Chapitre 4

J'arrive au centre du village, complètement essoufflée. Cette course m'a éreintée. J'aime bien faire du sport mais de façon raisonnable, c’est-à-dire marcher d'un point A à un point B ou courir pour ne pas rater mon train. Mes activités physiques s’arrêtent là. Alors pour les occasions exceptionnelles où je pratique d'avantage, j'avoue que je n'assume pas énormément. Je pose mes mains sur mes cuisses et tente de reprendre ma respiration. Malheureusement, je n'en ai pas le temps. Je reçois un coup de baguette de pain sur la tête.

- J'attends une explication… déclare Charlie d'une voix beaucoup trop calme. Et tu mérites bien plus qu'un bout de pain sur le crâne pour avoir osé me raccrocher au nez.

Je me redresse et la fixe, toujours haletante. Elle a les joues rougies par le froid et la goutte au nez. J’évite de lui préciser ce dernier détail pour ne pas attiser d’avantage sa colère. Ses bras sont croisés sur sa poitrine et elle me regarde des ses yeux verts lançant des éclairs. Sa baguette pend mollement entre ses doigts.

- En fait, tu vas rire… je commence piteusement.

- Je n'attends que ça. Je t'avoue que pour le moment, je suis d’humeur assez massacrante.

Je l’attrape par le coude et la guide en direction du chalet.

- Je vais t'expliquer en route, je suis sûre que pour l’instant tu rêves juste de te réchauffer. Ne retardons pas d’avantage l'instant.

Elle me fusille du regard. Je la connais si bien que je sais qu'elle retient une remarque cinglante me disant qu'en ce moment elle aimerait juste m'étouffer en me faisant manger la neige. Cependant, elle ne réplique rien car : un) elle veut vraiment être au chaud et deux) elle est extrêmement curieuse et ne manque jamais les petits potins. Elle sait que je ne l'ai pas oubliée sans aucune raison. Finalement, Charlie soupire et nous repartons.

Nous commençons à marcher lentement ( Je ne suis toujours pas remise de mon sprint ). Charlie regarde ses pas s’enfoncer dans la neige dans un crissement familier et entame le pain. Pendant qu'elle mâchonne, j'en profite pour lui raconter :

- J'ai rencontré un gars bizarre, pour tout t'expliquer.

- Ne me sors pas l'excuse de la tentative de kidnapping, par pitié ! grogne-t-elle en levant les yeux et prenant un nouveau morceau de baguette.

Je ris tant en imaginant Bonnetman m’enlever de force.

- Mais non ! Un gars à l’humour bizarre, je précise. Mais poli et prévoyant. Et sûrement anglais. Et gentil.

Je fais des pauses entre chaque phrases, essayant de me remémorer certains détails. D'ailleurs, j'espère que nous n'allons pas le croiser en sens inverse. Après tout, je l'ai abandonné devant le chalet, il faut bien qu'il redescende.

- Heuuu… D'accord… tente Charlie visiblement perdue. Vous avez parlé pendant trente minutes et c’est devenu ton meilleur ami pour la vie ? Je sais que ton humour laisse à désirer mais ce n'est pas une raison pour approcher des inconnus qui aiment les blagues carambars, Alice.

- En fait, je l'ai rencontré hier soir. Il était avec un autre homme mais je me suis plus ou moins ridiculisée…

- Comment ça ? Au fait, où est ton matériel de ski ? Ne me dis pas que tu l'as oublié…

C’est donc ainsi que je lui raconte mes aventures avec Bonnetman. Charlie parait d’abord sceptique, puis très intéressée par ce que je lui raconte.

- Félicitation ! déclara-t-elle enfin, alors que nous apercevons notre chalet. Je sais que tu as l’habitude de te coller la honte dès que possible. Mais trois fois en deux jours et avec la même personne, je crois que tu viens d’obtenir ton nouveau record.

Je soupire, elle a raison.

- Heureusement, je ne le reverrai jamais…

- Heureusement ? La présence de monsieur ne semblait pas te déranger tant que ça, puisque tu m’as oublié.

- Concours de circonstances… je proteste.

Nous sommes désormais devant la porte d’entrée. Je remarque que mes skis et battons ont délicatement été posés contre le rebord du mur. Délicieuse attention. Si on m’avait laissé en plan tel que je l’avais fait, les skis en ma possession auraient sûrement « malencontreusement » glissé dans la descente. Rancunière ? A peine. Charlie m’aide à tout attraper et nous franchissons la porte d’entrée.

- Il était sexy au moins ? demande mon amie, pendant que nous posons le matériel au sol.

Je ne réfléchis pas longtemps à la question.

- C’est vrai qu’il n’était pas laid…

Charlie roule exagérément des yeux en retirant son écharpe.

- La litote de l’année.

- J’entends sexy ? Qui parle de moi ?

Thomas vient de dévaler les marches de l’escalier et nous sourit bêtement. Aucune de nous deux ne prend la peine de lui répondre. Au lieu de ça, je me dirige vers le placard et sors un paquet de gâteau. C’est l’heure du gouter, aussi, il est de mon devoir de manger. Bon, j’avoue que j’aurais mangé une petite sucrerie, même si ça n’avait pas été l’heure. Je m’installe à la table et commence à grignoter le biscuit. Mes deux amis se joignent à moi.

- Pourquoi vous avez mis autant de temps pour revenir ? s’interroge Thomas. J’en ai eu marre de fixer les murs. L’avantage, c’est que maintenant je connais le chalet dans tous les recoins.

- Il se trouve qu’Alice a subitement oublié mon existence… explique Charlie en me lançant un regard pleins de sous-entendus.

-  Où sont les autres ? je tente de dévier rapidement la conversation.

D’après Thomas, Elizabeth et Matthieu sont partis visiter les alentours. Il n’a pas souhaité les accompagner à cause de, je cite : « leurs gazouillements insupportablement mielleux ».  Thomas n’a pas l’habitude d’être en couple, aussi les élans d’affection l’insupportent. Il se situe d’avantage dans la catégorie des tombeurs. Séduit. Couche. Largue.

Il n’y a qu’une seule fille pour qui il insiste depuis maintenant deux ans. Et cette fille, c’est…moi. Bien sûr, il fait ça sur le ton de la rigolade, mais nous savons tous les deux qu’il est sérieux quand il me fait ce genre de propositions. Comme je ne cède pas, il continue à aller profiter de ses conquêtes. Il se rend bien compte que je ne suis pas intéressée. Nous sommes amis, et cette relation nous convient à tous les deux.

Malheureusement, il y a un an, j’ai fait une erreur. La semaine précédant ladite erreur, mon copain et moi avions rompu après cinq mois passés ensembles. Ma plus longue relation ayant duré six mois, je me rends bien compte que je ne reste jamais très longtemps avec les hommes. C’est simple à expliquer. A vingt-et-un an, je suis toujours dans l’optique du prince charmant. Or, quand je prends conscience que ce n’est pas le bon, je le fait vite ressentir. Après avoir passé une semaine plutôt déprimante à cause de ma rupture, j’avais occupé ma soirée du vendredi à faire la fête avec mes amis, afin de me remonter le moral. Très mauvaise idée. Thomas était là, encore plus insistant qu’à l’accoutumé car il savait que je n’étais plus en couple. L’alcool aidant, ce qui devait arriver, arriva. Nous avons couché ensembles. Une fois. Et mon dieu, je regrette.

Le lendemain a été infiniment plus gênant. J’étais sobre et mesurais amplement la stupidité de mon acte. Heureusement, il a compris à quel point j’étais mal et a promis de n’en parler à personne. Je lui en suis encore infiniment reconnaissante. Depuis, nous faisons comme si de rien n’était.

Nous entendons la porte claquer et nous retournons. Elizabeth et Matthieu sont rentrés.

-  Bonne nouvelle les gars, déclare-t-il. J’ai repéré le bar.

- A la bonne heure ! s’exclame Thomas en levant ses bras d’un air victorieux.

- Les filles, nous interpelle Elizabeth qui saute à cloche pied pour enlever sa botte, pitié dites moi que vous avez emmené une corde pour l’attacher. Si celui-là reste tout seul, je suis sûre à 90% qu’on va le retrouver tout nu dans la neige le lendemain matin.

Nous rions alors que les garçons commencent déjà à prévoir quand nous pourrons nous y rendre. Finalement, la conversation dérive sur notre premier jour de ski. Demain, 24 décembre, date de mon décès. Soit un jour avant Noël, les boules. Elizabeth nous parle des pistes qu’elle aimerait essayer et Charlie nous montre sur le plan, celles qu’il ne faut pas manquer. Je commence à stresser, je ne sais même pas quelle est la bonne position à adopter.

Je décide de me lever pour rajouter du bois dans le feu. Je m’arrête un instant devant le sapin qui scintille. Il est vraiment grand et atteint sûrement les trois mètres. Les épines vert foncé sont recouvertes de guirlandes et de boules aux tailles et couleurs différentes. Je décroche mon regard et lance une bûche dans le feu. Quelques étincelles s’échappent et l’une d’entre elles vient se déposer sur ma main. J’en profite pour sortir une analyse extrêmement profonde à laquelle je réfléchis depuis plusieurs années.

- Ah ! Mais c’est chaud !

Evidemment, Thomas aussi en profite. 

- Pas autant que moi, bébé !

J’entends un coup. Je suppose que quelqu’un a su comment réagir. Pendant ce temps, je retourne vers mon matériel de ski et Charlie me montre une porte qui mène vers le garage qui se trouve à l’étage inférieur. Apparemment, les autres affaires y sont déjà entreposées. Il fait humide dans la pièce, lorsque je m’y rends. On y trouve l’odeur caractéristique du renfermé. Je finis par trouver la lumière à tâtons  et  découvre une grande pièce. Au fond, un banc et des planches de glisse attendent patiemment d’être utilisés. Je trouve même des luges. Voilà qui pourrait être intéressant.

Je finis par penser que c’est le bon endroit pour qu’on me montre les gestes à suivre pour le ski, sans être vue par tout le monde. Je sors mon portable de ma poche.

A Charlie :

Descends. C’est important et ne laisse pas les autres venir.

Mon portable vibre quelques secondes plus tard.

De Charlie :

L’agent Charlie est en route. Comptez sur sa discrétion, elle sera muette comme un sarcophage.

Je ricane. Charlie a toujours eu un problème avec les expressions françaises. La porte grince et Charlie se faufile à l’intérieur.

- J’ai dit aux autres que j’avais oublié mon couple ongles dans la poche de mon blouson. Personne ne se doute de rien.

- Mais Charlie, ton blouson est en haut, sur le porte-manteau.

Elle s’arrête au milieu de l’escalier et écarquille les yeux.

- Mince, ma stratégie tombe à l’eau... Qu’est-ce qu’il se passe ?

Je lui explique mes intentions pendant qu’elle s’assoit sur le banc.

- Facile. Tu te penches en avant, tu mets les pieds en canard et tu te baisses, comme si tu t’apprêtais à faire pipi. C’est le niveau débutant.

Je fais la moue, essayant de visualiser sa description. Elle se lève et me montre. Je me place à côté d’elle et l’imite. Nous devons avoir l’air ridicule. Soudain, la porte s’ouvre à nouveau, et la tête de Matthieu apparait. Il fronce les sourcils.

- Mais qu’est-ce que vous faites, toutes les deux ?

Il détaille notre position et sourit.

- Ok, je ne veux rien savoir et je ne dirai rien.

Il referme la porte et nous l’entendons crier.

- Thomas ! Viens voir ! Charlie et Alice font des choses qui pourraient t’intéresser !

Des pas retentissent et nous nous redressons comme si de rien n’était. La porte s’ouvre à la volée sur un Thomas tout excité. Quand il voit qu’il n’y a rien de captivant, il fait la moue et grogne en claquant la porte. Je ris et Charlie me montre à nouveau.

- Mec ! Arrête de me donner de faux espoirs, c’est mauvais pour le moral… assure-t-il alors que nous revenons dans le salon.

Nous nous plaçons autour de la table basse et bavardons joyeusement tous les cinq. Elizabeth nous parle de ses études et on comprend à quel point elles lui plaisent. Elle travaille dans la biologie. Le domaine des plantes médicinales l’intéresse particulièrement. Matthieu, quant à lui, poursuit son objectif pour devenir architecte. Au bout d’une heure, Thomas tape sur la table et devient soudain très sérieux.

-  Après avoir consciencieusement examiné le chalet cet après-midi, pendant que mes amis m’avaient lâchement délaissé, j’ai eu le temps de découvrir… il marque un temps d’arrêt pour maintenir le suspens. Une trappe qui menait sur le toit !

Il dit ça avec énormément d’entrain, tandis que nous le regardons stoïquement.

- Wahou… lâche Elizabeth qui ne prend même pas la peine de sourire. Tu veux une médaille ?

- Gnagnagna madame je suis trop intelligente pour m’amuser ! réplique Thomas qui attend plus de réactions de notre part. Vous savez ce que ça veut dire ?

Nouveau blanc.

- Mais enfin ! On peut sauter du toit en luge, les gars !

- C’est mort !

- Laisse tomber !

- T’es malade ou quoi ?

- Hors de question !

Ces quatre exclamations sortent du plus profond de notre être, dans un même élan. Thomas grogne et se renfonce dans sa chaise. Il tourne la tête vers Matthieu.

- Tu me déçois. Toujours là pour faire des conneries avec moi, par contre, pour sauter dans un tas de neige, il n’y a plus personne. Sale traitre.

- Aïe, tu blesses mon égo d’homme viril, marmonne Matthieu en posant tragiquement une main sur son cœur.

Comme Thomas ne décontracte pas la mâchoire et continue à fusiller son meilleur ami du regard, celui-ci finit par soupirer.

- Bon, on n’a qu’à tirer au sort. Celui qui perd glissera du toit en luge avec l’autre gros lourd.

Elizabeth et moi protestons, tandis que Charlie hausse les épaules.

- Ca peut être marrant, avoue-t-elle.

Je secoue vigoureusement la tête. Avec mon vertige, je n’ose même pas m’imaginer là-haut. Je suis déjà forcée de skier. Pas besoin de donner au destin d’avantage l’occasion de me retrouver six pieds sous terres. Ils sont trois, nous sommes deux. La majorité l’emporte. Elizabeth se lève et découpe quatre morceaux de papier. Sur l’un d’entre eux, un point noir est gribouillé. Celui qui le tire doit est l’heureux élu. Enfin, « heureux », façon de parler.

Je continue de protester, mais bien entendu, personne n’en tient compte. Deux minutes plus tard, je serre un papier entre mes mains. Nous nous regardons tous avec nervosité. Matthieu fait le compte à rebours et les résultats tombent. Qui a été choisi ? Je regarde ma feuille où s’étale un gros point noir. Evidemment. Les ennuis commencent.

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