Chapitre 12. Ta double vie prend trop de place

Miles rentra chez lui, en se posant une tonne de questions, sur la tenue qu'il devait porter, sur les phrases ou les anecdotes qu'il devait préparer pour ne pas ennuyer Eva durant leur rendez-vous au bowling. Des dilemmes cornélien s'imposaient à lui. Et pour la première fois depuis deux ans il allait sortir de son trou dans une tenue autre que celle du justicier de New York. Il ne parla pas à sa mère de ce rendez-vous, il savait que cela donnerait lieu à un véritable interrogatoire dont il serait le suspect. Il préférait garder cette histoire pour lui. Sa nuit, Miles la passa à cogiter, se repassant tous les scénarios possibles et imaginables sur ce qu'il pourrait se passer le lendemain. Il regretta plus tard de l'avoir fait car cela lui mit des faux espoirs dans la tête. À son réveil, Miles se mit sur son trente et un, même si son rendez-vous n'était qu'à dix-sept heures, il devait être prêt en toutes circonstances. Némésis passa la journée à lui rappeler qu'il était ridicule mais Miles ne l'écoutait plus. Il était plein d'espoir et il avait bien trop à penser. A quinze heures, il sortit de chez lui, cela faisait plus de vingt-quatre heures qu'il n'avait pas revêtu le costume de Spider-Man et les journaux ne manquaient pas de le lui rappeler. Ceux-ci suivaient les moindre faits et gestes du justicier chaque fois qu'il était aperçu dans les rues. Durant la semaine ayant succédé à l'attaque terroriste, tout un tas de journalistes lui demandait sur son passage s'il enquêtait sur le mystérieux tueur en fuite. Il leur répondait simplement "Je ne peux pas vous donner plus d'informations sur l'enquête en cours" sur un ton joyeux, ce qui ne plaisait pas à tout le monde. Miles traversa le pont de Queensboro et se rendit à l'autre bout de Manhattan, là où se trouvait le Bowlero de West St.

Il se tint devant l'établissement avec près de trente minutes d'avance. Le stress montait à chaque minute, Miles se repassait tout ce qu'il avait dit à Eva la veille et comment il pouvait se rattraper. Bientôt il la vit arriver. Elle était vêtu d'un simple t-shirt blanc et de sa veste en cuir. Des boucles d'oreilles en forme de croissant de lune luisaient et faisaient ressorti ses petits yeux verts autour desquels elle avait disposé du mascara noir. Elle était divinement belle. Miles se sentait ridicule, avec sa chemise et son jean. Eva Grant lui sourit quand elle le vit enfin.

C'est un rencard, se dit Miles. Et il se mit à paniquer. Elle s'avança doucement vers lui, rabattant ses cheveux courts derrière ses oreilles. Elle portait un sac en cuir. L'univers de Miles était sur le point de changer. Lui qui ne sortait jamais auparavant, lui qui n'avait fait que fantasmer ce moment toute sa vie, lui qui s'était pourtant dit, au début de l'année, qu'il allait terminer le lycée sans parler à une seule fille. L'une d'elles avançait désormais vers lui, en lui souriant, à lui.

« Alors, le frenchie, on y va ? dit-elle. T'es très classe !

-Toi aussi... répondit Miles avec une petite voix.

-Merci ! »

Miles acquiesça timidement, mais en maintenant le regard. Lui aussi lui souriait, un sourire gêné qu'il ne pouvait pas contrôler. Tous deux entrèrent dans le Bowlero et de la musique s'échappa du bâtiment dès qu'ils ouvrirent la porte. Des dizaines de personnes étaient déjà en train de jouer. Des familles, des groupes d'amis ou bien des adolescents en rendez-vous comme Eva et Miles. En plein samedi après-midi, une telle situation était très prévisible. Ils prirent l'une des seules pistes restantes et s'installèrent.

"C'est bizarre comme prénom, Miles, pour un français, dit soudain Eva en s'asseyant.

-Ouais c'est vrai, répondit Miles, mais ma mère est américaine et mon père... C'est lui qui a choisi mon prénom, en l'honneur de Miles Davis. Il adore le Jazz.

-Ahh je vois. C'est classe le Jazz.

-Ouais.

-Allez c'est à moi de commencer, dit Eva d'une voix joyeuse en se levant."

Elle plaça ses doigts dans une petite boule orange et la souleva. Elle regarda Miles une dernière fois avant de passer à l'action

"Allez, souhaite-moi bonne chance, lui dit-elle."

Miles sourit, avant de comprendre qu'il fallait qu'il parle.

"Ah euh... bonne chance ! balbutia-t-il.

-T'es vraiment bizarre, dit Eva en riant."

Merde, pensa Miles.

Puis Eva s'élança vers la piste et fit rouler la boule avec force. Celle-ci fila tout droit vers les quilles au loin, qui n'attendaient qu'à être dégommées.

Avec fracas, toutes les quilles s'effondrèrent et Eva hurla victoire. Puis elle se tourna vers Miles et lui donna un coup dans l'épaule.

"J'espère que t'es à la hauteur, Sora, dit Eva.

-Bien sur ! répondit Miles en prenant une grosse voix fière, ce qui fit rire Eva."

Miles se dirigea vers les boules et les prit toutes en main une par une. Il se rendit compte qu'il pourrait toutes les manier avec aisance. Il choisit donc une boule bleue sur laquelle le chiffre 14 était inscrit.

J'espère que c'est la boule que les gars de mon âge utilisent normalement, se dit-il. Miles la souleva la boule, sous le regard surpris d'Eva.

"Quatorze ? s'exclama-t-elle. D'accord le frenchie montre moi ce que tu vaux."

Miles se positionna sur la piste et s'élança mais au moment de faire rouler la boule, il hésita. Devait-il mettre toute sa force dans ce coup. Bien sûr que non. Il retint sa frappe en plein élan et son bras propulsa la boule vers la gauche, ne heurtant que le quart des quilles. Il se tourna timidement vers Eva avec un sourire honteux, mais elle le regardait avec de grands yeux.

"C'était quoi cette frappe ! s'exclama-t-elle. T'es super fort en fait !

-Non pas tant que ça, mentit Miles. Regarde j'ai pas fait tombé beaucoup de quilles.

-Oui mais ton tir était tellement précis. Si tu avais visé un peu plus sur la droite, tu aurais mis un incroyable strike.

-Tu crois ?

-Mais oui enfin ! C'est quoi cette force de malade. Avec une boule de quatorze en plus. Allez réessaie bêta."

Miles prit une deuxième boule de 14 et tenta tant bien que mal de retenir sa force tout en essayant de ne pas décevoir la fille avec qui il avait rendez- vous. Impossible. Sa boule prit une nouvelle fois le chemin du bord gauche, là où plus aucune quilles ne se trouvaient. Elle heurta le fond de la piste avec un bruit sourd.

"Oh allez quoi, tu fais exprès, dit Eva derrière lui. Si tu vises un peu plus sur la droite tu les auras toutes, c'est sûr."

Eva prit une autre boule et marqua encore un incroyable score.

"Alors, c'est comment la France ? demanda-t-elle au cours de la partie.

-C'est bien, répondit Miles, plus calme qu'ici. J'étais dans une petite ville.

-Oui j'ai entendu parler de ce qu'il s'est passé à l'époque. Votre collège a explosé.

-Tu t'es informé à ce que je vois...

-Mais non ! C'était passé à la télé à l'époque. Je me rappelle. Tout un collège débarque clandestinement aux Etats Unis, accompagnés par de faux gendarmes.

-C'est à peu près ce qu'il s'est passé oui.

-Alors tu les a vu ces gendarmes, ils ressemblaient à quoi ?

-Eh ben... ils étaient masqués, on n'a pas vraiment vu leur visage.

-C'est fou ce qu'il vous est arrivé.

-Oui. N'empêche que si ces faux gendarmes n'avaient pas été là, on serait tous morts.

-C'est sûr, vous avez eu de la chance.

-Oui, enfin, on s'en est pas tous sortis, ajouta Miles sans réfléchir.

-Ah bon ?

-Non des élèves sont restés là bas, on a pas pu tous les sauver. Je veux dire, ils n'ont pas pu tous les sortir.

-Tu as perdu quelqu'un là bas ?

-Oui... Tommy."

Miles s'arrêta brusquement, il venait de se confier pour la première fois à quelqu'un. Eva le regardait tristement.

"Je suis désolé d'en avoir parlé, s'empressa-t-elle de dire, j'aurais pas dû être aussi curieuse. Excuse-moi.

-Non, répondit Miles, ne t'inquiète pas. C'était il y a deux ans maintenant, j'ai tourné la page.

-Tu es sûr ? demanda Eva en scrutant le regard de Miles.

-Oui..."

Ils restèrent plusieurs secondes à se regarder, quand une voix surgit de l'esprit de Miles.

"Tu as plombé l'ambiance avec tes soi- disant traumatismes stupides. Regarde comme elle est mal à l'aise. Regarde la, regarde la."

"C'est à toi regarde, dit Miles à Eva en pointant le tableau des scores."

Mais elle s'en fichait bien. Malgré tout, elle s'approcha des boules et les tâta une par une, ne sachant quoi faire. La voix de Némésis résonnait encore dans l'esprit du garçon. Regarde la, regarde la, il ne fait rien, stupide...

"Et toi alors, tu ne m'as jamais parlé de toi ? dit enfin Miles pour rattraper le coup." Eva lui sourit avec sympathie car elle avait bien compris ce qu'il essayait de faire.

"Et bien, qu'est ce que tu veux savoir ?

-J'en sais rien, qu'est ce que tu fais à New York par exemple.

-Je suis ici depuis toute petite figure toi.

-C'est vrai, tu as grandi ici ?

-Et oui. A Brooklyn.

-C'est génial, et tu as une idée de ce que tu vas faire après ?

-Non pas vraiment, mais j'ai déjà un petit boulot.

-Ah oui où ça ?

-Dans le bureau de ma mère à Kumo. Je fais quelques petites tâches comme classer des fiches tout ça. Je suis pas majeure alors je peux faire que ça.

-C'est déjà pas mal.

-Ouais. Et toi, tu travailles quelque part ?

-Non, mais j'envisage de m'y mettre bientôt, pour aider ma mère.

-Ah bah voilà toi aussi."

Miles prit une boule et sans réfléchir, il fit tomber toutes les quilles avec un coup parfait.

"Bah tu vois, c'est pas si compliqué de viser à droite ! cria Eva.

-T'avais raison, j'avoue.

-Tu sais, c'est dans un endroit comme ça que j'ai eu mon premier baiser.

-Ah... répondit Miles troublé, c'est vrai ?

-Et ouais, avec Carl Marshall. Un bel idiot. Il venait de rentrer son premier strike, et je l'ai embrassé. Qu'est ce que j'étais bête moi aussi.

-Ah... euh oui... balbutia Miles.

-Enfin bref, dit Eva ayant remarqué la gêne incontrôlable de Miles. Et toi tu l'as eu où le tiens ?

-Où est-ce que j'ai eu quoi ?

-Bah, ton premier baiser.

-Ah et bien, euh, nulle part.

-Quoi ? T'as jamais embrassé de fille ?

-Et ben... ouais.

-T'es vraiment nul tu sais."

La partie continua et Miles commença à se sentir de plus en plus mal. Son sixième sens était comme partiellement activé. Il se retournait parfois sans aucune raison, guettant toutes les personnes autour de lui, mais ne remarquant jamais rien de suspect. Néanmoins il sentait bien la présence d'une ombre tapis quelque part dans l'établissement. Eva semblait s'amuser et le rendez-vous se passait bien. Mais cette présence se faisait de plus en plus oppressante. Miles sentait un danger proche. Et Eva était avec lui, c'était bien trop dangereux. Que faisait-il là à jouer au bowling avec une fille alors qu'un tueur rôdait dans les rues ? Ce tueur qui l'avait pourchassé pendant plusieurs minutes. Et s'il le pourchassait encore en ce moment. Il pouvait être n'importe où. Cet homme qui l'avait martelé de coups. Et s'il attendait une occasion d'attaquer, ici et maintenant. Eva était en danger, le garçon s'en rendit compte. Comment avait-il pu être aussi aveugle ? N'avait-il donc pas droit à un peu de repos ? N'avait-il pas droit lui aussi de passer du temps avec une fille ? Non, Impossible. En étant avec elle, Miles la mettait en danger.

"Allez c'est à toi idiot, dit Eva.

-La dernière alors, répondit froidement Miles.

-Quoi, mais pourquoi ?

-Je suis trop nul regarde, et puis j'ai plus beaucoup d'argent.

-Quoi t'abandonnes déjà ? Je peux payer la prochaine si tu veux.

-Non, ça va Eva, merci."

Eva remarqua un changement dans le regard de Miles, il était inquiet pour une quelconque raison.

Tous deux terminèrent la partie et sortirent du Bowlero. Miles guetta une dernière fois en arrière et vit un homme qu'il n'avait pas vu avant se lever d'un tabouret et partir.

Il posa alors ses yeux sur Eva, elle avait un sourire en coin, elle semblait avoir réellement apprécié ce moment.

Non je ne peux pas, se dit Miles.

"C'est dommage, regarde il fait même pas nuit, dit Eva en levant les yeux au ciel. On aurait pu regarder les étoiles depuis le quai.

-Je crois que je vais rentrer.

-Ah bon ? Mais pourquoi ?

-Je sais pas... Je suis un peu fatigué"

Miles menti avec honte, il avait tant envie de passer plus de temps avec Eva, c'est tout ce qu'il souhaitait.

"Ah d'accord... dit sobrement Eva, terriblement déçue. Mais ça t'a plu au moins ?

-Oui, oui bien sûr !"

Cette fois, il était bien sincère et Eva le vit, seulement elle remarquait bien qu'il lui cachait quelque chose.

"Alors tu ne me demandes pas mon numéro ?"

Je ne peux pas, je ne peux pas. Tant que ce n'est pas réglé je ne peux pas te voir, tu serais en danger avec moi.

"Euh..., répondit Miles ne sachant quoi dire."

Eva attendit une réponse qui ne vint jamais, tout d'abord elle prit cela pour de la timidité mais se rendit compte que c'était plus que ça.

"Bon, bah je vais prendre le tien alors, dit-elle en s'approchant de lui."

Miles ne parvint pas à lui refuser cela, après tout, ce n'était qu'un numéro. Mais soudain alors qu'il récitait son numéro à voix haute, son sens d'araignée se mit en alerte. Il n'y fit guère attention.

"Alors Salut ? dit Eva sur un ton grave.

-Oui, salut."

Miles s'en voulut comme jamais d'avoir gâché ce rencard. Il rentra chez lui, tête baissée. Une fois dans sa chambre. Némésis lui fit la leçon.

"Stupide qu'il est le gamin, oh oui, si bête. Il a gâché son précieux rendez-vous à cause d'un petit pressentiment. Mais au final, rien ne s'est passé. Stupide qu'il est, le gamin... oui le gamin. Tout se passait si bien avant que tu ne commences à paniquer. Tu aurais même pu l'embrasser. C'est ce que tu voulais, n'est ce pas ? Non tu n'y as pas droit, qu'il s'est dit. Il n'y a pas droit. Parce qu'il se costume la nuit, et que ça lui est retombé dessus. Un tueur le pourchasse, il ne peut pas traîner dehors le soir avec une fille car elle est sans défense. Mais qui te dit qu'il te pourchasse encore hein ? Pourquoi serait tu constamment le centre de l'attention ? En fait, il a sûrement déjà tué d'autres personnes et tu ne le sais même pas. Non, il ne le sait pas car il attend qu'on vienne le chercher qu'on vienne le tuer. Un fou, stupide gamin.

-Tu ne sais pas de quoi tu parles, répondit Miles.

-Je te connais toi, et je sais ce que j'ai vu. Tu as abandonné cette fille, elle ne demandait qu'à s'amuser. Tu n'étais pas obligé de mêler ta vie de justicier à ta vie de gamin normal. Tu penses trop, tu t'es trop inquiété. Crois tu que les ados de ton âge pensent comme toi en plein rencard ? Pourquoi crois-tu que tu échoues ? Tu penses trop. Ta double vie prend trop de place. Mais dans tes deux vies tu te retrouves seul.

-La ferme.

-Tu pourrais être moins seul, si tu arrêtais de fuir absolument tout.

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