Chapitre ✈️ 2

[Petite Note pour les chapitres suivants : dans les dialogues, les répliques en anglais sont retranscrites en italique. Bonne lecture !]

☀️

Il était dix heures tout pile quand le téléphone de Felix vibra et que son écran afficha une notification de Chan. Occupé quelques mètres plus loin à jeter l'emballage de son onigiri au thon, le garçon ne la vit pas tout de suite. Il arriva devant son siège sur lequel il avait posé son sac, y rangea sa bouteille d'eau et son écran s'alluma une seconde fois. Il remarqua alors le message : un mélange d'excuses et la fébrile promesse d'un appel dans en début d'après-midi, si son emploi du temps le lui permettrait. Il aurait répondu que cela ne le dérangeait pas le moins du monde, qu'il se ferait une joie de l'attendre si l'appel de Jisung ne l'avait pas coupé dans sa rédaction.

« J'en connais certains qui ont oublié de passer un coup de fil à leur bestfriend.

Je te jure que je comptais le faire. Je me suis juste endormi comme une masse. »

Le ton de Jisung n'avait rien de sévère. Il ne cachait pas le craquèlement de ses céréales. Lui aussi semblait en plein petit-déjeuner.

« Alors ? Le Japon, c'est comment ?

Je suis là depuis, Felix prit une pause pour jeter un coup d'oeil à l'horloge du micro-ondes, douze heures. Les seuls trucs que j'ai vus c'est l'aéroport, le métro et mon lit. Tu veux que je te parle des trottoirs propres ? Des toilettes chaudes ?

Ce serait un début.

Bah... ils sont propres, quoi. J'ai dû voir une seule poubelle dehors, c'est un peu perturbant. Les toilettes, elles, sont trop bizarres. »

Il avait attendu que son ami finisse de pouffer avant reprendre.

« Les onigiris sont sympa. J'en ai eu pour moins de mille wons (quatre-vingt centimes). Après, c'est presque comme en Corée.

T'as prévu un truc en particulier, aujourd'hui ? »

Durant quelques secondes, le silence devint maître du combiné. Felix n'avait rien prévu après son repas de fortune. Profiter d'un restaurant, flâner dans les magasins au mieux, se poser dans un parc au pire. Tant qu'il pouvait encore savourer l'excitation de la nouveauté, il le ferait.

« Bof. Je verrais où le vent me mène, se contenta-t-il de répondre.

Et Chan ?

Je ne sais pas encore. »

Il resta une dizaine de minutes de plus à l'intérieur, à pianoter pour trouver un endroit sympa à visiter. Le Soleil tapait déjà quand il sortit du magasin. Il s'était préparé en conséquence : l'un de ses rares gilets sans manches et son short cargo fétiche l'accompagnaient dans les rues.

Les heures suivantes, il les passa dans le marché de Tsukiji, au milieu de l'agitation, des caisses en polystyrène et de la forte odeur de mer. Felix, moyennement fan de poissonnerie, décida quand même d'essayer un maximum de mets à sa disposition. Une bouchée de poulpe par-ci, un petit morceau de thon par-là... Il se laissa même séduire par une petite enseigne d'onigiri faits à la minute. Il en commanda trois, saumon cuit, thon mayonnaise et poulet, en croqua un sur le champ : celui de la supérette ne faisait pas long feu à côté.

L'atmosphère chaleureuse lui plut. Même s'il avait du mal à se faire comprendre et à comprendre lui-même, qu'en anglais, certains noms lui échappaient – qu'est-ce que la bonite séchée, finalement ? –, il avait pris soin de noter maladroitement quelques kanjis sur son carnet, ou de les prendre en photo. Avec un peu de chance, il pourrait en parler avec Chan. Revenir, prendre tout un tas de bon poisson, profiter de son appartement pour cuisiner.

Durant la matinée, Felix avait répondu au message de son petit-ami, celui dans lequel il s'excusait de ne pas l'avoir rappelé, avait sorti que son affaire avait pris plus de temps que prévu sans vraiment la développer. Quelqu'un avait eu besoin de lui, qu'il disait. Felix ne s'était pas attardé dessus : lui aussi abandonnait ses plans pour Jisung, et puis, l'arrivée l'avait assez fatigué. Ils avaient reprogrammé leur appel à l'après-midi, quelque part dans les coups de quatre heures.

Le voyageur avait mangé dans un ces restaurants que Jisung avait vu sur les réseaux avant qu'il ne partît. Le concept consistait à pouvoir s'offrir un repas sans ne jamais avoir besoin de communiquer avec qui que ce soit. Les indications, entièrement traduites en anglais, devraient lui convenir. Ce fut le cas : il n'eut pas pipé un mot, même pour trouver le chemin des toilettes. Son ramen au poulet, il l'avala en un temps record.

Un retour à l'hôtel, une sieste et une douche plus tard, le voilà à nouveau dehors. Le goudron des routes lui sembla brûler à cause quelques vingt-cinq degrés qui se pavanaient dehors. La chaleur étouffante lui avait fait troquer son t-shirt pour un débardeur. Il prit le métro, se fascina du passage si contrasté entre les immeubles d'entreprise, les quartiers résidentiels et les temples, atterrit dans le jardin Hamarikyū dans le centre de la capitale. Les champs de fleurs qu'il avait pu observer dans les images lui paraissaient agréables à traverser.

Il finit par se poser non loin de ceux-ci, sous un arbre dont l'ombre cachait parfaitement son corps du Soleil. Dans ses écouteurs défilait d'un des albums de son petit-ami. À chaque fois qu'il en lançait, Felix se sentait plutôt fier : c'était grâce à lui que Chan s'était décidé à partir de Corée du Sud pour en apprendre plus sur les tréfonds de J-rock et de la musique underground japonaise en général. Épris de ce nouvel univers, il en avait dégoté un réseau, une autre vie, n'avait jamais exprimé une quelconque envie de rentrer. D'une certaine façon, le touriste en était content et voulait le soutenir dans ses projets ; de l'autre, les bras de son amant lui manquaient terriblement et, même s'il connaissait parfaitement le tempérament de Chan – très ancré dans le moment, bien plus branché appels que textos mais plus occupé qu'un ministre –, aurait préféré qu'ils se parlassent un peu plus, si ce n'était beaucoup.

Son téléphone vibra au début d'une Mixtape. Felix décrocha sans attendre.

« Hey, lui souffla Chan. Ça va ? »

Sans qu'il ne s'en rende compte, un sourire niais pris place sur son visage et ses inquiétudes s'envolèrent. Ah, qu'est-ce qu'il en était amoureux de ce type !

« Ouais, et toi ?

Tranquille, comme d'habitude.

Tu faisais quoi hier ? »

Il se sentait mal de reposer la question, un peu comme à chaque fois qu'il partait à la pêche aux informations.

« Une amie avait besoin d'aide pour ranger des trucs.

À vingt-et-une heure ?

Oui, vu qu'on a fini chez elle. »

Le silence s'installa le temps que Felix captât l'information. Elle était plutôt simple, la situation. Peut-être trop, mais il ne souhaita pas y penser plus longtemps et préférait profiter des rares minutes qu'il passa ce soir.

« Je suis content que les cours soient enfin terminés, poursuivit-il. »

J'aurais enfin plus d'occasions de te parler, il voulait ajouter, mais se retint. La brise qui se leva et glissa entre les mèches de ses cheveux lui caressa le visage.

« C'est vrai que ça fait du bien. J'ai pas mal de projets prévus cet été, mais je pense rentrer en Corée à la fin des vacances. On pourra se voir. »

Mais c'était maintenant qu'il voulait aller le voir. Tout de suite, il avait envie d'entendre son rire de vive voix, retrouver ses baisers au goût de caféine, se sentir à l'étroit dans l'étreinte de ses bras musclés.

Tenir sa langue s'avérait bien plus dur que prévu.

« Ça me plairait beaucoup, admit-il seulement. »

De là, Chan avait l'habitude d'enchainer les sujets. Il y a la soirée qu'il avait animé dans un des bars souterrains de la capitale, les opportunités qu'on lui avait données et les cours. Les cours, c'était moins intéressant. Il avait des notes correctes, pas extraordinaires, mais elles suffisaient. Lui, il préférait parler de ce nouveau café en face de l'université, dont il avait déjà fait le tour de la carte avec ses amis donc Felix ignorait encore les noms. Le garçon aux cheveux roses n'avait pas non plus cherché à en savoir plus.

Felix, lui, ne parlait que de Jisung parce qu'il faisait presque tout avec lui. Avant que Chan ne partît, ils se voyaient assez souvent à trois, principalement lorsque le plus vieux passait du temps dans leur appartement.

Contrairement à son habitude, Felix écoutait le plus vieux d'une oreille distraite. Il essayait de répondre par des phrases plus longues que quelques onomatopées, quelques « Ah ouais ? », quelques « Je vois. », mais il cherchait avant tout à pouvoir mettre son réel projet à exécution.

« Au fait, t'es libre ce soir ? J'ai un truc à te montrer, lança soudainement Felix. »

Le silence à l'autre bout de la ligne le fit paniquer. L'approche n'était pas la plus subtile, mais il priait pour qu'elle marchât.

« Tu ne veux pas me le montrer maintenant ?

Je suis dehors, je ne l'ai pas sur moi, mentit-il. Je te promets que ça vaut le coup. »

Pitié... Il déglutit. Sa salive eut du mal à descendre.

« À vingt heures, ça te va ? »

Oui, bien sûr. C'était parfait.

« Va pour vingt. »

Son sourire devait s'entendre au travers du combiné.

« Il faut que je te laisse. À ce soir, enchaîna Chris rapidement.

Bisous, bye ! »

Cette fois, il se sentait plus serein que la veille. Avec un peu de chance, il serait content de le voir.

Felix avait passé un temps fou à fouiller dans ses e-mails à la recherche de l'adresse de son petit-ami. Il était persuadé de l'avoir quelque part – bien moins loin que dans ses messages datant de l'hiver dernier mais que nenni – et au bout d'une dizaine de minutes qui lui parurent interminables, il l'avait enfin trouvé. Il ne se remercierait jamais de l'avoir laissé lui envoyer un colis, il y a de cela plusieurs mois. L'étiquette à coller sur le carton semblait être là seule trace de son lieu de vie. Il tapa l'adresse sur City Mapper : une heure de métro ? Il opta plutôt pour les vingt-cinq minutes de taxi.

De plus, en esquivant le métro, Felix pouvait se maquiller sans subir des regards insistants. Il avait parsemé ses cheveux de paillettes cuivrées, déposé bien plus qu'une pincée de blush sur ses pommettes, fait ressortir ses tâches de rousseurs au crayon. Quand il s'était regardé dans le long miroir de la salle de bain publique, la première pensée qui parvint à son esprit était positive. Il se trouvait bien mignon, comme ça.

Il quitta son hôtel en retard et, heureusement, n'eut pas beaucoup de mal à se trouver un taxi : la première voiture à laquelle il fit signe s'arrêta. Il se glissa dedans. Le chauffeur était un monsieur à qui il donnait la soixantaine au mieux, et qui commença immédiatement à lui sortir des litres de phrases en japonais. En remarquant l'air confus du garçon aux cheveux cuivrés, sans doute, il ralentit, jusqu'à cesser de parler. Felix en profita :

« Vous parlez anglais ? »

Il avait articulé au mieux mais le message ne semblait pas passer. Il se contenta alors de montrer sur sa carte l'endroit où il devrait aller, ce qui sembla suffire. Bientôt, la voiture déambulait dans les rues illuminées de la capitale.

Si tu prends un taxi, vérifie le trajet sur la carte. On n'est jamais trop sûr : des fois, les chauffeurs aiment bien prendre des détours. C'est cool pour eux, mais ça te fait perdre du temps et de l'argent et en général, on préfère gagner un des deux.

De temps à autre, Félix jetait à un coup d'œil à son trajet. Ils ne dévièrent jamais dû chemin optimal.

Comme convenu, vingt-cinq minutes plus tard, le taxi s'arrêta au pied d'un immeuble dans le quartier d'Edogawa. Il paya sans regarder le montant, salua la voiture d'une courbette un peu trop prononcée lorsqu'elle disparut dans une rue adjacente.

Bon, en route ! s'était-il dit, tout plein d'entrain, en resserrant les anses de son sac à dos.

Sur son chemin vers l'entrée, Felix essuya plusieurs fois ses mains moites sur son jean. En vrai, son cœur battait à mille à l'heure. Quand il y repensait, la dernière fois qu'il s'étaient vus remontait au jour où Chan avait quitté la Corée, soit un peu plus d'un an. Il avait vu beaucoup de vidéos de retrouvailles, durant lesquelles la personne surprise pleurait. Felix n'avait jamais vu Chan pleurer, alors il appréhendait.

Il passa la porte du hall grâce à un riverain qui sortait et se référa aux boîtes aux lettres afin de trouver le bon étage. À côté de son nom figurait le numéro 402, c'était donc tout naturellement que Felix prit l'ascenseur en direction du quatrième étage.

Il s'analysa dans le miroir durant la montée. Ses cheveux ? parfaitement en face. Avec la chaleur, son blush était un peu parti, mais cela le rendait plus discret et naturel. Il réajusta son t-shirt et posa ses mains sur ses joues.

Allez Felix. Tu peux le faire !

Les portes s'ouvrirent devant lui, il longea le couloir lisant chaque numéro se trouvait près d'une porte.

« Quatre cents douze... Quatre cents six... Ah ! »

Il se tint là, devant la porte numéro 402. Il sonna avant même de savoir quoi dire. De toute façon, cela ne lui aurait servi à rien de réfléchir : la porte s'ouvrit, mais pas sur la personne qu'il espérait.

Instinctivement, il eut un mouvement de recul. Le visage de la fille en débardeur en face de lui ne lui paraissait aucunement familier, mais il reconnut sa manucure aux motifs de fraises. Il l'avait déjà vue quelque part.

Elle lui lança une phrase en japonais. Il cligna des yeux puis ceux-ci se plissèrent. En voyant qu'il ne réagissait pas, elle se tourna vers l'intérieur de l'appartement. Il ne capta qu'un mot de tout ce qu'elle déblatéra ensuite : kurisu.

Et comme par magie, Chris apparut là, avec une couleur de cheveux bien plus sombre que celle qu'il avait l'habitude de connaître. Malgré sa gêne, Felix sautillait sur place.

Il le regarda plisser des yeux à son tour, ressortir du mur avec une grosse paire de lunettes sur le nez et enfin s'approcher, les yeux écarquillés.

« Surprise, se contenta de souffler le touriste quand le trop plein d'émotions commença à avoir raison de lui. »

La fille s'écarta juste à temps pour esquiver Chan qui attrapa Felix et le serra si fort qu'il manquait de tomber. Son débardeur empestait le tabac froid, mais il adorait ça.

« Ça, pour une surprise... »

Felix lui rendit son étreinte, ses petits doigts serrant avec force le haut de son copain. S'il faisait quelques centimètres de plus, il aurait pu apercevoir le sourire crispé de celui-ci.

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