Crâneur
- Où... Où est mon visage ? balbutiais-je difficilement.
Devant moi, mon reflet me renvoyait une image impossible. La peau de ma tête avait disparue, tout comme les muscles, les nerfs et les cheveux, laissant apparaître un crâne parfaitement blanc et lisse. Perturbé par cette vision des plus étranges, je tournais la tête à gauche, à droite. Dans le miroir mon reflet suivait parfaitement mes gestes. Je levai la main pour toucher mon visage, mais je ne sentis que le froid contact des os, et les courbes brutes de mes maxillaires. Je me retournai vers un Ral'kh hilare :
- Que m'as tu fais ? grognais-je avec agressivité.
Ral'kh bondit sur ses pieds et leva ses mains griffues.
- Eh ! Je n'ai rien fait. Tu étais déjà comme ça en entrant dans la pièce !
- Quoi ? Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?
- ...
Le diablotin restait sans réponse. Il leva les mains en cherchant ses mots, les agitant en l'air comme pour les attirer à lui, mais rien ne lui venait et il restait bouche bée.
- Honnêtement... J'en sais rien. Je suppose que j'ai simplement trouvé ça marrant !
Je me rassit dans le fauteuil sans dire un mot. Qu'est-ce que je n'aurais pas donné pour un verre en ce moment, songeais-je. Puis ça me revint. Je pouvais faire apparaître n'importe quoi sur commande ! Je me concentrai, et d'un claquement de doigts je fit sortir de mon esprit un cocktail ambré.
J'avais toujours eu un faible pour les Cuba Libre. Ce savoureux mélange de rhum, de Coca et de citron vert me réconfortait toujours quand j'avais besoin de baume au coeur. Je contemplais la paille multicolore avec un air songeur. De l'autre côté de la pièce, Ral'kh s'admirait dans le miroir, époussetant son chapeau haut de forme tout neuf. Il chassa une poussière invisible de son veston, et ses yeux croisèrent les miens dans le miroir. Il me sourit de toutes ses dents pointues. Quant à moi, je recouvrais mes esprits et mon calme en me concentrant sur la question qui me trottait en tête :
- Dis-moi, Ral'kh, pourquoi est-ce que je n'ai pas soif ?
Il ajusta son noeud papillon et tira sur les manches de sa veste, mais ne se retourna pas.
- Probablement parceque vous venez de vous enfiler tout un verre d'alcool. Encore que le citron soit assez acide, il est vrai, mais que voulez-vous... les mystères de la vie !
- Oh j'ai bu avec plaisir, dis-je en guettant la moindre de ses réactions dans la glace, mais je n'en avais pas BESOIN. Ça fait trois ou quatre jours que je n'ai rien bu ni mangé. Je devrais être au supplice, mais non. Je n'ai pas faim. Je n'ai pas soif. Et je ne suis pas fatigué.
Il se tourna vers moi et leva les bras. Il avait un air comique, entre sa petite taille et son accoutrement de mafieux sur son trente-et-un.
- Vous n'êtes pas content d'être débarrassé de toutes ces contraintes matérielles ? Vous vous plaignez beaucoup, M. Sournois, pour quelqu'un qui n'a pas faim, ni soif. Pensez aux petits africains et cessez de geindre, voulez-vous ?
- Je ne geins jamais. Par contre, je mords. Maintenant regardez-moi dans les globes oculaires et dîtes-moi la vérité...
- Je dis toujours la vérité, me coupa-t-il.
- Où sommes-nous ? poursuivis-je sans y prêter attention.
Ral'kh ne répondit rien.
Pendant un long moment, le silence de la pièce ne fut troublé que par le bruit des glaçons de nos verres qui s'entrechoquaient en fondant. Je m'impatientais, mais je ne voulais pas le brusquer au risque de le faire se braquer. J'avais besoin de ses réponses. J'étais plongé dans un monde aux règles difficiles à comprendre, et le seul moyen d'en sortir était d'en maîtriser toutes les subtilités. Ral'kh leva les yeux vers moi, et soupira.
- Nous sommes partout et nous sommes nulle part. Mais la question vraiment importante n'est pas "où nous sommes", mais plutôt "qui nous sommes ?". Car moi, je suis votre confident. Et vous... vous êtes l'auteur sans succès d'un roman inachevé.
- ... Quoi ???
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top