CHAPITRE 5

Aurore se penche un peu plus le long de la barrière. Elle laisse le vent s'infiltrer dans ses cheveux frisés, chercher sans fin la sortie de ce labyrinthe de boucles resserrées. Elle se croirait dans une de ces comédies romantiques niaises qui embaument la guimauve, quand l'héroïne pense avec émotions à tous les rêves qui l'habitent et qu'elle craint de ne jamais réaliser. Mais Aurore n'aime pas la guimauve. C'est écœurant, flasque. D'ailleurs, elle n'aime pas les rêves. C'est beau, impressionnant, joyeux, curieux, créatif...

Elle aime les rêves, mais elle n'en a pas. Alors elle ouvre les yeux et se penche un peu moins, coudes posés sur la peinture blanche craquelée. Elle sonde la foule. Elle se sent un peu désœuvrée,très inutile. Juste là, à errer vaguement, à enchainer les blagues vaseuses avec ses amis dans cet endroit perdu près de la mer.

Aurore reprend sa contemplation, et son regard dévie vers l'homme au portefeuille. Depuis quelques jours, il accompagne l'aube à la plage, un objectif à la main. Il escorte les pensées monotones d'Aurore sans le savoir, à quelques mètres à peine. Elle est sûre qu'il l'a vue, mais il continue de prendre en photo son cousin qui prend la pose, l'air ravi d'être le centre d'un monde.

Aurore ne sait pas si la pose est ravie d'être prise par une personne dont les talents de mannequins sont aussi faibles, mais c'est le cas. Elle soupire. Comment s'occuper ? Elle s'ennuie un peu, coincée ici. Dinard est beau, Dinard est chaud, mais Dinard est petit. Dinard est répétitif, Dinard est routine, et rien ne sait empêcher ça, pas même un jeu de mot raté ou un rire de dératé.

Elle rassemble son courage pour se décoller de cette barrière à laquelle l'a fixée l'air marin. Elle se retourne.
—Bonjour !
Elle attend la suite. Elle ne reconnaît pas cette voix.
— Je suis le cousin.
Certes.
— De Julien.
L'homme au portefeuille. Aurore acquiesce, et la voix apparaît.
— Ravie, marmonne-t-elle.

Elle ne l'est pas particulièrement, mais elle sourit. Il passe sa main dans ses cheveux. Elle attend.
— Julien n'est pas là ? interroge-t-elle.
— Le beau prince charmant arrive, il est parti chercher son cheval blanc.

Aurore roule des yeux.
— Et que me vaut le plaisir ? reprend- elle en ignorant la remarque.
— J'ai un seul cousin.
Elle n'a pas particulièrement envie d'entendre un résumé de l'arbre généalogique de son interlocuteur, mais décide de lui laisser sa chance.
— Je suis peut-être censée répondre un truc intéressant, hein ?

Arnaud fait comme s'il n'avait rien entendu.
— Fragile, qui plus est. Et peu sociable, comme tu l'auras remarqué. — Certes.
Aurore aime ce mot.
— Et il a tendance à se lamenter sur son sort quand il est seul. Et je vais avoir quelques obligations la semaine prochaine. Donc comme tu as l'air de venir ici tous les matins, j'aimerais bien que tu surveilles s'il est bien là chaque jour. La jeune femme hausse un sourcil.

— Tu peux toujours lui payer une baby-sitter, hein. Arnaud se gratte la nuque.
— Pas le budget.

Aurore acquiesce, pensive.

— Bon, d'accord, je veux bien.
L'homme en face d'elle la scrute avec un air sceptique sur le visage.
— Tu dois vraiment t'ennuyer pour accepter un truc pareil.
— Je suis démasquée, réplique-t-elle en bâillant.
Elle regarde sa montre.
— Bon, il arrive, j'y vais ! dit le cousin en se détournant.

L'homme au portefeuille surgit au coin d'une rue, un guidon de vélo au creux de chaque paume. Il jette de petits regards angoissés autour de lui. Aurore soupire.

*

Julien sent un regard brûler sa nuque, sans qu'il puisse l'expliquer. Il se retourne, fouille des yeux la côte. Puis lève la tête. Sûrement le soleil de l'aurore qui chauffe sa peau. Il choisit de ne plus y prêter attention. Il retourne à sa tâche, mais la sensation reprend.

Agacé, il jette à nouveau un œil derrière lui. Et cette fois, il la voit. Aurore s'avance vers lui, le visage impassible. Leurs regards se croisent, et elle s'illumine.
Un tout petit peu.

— Salut ! lance-t-elle.
— Bonjour, répond-il.
Il baisse un peu les yeux.
— Tu me reconnais, hein ?
— Evidemment.

Elle marque une pause avec une moue grave.

— Ton cousin m'a engagée pour te surveiller. Et tu n'étais pas là hier. Julien retient à peine un soupir exaspéré.
— Je n'avais pas envie de venir, se justifie-t-il.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas.

Elle acquiesce.

— Bon, ce n'est pas très grave, je te pardonne.

Il ne répond pas. Il se sent réprimandé, petit, médiocre. Il réalise. Arnaud a jugé qu'il ne savait pas se gérer seul, il s'est senti obligé de demander à une inconnue de veiller sur lui. Un homme incapable de prendre soin de lui sans aide ?

Ridicule.

Il veut fuir. Aurore s'assied dans le sable, en face de lui. Elle replie ses jambes contre elle comme une petite muraille et lève les yeux pour le regarder.
Il s'assied à côté. Elle regarde l'horizon et il scrute le sable, les millions de minuscules grains qui forment ce sol sur lequel il se tient. Cet ensemble qui lui permet de tenir debout, une assemblée venue d'un peu partout, apportée par les marées depuis les quatre coins du monde. Il pense à tout ça, à tout ce qui n'est pas Aurore.

Il en a assez des levers de soleil, on ne pourrait pas le laisser dans sa nuit ?
— Au fait, il a l'air collant ton cousin. 

— Un peu. Il est sympa quand on le connaît, même si c'est assez long.

— C'est la phrase la plus développée que je t'ai entendu prononcer, je crois.
— Je ne crois pas.
— Oh.

Aurore attend.

— Désolée, hein.
— De quoi tu t'excuses ?
— Je t'embête.
Julien manque d'acquiescer.
— Oh, ça va. Ça ne sert à rien de s'excuser.
— Je pense que si.
— Pense ce que tu veux.

Ils attendent que le ciel se lave de ses couleurs. Les nuances subtiles d'ocre et de rouge qui donnent si bien, imprimées sur papier glacé, finissent par s'évaporer. Elles laissent place à un morne gris. Ils ne bougent pas.
Ils attendent.

Puis une brise se met à souffler, qui les réveille en sursaut.

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