbres... Les arbres étaient d'un vert étincelant, comme si Dieu lui-même était venu les peindre un à un.
La redescente ne fut qu'une question d'heures, et bien vite je fus entouré de plantes gigantesques. Je m'arrêtais alors pour contempler ce spectacle peu commun. Les troncs des pins s'élançaient vers le ciel comme des lances, immenses, démesurés. Il aurait fallu trois hommes pour arriver à faire le tour du tronc de leurs bras.
Je ne restais pas longtemps dans cette végétation démente. J'avais à peine marché un jour et une nuit que les arbres prenaient déjà des proportions plus raisonnables. Les acacias et les cèdres se faisaient plus présents, et j'entendais par moment le bruit d'une cascade dans le lointain. Tout à coup, la forêt s'arrêta. De part et d'autre, à gauche comme à droite, je voyais une ligne ininterrompue d'arbres qui se poursuivait à l'infini, et marquaient une frontière bien nette entre les bois et... la plage qui s'étendaient devant mes yeux.
En face de l'océan, je me sentis soudain bien seul. Après quelques mètres de sable chaud, ce n'était que des vagues à perte de vue. Une immense quantité d'eau qui me séparait de ma destination.
Je m'assis contre un tronc, et me plongeait dans la contemplation de l'océan. Je restai là un très long moment...
- Tu vas te décider à y aller ou tu vas baisser les bras ?
Je sursautais brusquement. Je ne l'avais pas vu approcher, mais tout près de moi se tenait une femme. Elle était plantée là, pieds nus dans le sable, ses cheveux noirs volants légèrement au gré du vent d'Ouest. Aucune traces de pas sur la plage, elle avait du tomber du ciel comme un ange... Des lunettes de soleil masquaient ses yeux, mais je les devinais rieurs et profonds. Je ne savais comment, mais je sentais que je la connaissais depuis longtemps, qu'elle et moi on se comprenait. Elle n'avait plus, comme moi, ni peau ni muscles pour cacher les os de son crâne, mais ses courbes, cachées par une robe blanche diaphane, étaient indéniablement féminines ; sa voix sonnait comme un carillon pur, cristallin.
- Pardon ? Qu'avez-vous dit ? demandais-je en me relevant.
Elle rit doucement et replaça une mèche noire de jais qui lui barrait le front. Elle se tourna vers l'horizon, chantonnant un air qui résonnait dans ma mémoire :
"Summer in the hills
Those hazy days I do remember
Mountains in the way
Couldn't keep us from the sea
Holding on, you and I are the same..."
Et pendant qu'elle chantait, je la regardais danser, avec l'impression que son corps frêle pouvait à tout moment s'envoler tel un oiseau. Je me ressaisis et secouais la tête. D'un claquement de doigt, je fis apparaître une barque et deux rames et poussais l'embarcation à l'eau.
- Quel est ton nom ?
Elle me répondit par une grimace enfantine et s'approcha de moi.
- Tu comptes ramer jusqu'à où comme ça ? demanda-t-elle ironiquement.
Je lui répondis par la même grimace qu'elle m'avait envoyé, mais je me rendis compte assez vite qu'elle avait raison. Je n'avais pas besoin de rames... En moins de temps qu'il ne le faut pour le dire, j'avais transformé mon embarcation précaire en un petit navire à voile. Je me mis à la barre et me tournai vers la jeune fille avec un clin d'œil mutin.
- Je vais là-bas, au-delà de l'horizon. Tu veux venir ? lui proposais-je.
- Je ne manquerai ça pour rien au monde ! répondit-elle en s'asseyant contre le plat-bord.
- Alors c'est parti !
Le vent gonfla les voiles, qui claquèrent en choeur. Nous prîmes de la vitesse, fendant les vagues, survolant presque l'écume, laissant dans notre sillage les éclats de rire de ma partenaire de route. J'avais le coeur léger, la main sur la barre et l'autre qui protégeait mes yeux du soleil, pourtant une ombre d'une nature bien différente planait dans mes pensées...
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