CHAPITRE 6
Julien attend, assis sur un banc face à la mer, dos droit, frissonnant. Son appareil photo posé sur ses genoux, il scrute. Une main se pose sur son épaule.
— Bouh !
Le jeune homme se retourne. Il prend un air consterné. Aurore hausse les épaules.
— Quoi ? On a plus le droit de soigner ses entrées ?
Elle sourit.
— Bon, on fait quoi aujourd'hui ?
— Rien. Juste rester sur la plage. Non ? propose-t-il d'une voix monocorde.
— Mais on fait ça depuis des années ! se lamente Aurore.
Julien baisse les yeux sur ses mains qu'il frotte l'une contre l'autre dans un mouvement machinal.
— Depuis deux jours Aurore, seulement deux jours.
— C'est déjà mille fois trop, hein !
Aurore sautille d'un pied sur l'autre d'impatience. Ses lèvres s'étirent en permanence en un sourire vif, lumineux. Ses yeux noirs brillent d'un éclat qui semble chaque seconde différent, comme si ses pensées colorées et vivaces emplissaient ses prunelles en même temps que les rayons du soleil. Sa peau sombre paraît les attirer et leur donner vie. Elle irradie toute entière d'une bonne humeur éblouissante. Rafraichissante.
— Qu'est-ce que tu veux faire, alors?
Elle réfléchit.
— Je sais pas, se balader en ville c'est toujours sympa, hein ?
Julien acquiesce et se lève. Il ajuste la lanière de son étui d'appareil photo sur son épaule.
— On y va, Aurore ?
Elle aime bien la manière dont il prononce son prénom, en le roulant sur sa langue avec délicatesse et précision. Il est méticuleux dans la diction de chaque mot, précautionneux sur la diction de la moindre syllabe. Elle prend les devants.
Aurore s'enfonce dans une ruelle au hasard, et Julien la suit. Ils passent devant les petites boutiques du centre-ville. Le calme de ces rues au petit matin est à peine troublé par quelques passants. Les murs grisâtres s'enchainent. Julien détaille les vitrines des librairies et magasins de vêtements. Les clients en pleine hésitation, en train de rire ou de réfléchir.
Il écoute d'une oreille distraite Aurore qui poursuit le fil de sa conversation seule. Elle déroule le récit des récents évènements de sa vie avec calme. Le flot de ses paroles chaotiques respire une aisance spectaculaire.Julien ponctue les phrases de la jeune femme de hochements de tête.
Finalement, il semblerait qu'il ait bien fait de quitter sa prépa parisienne pour venir se ressourcer ici. Même le ciel grisonnant malgré l'été paraît plus lumineux ici. Aurore s'arrête.
— J'ai faim.
Julien l'imite.
— Mais il est à peine neuf heures...
— Je n'avais plus de bacon, dit-elle comme si cela expliquait tout.
Julien acquiesce.
— Oui, bien sûr.
— Donc, j'ai besoin d'une gaufre.
— Si tu veux, la librairie de seconde main où aide Arnaud depuis quelques semaines a un étage café.
Comme chaque fois que Julien prononce une phrase aussi longue, Aurore sourit. La langue du jeune homme au portefeuille commence déjà à se délier.
— Parfait !
Julien pousse la porte dans un tintement cristallin, Aurore à sa suite. Ils restent un moment sur le perron avant de s'avancer encore. Arnaud est en pleine discussion avec un homme un peu plus âgé que lui, occupé à trier une pile de livre. Les ouvrages se chevauchent partout, le moindre espace est mis à profit et les étagères couvrent les murs du sol au plafond. Un désordre chaleureux règne dans la pièce. Un lustre électrique clignote dangereusement près d'un escalier en colimaçon.
Arnaud aperçoit les nouveaux venus et leur fait un rapide signe de la main. Aurore s'avance un peu plus. Le parquet craque. Elle passe ses mains sur une des étagères. Une fine pellicule de poussière se colle sur ses doigts. Elle la contemple et ses yeux pétillent.
— Vraiment de la seconde main alors, commente-t-elle en se tournant vers Julien.
Il acquiesce avec timidité, comme chaque fois. Aurore monte les marches. Julien hésite un peu avant de la suivre. Arnaud lui fait un clin d'œil depuis l'arrière de la boutique, mais l'intéressé l'ignore.
À l'étage, quelques petites tables sont disposées çà et là. Une minuscule lucarne en vitraux laisse entrer la lumière délicate de ce début de journée au travers d'un filtre coloré. Ainsi, des plantes rouges sont éparpillées au sol. Une musique flotte, un vieux jazz qui grésille au rythme entraînant. Le mobilier est disparate, mélange de tables de jardin en fer forgé et de chaises du dix-huitième lourdement ornementées. Des sculptures d'animaux fantastiques et des cadres contenant des petits papillons trônent sur les murs, accrochées entre les réclames des années 1800.
Ces éléments hétéroclites sont liés par une sensation d'unité qui brise les barrières des époques.
— C'est génial ici, hein ! s'exclame Aurore.
Assise à une table, une adolescente feuillette un livre en sirotant son chocolat chaud. Elle lève la tête à l'entente de la voix. Un sourire ravi se dessine sur son visage.
— Bonjour, vous voulez quelque chose ?
— Bonjour, répond poliment Julien.
— Oui, ce serait parfait, appuie son accompagnatrice.
La lectrice referme son ouvrage et descend quatre à quatre les escaliers.
—J'adore cet endroit, s'émerveille encore Aurore.
Elle tire une chaise.
— Tu trouves pas ça formidable ?
Aucune réaction.
— Julien, tu sais plus parler ?
— Si.
— Bon.
La tête de l'adolescente surgit par-dessus le palier.
— Je peux vous proposer des gaufres, muffins, crêpes ou tartes aux fruits et des thés, cafés ou sodas. Alors ?
Aurore échange un regard avec Julien. Il secoue la tête.
— Une gaufre, un thé et une crêpe au chocolat s'il-te-plaît.
Elle se tourne vers l'homme au portefeuille, la mine soucieuse.
— Tu vas bien ?
—Oui.
—Sûr ?
— Oui.
— Sûr, sûr, sûr ?
— Oui, oui, oui, lâche-t-il en soupirant.
Il voulait dire non. Aurore en est sûre. Mais elle se tait. Ou plutôt,elle essaie de noyer la morosité de ce presque inconnu sous des paroles incessantes. Elle continue de discuter en scrutant ses lèvres.
Juste pour vérifier s'il sourit.
Il ne le fait pas, mais ses pupilles brillent un peu plus, il soupire un peu moins.
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