Appartiens-moi
Jean fixa la porte vitrée de l'immeuble de Aiden, hésitant à sonner à son interphone. Il était venu ici sur un coup de tête en suivant son cousin qui allait chercher Alexei, mais maintenant qu'il se retrouvait face à la porte, il ne savait plus quoi faire. Ce qu'il avait appris la veille l'inquiétait. Qui sait ce qui pourrait lui arriver ? Il devait le prévenir à tout prix, peu importe s'il le détestait. Sa vie était plus importante que leurs sentiments malmenés. Il décida donc d'appuyer sur le bouton de l'interphone après avoir choisi le nom de Aiden sur l'écran digital. Ce dernier ne tarda pas à répondre, l'air fatigué et agacé :
— Oui ?
— C'est Jean. J'ai besoin de te parler de quelque chose, c'est important.
— Va te faire foutre, je veux pas parler avec toi.
— Aiden. C'est vraiment important. Tu es en danger.
— Mais oui, je te crois...
— Tu connais le Sultan ?
— Le... Comment tu connais ce nom ?!
— Je t'explique si tu me laisses monter.
Il entendit un long soupir au bout du fil puis l'ancien manager lui expliqua comment atteindre son appartement avant d'ouvrir la porte de l'immeuble. Le châtain entra et suivit les indications du plus jeune. Il sonna à sa porte et attendit qu'il vienne lui ouvrir, ce qui ne fut pas très long. Il découvrit donc un Aiden en jogging, torse-nu, les cheveux en bataille et les yeux encore à moitié collés par le sommeil. Il ne put s'empêcher de le trouver absolument craquant mais se reprit bien vite quand la voix grave et encore rauque de ce dernier l'invita à entrer. Il s'exécuta bien gentiment, ne voulant pas énerver plus qu'il ne le semblait déjà son hôte forcé. Il se stoppa devant la console du salon en voyant les photos bien rangées de Marc et la bougie allumée qui dégageait une douce odeur de fruits rouges devant elles.
— Dépêche-toi de parler, je suis fatigué, soupira Aiden en se laissant choir sur son canapé.
Jean sortit de sa douloureuse contemplation, un peu trop sonné pour répliquer aussitôt. Voir le visage souriant de la personne qu'il avait sacrifiée, ses yeux bleus brillants de bonheur, et savoir que quelqu'un avait fait un autel juste pour lui, renforçait le sentiment de culpabilité qui ne le quittait déjà presque jamais. Il avait ôté une vie. Et en faisant ça, il avait brisé celle de l'homme qu'il aimait. Il inspira, remit un masque souriant, un brin moqueur, et beaucoup plus sûr de lui qu'il ne l'était réellement. Quand elle s'éleva dans la pièce, sa voix sembla incroyablement fausse à ses oreilles, même s'il savait que cela suffirait à duper Aiden :
— Tu pourrais me proposer un verre au moins.
Aiden lui présenta son majeur en se redressant avant de partir vers la cuisine pour leur préparer deux cafés. Le châtain laissa passer un léger sourire, sincère cette fois, en le voyant lui obéir. Il n'y pouvait rien, il aimait ça. Le voir se rebiffer mais faire ce qu'il lui avait demandé quand même. Il posa sur la table basse les dossiers des principaux serveurs du club et s'assit. La partie la moins sympathique de leur entrevue allait commencer maintenant.
— Tu connais l'Oasis ?
— Ouais, c'est un club gay et BDSM, non ? Mais c'est quoi le rapport avec moi, demanda le brun en revenant avec les boissons chaudes.
— Les serveurs y sont prostitués contre leur gré.
— Je ne vois toujours pas le rapport, Jean. Tu as parlé d'une personne qui se nommerait le Sultan, c'est uniquement pour ça que je t'ai laissé entrer. Personne ne connaît ce nom.
— Ah bon ? Pourtant, le patron du club se fait appeler le Sultan.
Il vit Aiden se figer en avalant une gorgée de café. Et la vérité lui explosa au visage. Depuis hier soir, il refusait d'y croire, il s'imaginait que c'était juste une coïncidence, que c'était un autre Aiden. Mais ce regard charbon qui s'était rempli de peur, ses lèvres qui avaient légèrement tremblé, il s'agissait de signes que son intuition ne s'était pas trompée. Aiden était en danger.
— Hier soir, reprit Jean en essayant de mettre de la douceur dans son ton, il a annoncé qu'il y aurait un nouveau. Ce nouveau... il s'appelle Aiden.
— Je... Je suis pas le seul au monde à m'appeler Aiden, idiot, tu paniques pour rien là.
Le brun grimaça en sentant sa voix trembler malgré lui et Jean fronça les sourcils, pas tout à fait dupe. Il commençait soudain à comprendre qu'il ne l'avait approché que pour lui tendre un piège, pour l'emmener dans cet endroit. Il ne comprenait pas pourquoi, après tout, il n'avait rien fait de mal. À moins qu'il n'est appris par un obscur moyen ce qui s'était passé en Normandie. Mais même ça... il n'avait pas voulu que Jean l'attache ! Ce n'était pas de sa faute. Il devait en avoir le cœur net. Il ne pouvait pas vouloir faire ça. Il ouvrit le dossier sur la table et commença à lire les fiches qu'il contenait, serrant sa tasse dans ses mains pour empêcher ses mains de trembler.
Le fracas qu'elle fit en se brisant au sol ne manqua pas de faire sursauter le second gérant du club qui se tourna vers l'ancien manager. Ce dernier avait les yeux rivés sur la photo, les lèvres tremblotantes, et semblait en état de choc. Comme s'il avait vu fantôme.
— Je... Je crois que c'est moi... le Aiden, souffla-t-il avec effarement.
— Tu connais ce serveur ?
— ... Il s'appelle Karim. Il a trente-trois ans. Il était stagiaire dans une banque, avant... et... je le croyais mort... bordel...
Il attrapa les autres fiches et les regarda, les larmes au bord des yeux. C'était eux. Ceux qui étaient au harem avec lui. Ils étaient vivants. Il ne put retenir ses larmes en caressant du doigt leurs photos, heureux comme jamais. Ils avaient été ses amis malgré les rivalités entre eux pour être le favori, ils avaient été proches et avaient tout partagé dans cet enfer.
Jean serra les dents. Il avait envie de faire du mal à ce salopard. Autant qu'il en faisait à Aiden. Il voyait bien la peur dans ses yeux. Il tendit la main vers lui pour l'enlacer, tenter de le rassurer, mais se stoppa avant d'avoir pu toucher son épaule. Il ne pouvait pas faire ça. Pas alors que Aiden le détestait. Il referma son poing et le reposa sur sa cuisse. Le silence s'éternisa un long moment, le temps que le plus jeune reprenne ses esprits et puisse de nouveau parler.
— Ils ont tous une marque au fer rouge sur le corps. Un "P". C'est sa marque.
— Comment le sais-tu ?
— Parce que je l'ai aussi. Mais... j'ai pas le droit d'en parler... si jamais...
— Aiden. Ce mec compte déjà te faire du mal. Dis-moi ce qui se passe. Je te protégerais.
— Pourquoi tu ferais ça ?
— Je te l'ai déjà dit en Normandie. Certaines personnes tiennent à toi. Et... je ne pense pas que tu veuilles faire ça, non ? Je peux t'aider.
Aiden hésita en se mordant la lèvre. Il ne savait pas trop pourquoi Jean était là, à lui révéler ça, alors qu'il aurait très bien pu ne pas se soucier de ça ou même se dire qu'il ne méritait pas son aide. Il avait essayé de le tuer, après tout. Alors pourquoi était-il en face de lui avec cet air inquiet peint sur le visage ? Sauf qu'il ne pouvait pas parler du harem sinon... Sinon quoi ? Il semblait qu'il avait déjà un projet pour lui, et ce projet trahissait ce qu'ils avaient convenu. Il hocha donc la tête, arrachant un léger sourire au plus vieux qui lui dit sur le ton de la confidence :
— Dis-moi pourquoi tu es là, alors ? Pourquoi ce n'est pas Christian ?
— C'est... Ah, une confidence pour une confidence, tu aurais fini par l'apprendre de toute façon. Je t'apprécie. Beaucoup. Et je ferais tout pour que ce soit réciproque, compris ?
— Non, répondit Aiden du tac au tac en se crispant, je ne peux pas et je ne veux pas. Tu as oublié ce que tu m'as fait ? Je te déteste.
— Je sais, soupira Jean avec un sourire triste, raconte-moi ce que tu sais maintenant.
— L'homme que tu appelles le Sultan est un Dom manipulateur. Il choisit des cibles faciles, des jeunes hommes un peu perdus qui n'ont plus vraiment de famille et que la vie a laissé sur le côté. Il y a quatre ans, je l'ai rencontré dans un bar... je venais de me faire larguer, il m'a proposé de tester le BDSM... et je me suis fait embobiner. Je l'ai servi six mois au harem, pendant trois mois j'ai été son favori... les serveurs que tu vois là sont les soumis qui étaient avec moi à cette époque. Mais avec moi, il a fait une erreur. J'avais Alexei. Il a fini par me laisser partir. Pour les autres... on m'a dit qu'ils étaient partis... et... Karim nous disait qu'il tuait les soumis dont il n'avait plus besoin mais en fait...
Le châtain caressa doucement l'unique larme qui avait coulé sur la joue du plus jeune avant de demander d'une voix grave et profonde qu'il tenta de rendre douce pour ne pas le brusquer :
— Tu es encore sous contrat avec lui ?
— Oui. Mais il était censé me laisser tant que je ne prenais que des soumis à mon service et qu'il était le seul à avoir le droit de me dominer... Alors je ne comprends pas... pourquoi il ferait ça ? À part... toi... je n'ai jamais trahi ma promesse.
— Et s'il a découvert ce qui s'est passé en Normandie ?
— Impossible. Il avait juste ce projet pour moi... Il s'est lassé, comme les autres, c'est logique que je finisse comme eux...
— Ça n'a aucune logique ! Il est hors de question que je te laisse faire ça !
— Si je ne me soumets pas qui te dit qu'il ne fera pas du mal aux autres, s'énerva Aiden en se levant, affrontant les yeux émeraudes en face de lui, j'aurais pu nous sauver au moment où j'étais favori, si je n'avais pas été aveuglé par sa fausse bienveillance, alors il est hors de question que je le laisse leur faire du mal à cause de moi !
— Aiden...
— C'est pas toi qui penses qu'un sacrifice en vaut mieux que plusieurs ?! C'est pour ça que tu as tué Marc, non ?!
Jean se leva à son tour, la culpabilité brûlant au fond de son regard. Il savait tout ça. Il savait qu'il n'avait pas forcément fait le bon choix, qu'il aurait peut-être pu éviter tout ça. Qu'il aurait peut-être pu éviter que Aiden le déteste. Sa conscience le lui rappelait tous les jours. Quand il vit le brun ouvrir de nouveau la bouche, prêt à lui cracher de nouveau sa haine au visage, il craqua. Il ne voulait pas en entendre plus. Il attrapa sa nuque et écrasa violemment sa bouche sur la sienne pour le faire taire. Quand il sentit le plus jeune commencer à se débattre contre lui, il le relâcha ses lèvres. Ses yeux se retrouvèrent happés par les iris charbonneux de Aiden et il ne put se résoudre à l'éloigner. Il posa son front contre le sien, si bien que leurs bouches étaient désormais à quelques millimètres l'une de l'autre, se perdant totalement dans la contemplation de ses yeux si noirs, si pleins de détermination, de rage et de tristesse... Ce simple contact visuel lui permit de comprendre qu'il ne gagnerait pas. Aiden allait foncer droit dans ce piège pour ne pas risquer la vie de ses amis. Mais il n'était pas trop tard. Il pouvait encore faire quelque chose. Il serra un peu plus sa nuque, de peur qu'il ne s'enfuit, et murmura :
— J'ai compris. Je ne t'empêcherai pas d'y aller. Mais je le ferais tomber, et ensuite... ensuite je ferai en sorte que tu sois à moi.
— Je n'ai jamais dit que j'étais à toi, Jean.
— Je sais. Mais tu dois avoir compris ce que je ressentais pour toi, non ? Je veux que tu me pardonnes. Je veux que tu m'aimes. Et je ferais n'importe quoi pour ça.
— Ça n'arrivera jamais.
— Alors si ça ne doit jamais arriver, laisse-moi au moins te protéger. Je lui dois. Je lui ai volé sa vie, alors maintenant c'est à moi de veiller sur toi.
Aiden ricana légèrement mais avant qu'il ait eu le temps de dire quoi que ce soit pour se moquer du châtain, ce dernier l'embrassa avec plus de douceur. Il en fut tellement surpris qu'il réagit à peine quand il le relâcha et qu'il sortit tranquillement de son appartement avec un léger sourire.
— Idiot, chuchota-t-il en caressant doucement ses lèvres du pouce, c'est toi qui seras à moi. Ce sera ma vengeance.
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