Chapitre ✈️ 1

« Appelle-moi quand t'arrives, okay ? J'te jure que si je n'ai pas de nouvelles de toi dans les prochaines vingt-quatre heures je préviens la police.

Tu ne parles pas japonais, Jisung.

Ouais, bah ils vont quand même entendre parler de moi. Enfin, surtout de toi. »

Felix jeta un coup d'œil à l'horloge du grand écran affichant les horaires derrière son meilleur ami. Il ne lui restait qu'une petite heure avant l'embarquement et grâce à son ami prévoyant, il avait effectué le plus gros : valise enregistrée, téléphone chargé à bloc, ventre plein. Avec toutes ses instructions notées dans son journal de bord, il saurait survivre jusqu'à arriver à son hôtel. Il n'avait étrangement pas peur : pour sa première fois en dehors du pays, une excitation nouvelle le faisait bouillir de l'intérieur. Il ne craignait pas se perdre, parce qu'il savait où se rendre.

Et que ce qu'il y avait de plus beau l'attendait là-bas.

« Ça va aller, je te le promets. »

Il serrait les mains de son ami pour tenter d'apaiser la crainte de celui-ci, mais rien n'y faisait. À ce moment, Jisung avait plus l'air d'un papa poule que de son meilleur ami et colocataire depuis deux ans. Celui-ci l'attira contre lui pour le coincer dans une étreinte.

« Tu vas me manquer. Beaucoup. »

Il sentit ses doigts se crisper sur son pull.

C'était la première fois qu'ils se séparaient aussi longtemps depuis qu'ils se connaissaient et Felix devait avouer que l'idée de ne pas dormir au même endroit que Jisung le perturbait, maintenant qu'il partageait la même chambre depuis un peu plus d'un an. Il n'aurait pas à supporter sa veilleuse, son enceinte qui diffusait du lo-fi jusqu'à l'aurore, ses ronflements quand il faisait trop froid. Il aurait droit à une nuit de sommeil silencieuse, réparatrice, mais se demanda si toute l'agitation ne lui manquerait pas. Puis là, en entendant les reniflements de Jisung, ses yeux s'embuèrent.

« J'espère que tu vas bien profiter avec ton boyfi. Je n'arrive pas à croire que tu m'abandonnes pour lui, se plaignit Jisung en reniflant une fois de plus.

Roh, arrête. On se voit tous les jours de l'année déjà, ça ne te suffit pas ?

Nan. Tu me manques déjà. »

Le rire qu'il lâcha était gras et lent. Felix peinait à reprendre sa respiration.

« Si tu continues, je vais vraiment pleurer. »

Ses lèvres se pincèrent quand il se sépara de Jisung.

« Tu m'appelles. Pour de vrai, insista-t-il.

Pour de vrai. »

Quand leurs mains se séparèrent enfin, Felix commençait à se demander s'il avait vraiment fait le bon choix. Il aurait pu passer le même été que l'année précédente, à faire le tour de Séoul pour tester tous les cybercafés de la capitale, profiter du canapé qu'ils avaient montés à la main pour regarder des films. Se perdre en boîte de nuit aurait été une option si le duo devenait assez téméraire.

« Ramène-moi une figurine ! cria le garçon aux joues d'écureuil alors et Felix se retourna une dernière fois en riant. »

Ce vingt-huit juin marquait le premier jour des vacances d'été. Le programme du voyageur était déjà tout tracé depuis l'annonce des dates d'examens. Il en avait rêvé durant les quatre derniers mois. Là, il s'y trouvait, dans la zone d'embarquement, alors qu'il ne restait qu'une poignée de minutes avant qu'il ne s'envole direction le pays du soleil levant. Avant cela, il avait passé l'année scolaire tantôt à la bibliothèque universitaire, tantôt derrière le comptoir d'un café. Ses heures de sommeil disparaissaient au profit des chiffres dans son compte bancaire et, avant même qu'il n'eût eu le temps de le réaliser, il avait déjà assez pour se prendre un billet direction Tokyo, tout droit vers l'appartement de Christopher.

Ses billets furent réservés durant une nuit d'hiver, d'un mardi à un mercredi et après... rien ne s'était enchaîné. Son excitation grandissait en même temps que son impatience et son ennui pour les cours et les indications de Jisung trouvées sur Instagram sur comment se repérer au Japon. Il avait beaucoup échangé avec Chris, aussi. Mais que sur le quotidien de l'expatrié, pour conserver la surprise.

La salle d'attente pour l'embarquement était fâcheusement remplie lorsqu'il y arriva. Il se trouva un coin, près de l'entrée, et se cala pour démarrer une série. Les heures qui suivirent passèrent en un éclair : quand il fit la queue pour embarquer, qu'il trouva sa place contre un hublot dans les derniers sièges, ses yeux restaient d'une manière ou d'une autre toujours rivée sur son écran. Il lui fallait avouer que Jojo's Bizarre Adventure avait quelque chose d'assez... addictif. Il n'avait rangé son téléphone dans sa poche que durant l'instant durant lequel il dut coincer son sac dans l'un des compartiments au-dessus de sa tête.

Seul pour l'heure, il s'était avachi sur son siège. Sa fenêtre ne donnait que sur le ciel d'un bleu vif et l'asphalte brûlée par les rayons du soleil estivaux. En se penchant, il avait pu voir un engin décoller sur l'une des pistes plus loin.

Après avoir rabattu la capuche de son gilet sur sa tête, il envoya un dernier message à son meilleur ami, un second à son petit-ami, mit son téléphone en mode avion et reprit son anime.

« Maman, maman ! On peut voir les avions ? »

Felix sursauta en entendant la voix aigüe lui transpercer le tympan. Il se tourna et aperçut une fillette à peine plus haute que ses jambes, penchée sur son accoudoir, les yeux rivés sur la fenêtre.

« Attention Lily, tu déranges les autres voyageurs... »

Il ne remarqua qu'après la présence de la jeune femme derrière celle-ci. Elle arborait un sourire crispé et tenta plusieurs fois de faire descendre la petite, sans succès. Quand il croisa son regard, il lui fit signe de la laisser.

Durant quelque secondes, Felix se demanda s'il pouvait à reprendre sa série.

« Vous voulez ma place ? osa-t-il finalement. »

Il vit l'hésitation traverser le visage de la femme.

« Vous feriez ça ?

Je pense plus dormir que regarder la fenêtre, donc... »

Quelques - très - longs remerciements plus tard, il se retrouva de l'autre côté de sa rangée et avait repris sa série. Il entendait toujours les exclamations de l'enfant en bruit de fond mais ses jambes avaient plus d'espace et cela lui convenait.

L'avion décolla. Il se souvint de l'une des indications de Jisung et sortit son paquet de chewing-gum de sa poche. Oublie pas d'en prendre un, sinon tes oreilles vont se boucher. Un goût mentholé inonda sa bouche, mais ses oreilles se bouchèrent quand même.

Au bout d'une dizaine d'épisodes, il commença à se lasser. Il regarda autour de lui : la petite était toujours affairée à la fenêtre, le duo de vieilles personnes devant lui devait être occupée à faire une petite sieste, l'unique personne dans ligne adjacente était pliée en deux sur son ordinateur. Ennuyé, il rabattit d'avantage sa capuche sur son visage pour se créer de l'ombre, et s'autorisa une petite sieste.

Il fut réveillé par l'agitation autour de lui. Il mit du temps à éveiller et sursauta en réalisant qu'une majeure partie des passagers était debout, puis qu'on le secouait. Il s'était tourné pour remarquer qu'il bloquait le reste de sa rangée.

« On a atterri ! expliqua la petite. »

L'information parvint enfin au cerveau de l'étudiant. Avec hâte, il releva son accoudoir mais manqua de tomber de son siège : durant sa sieste, la place devant lui s'était incliné. Son épaule se prit le dossier de plein fouet. Il retint sa grimace, se dépêcha d'attraper son sac et de s'incruster dans la file de voyageurs.

En quittant l'avion, il fut pris d'un sentiment indescriptible. Un mélange presque parfait entre la perdition et l'excitation, l'appréhension et l'euphorie. Vingt heures sonnaient et, quoique l'esprit encore confus par sa pause, Felix commençait à réaliser qu'il se trouvait à présent à plusieurs centaines de kilomètres de l'appartement qu'il partageait avec son meilleur ami. Là, il ne reconnaissait plus les panneaux en relavant la tête et se contentait de lire les indications en anglais, en plus petit, en dessous, exactement comme les touristes. Car c'était ce qu'il était devenu : Lee Felix, l'un des millions de touriste du sol nippon.

Si son sac n'était pas affreusement lourd, il aurait sautillé jusqu'au tapis roulant où s'agglutinaient déjà une petite foule impatiente à l'idée de se rendre en ville. Il se posa contre un mur, en retrait. De toute façon, ça ne sert à rien de se bousculer pour avoir sa valise en premier, t'as pas de taxi à prendre. Vérifie juste que personne ne parte avec ton matos, parce que ce serait un peu chiant.

Difficile de manquer la valise de Felix : rose, pailletée, avec quelques stickers étalés, à l'effigie de sa coiffure et de son style vestimentaire. Son étiquette en forme de flamant rose se balança dans tous les sens quand il retira son bagage qui faisait partie des derniers à tourner en rond.

Il tenta de se remémorer les indications de Jisung : l'immigration, prendre une carte de métro, une carte Sim. Acheter un petit gâteau pour la route ne faisait pas partie de ses projets, mais il le nota dans un coin de sa tête en sentant son ventre gargouiller.

Il se retrouva vite devant le quai du métro. Comme en se baladant d'un bout à l'autre de l'aéroport, il retrouva cette sensation de dépaysement pas tout à fait correct. Il voyait des affiches, des indications colorées, des portiques. Des kanjis, partout, un peu. C'était surtout cela qui le rendait inconfortable.

Il jeta un coup d'œil autour de lui et imita le monde en prenant place dans une des nombreuses files faisant face à la bordure du quai. Lorsque le métro arriva, il réussit à monter sans encombre. Durant la petite demi-heure de trajet qu'il passa debout, serré entre deux salaryman tokyoïtes, son regard se perdit au travers de la fenêtre. En arrivant au centre-ville, il reconnut le tour de Tokyo.

C'était réel. Une seule pensée le traversa : Je suis dans la même ville que Chan.

Ce fut d'ailleurs lui que Felix appela en premier, dès qu'il était descendu du métro et s'était trouvé une petite rue tranquille. La promesse de Jisung lui passa au-dessus de la tête. Il se coinça sous le porche d'une mercerie fermée et alluma son téléphone. Les notifications ne l'assaillirent pas tout de suite. Il eut une petite minute durant laquelle il put composer son numéro et l'appeler, sans penser aux taxes supplémentaires qui s'ajouteraient à sa facture téléphonique le mois prochain.

« Allô ? »

Aucun bruit environnant. Du côté du voyageur, on pouvait entendre la circulation au bout de la rue. Felix percevait aussi bien les grognements des moteurs que la voix de son petit-ami mais, pour l'instant, il s'en contenterait.

« Chris ? Je te dérange ? »

Un bruit de friction assaillit son oreille, puis un grognement. Le même que celui qui caressait ses oreilles lorsqu'il se réveillait dans les bras de son amant.

« Nan... Tu ne me déranges jamais... »

Il dut néanmoins attendre quelques secondes de plus avant de l'entendre se racler la gorge. Entre temps, les frictions cessèrent.

« T'es chez toi ? »

Encore des bruits environnants. Un petit boum retentit.

« Je suis parti chez des potes. »

Un peu dommage. S'il le pouvait, il se serait rendu chez lui en premier. Néanmoins, il s'y attendait : l'appartement de Chan avait beau être assez spacieux pour un jeune homme seul en début de vingtaine, il passait bien plus de temps en dehors. Le plus souvent, dans les photos qu'ils s'échangeaient, apparaissaient la bibliothèque de son université, la supérette en bas de chez lui, les diverses maisons dans lesquelles il passait. Felix voyait souvent des mains en plus, des vestes, des reflets de bracelets, mais rarement des visages. Chan restait discret sur ses relations.

« Je peux te rappeler plus tard.

Attends. »

Au débit de voix amoindri et brouillé, Felix comprit que Chan venait d'éloigner l'appareil de son oreille. Il grappilla quelques échanges ponctués de rire. Le soufflement du nez de son petit-ami frappa son micro avant qu'il ne reprenne la parole.

« Je suis vraiment désolé, il faut que j'y aille. Tu seras encore là dans une heure ? »

La déception le frappa bien plus vite que la surprise.

« Oui, bien sûr, répondit-il sans hésitation. »

Il ignorait combien de temps il lui faudrait pour se rendre à son hôtel, déposer ses affaires. Au vu de son état, il risquait de fermer les yeux dès qu'il toucherait le rebord de son matelas. Avec un peu de chance, il trouverait un café assez fort pour le maintenir éveillé jusque-là.

« Super. Je me dépêche, bisous.

À tout à l'heure. Je t'aime. »

Felix n'était pas sûr qu'il avait été entendu. Il reprit néanmoins son chemin avec plus d'entrain que lorsqu'il s'était posé dans cette rue.

Pour les premiers jours, il avait choisi de se poser dans un hôtel à capsules dans un quartier choisi un peu hasard, Asakusa. Petit, sans réelle vie privée mais abordable, il comptait tout simplement abandonner ses affaires là-bas pour profiter de la ville le sac léger. Il s'était laissé séduire par les images de temples traditionnels et boutiques artisanales environnantes dont la visite constituerait la majorité de ses activités du lendemain.

Il survit à son petit tour à la réception malgré son niveau de japonais inexistant. Les flèches, les plans, sobres et placés intuitivement, lui permirent de trouver sa « chambre » assez rapidement. Elle se situait au troisième étage d'un immeuble de cinq, juste au-dessus de l'espace lecture. Valise dans le casier, cheveux lavés, dents brossées, il avait songé à s'installer dans le couloir pour attendre l'appel de Chan. Une heure et demi s'était écoulée depuis leur échange et il n'avait pas vu l'ombre d'une notification apparaître sur son téléphone. Par peur de déranger, il ne lui envoya qu'un simple message et se glissa dans les draps en se promettant d'aller à sa rencontre demain.

Quand il se leva, aux alentours de huit heures le lendemain, son message restait sans réponse.

☀️

Bonsoir, bonsoir !
Voici l'un de mes trois projets de l'été, Sour Summer ! Il est écrit à l'occasion du défi de Cylliane et devrait comporter environ 20-25 chapitres :] Je posterai les trois premiers chapitres d'ici lundi, comme convenu, après le rythme risque d'être beaucoup moins régulier vu que je préfère avancer sur un truc à la fois.

En attendant, j'espère qu'elle vous plaira !

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