CHAPITRE 4
Julien capture les étagères, une à une. Depuis une semaine, il sort peu. Il s'applique à recenser au travers de l'objectif de son appareil photo le moindre détail de la petite maison. Depuis l'immense fresque sur le plafond jusqu'aux poussières qui flottent dans la lumière soir, rien n'a été épargné par le jeune homme.
— Je veux pas te perturber, mais ça fait soixante-quatre fois que tu prends le même livre en photo, observe Arnaud.
Julien hausse les épaules. Il commence un peu à s'habituer à la présence permanente de son cousin. Celui-ci roule des yeux.
— Qu'est-ce que je peux faire pour te sortir d'ici ? Tu me déprimes.
— Je ne sais pas.
— D'accord le dépressif. Tu t'ennuies pas un peu, à photographier la même chose en boucle ?
— Un peu, mais ça va.
— T'es pas bavard ce soir, pas vrai ?
Julien retient un grognement d'agacement. Arnaud semble réfléchir intensément pendant plusieurs minutes. Il tourne en rond, écrasant au passage une ou deux feuilles qui trainaient là.
— Bon, ça te dit pas d'aller faire des photos dehors plutôt que de t'enterrer ici ?
— D'accord, mais pas sur la jetée, consent Julien.
— Je t'accompagne.
Arnaud prend sa veste sur le porte-manteau en forme de chouette. Il pose sa main sur la pognée, déjà prêt à partir. Chacun de ses gestes respire un dynamisme sans limite. Julien est sûr qu'il pourrait déclencher un ouragan en parlant, tant ses mains s'activent dans tous les sens.
— Bon, on y va où tu comptes végéter sur ce canapé jusqu'à-ce que mort s'ensuive ?
Julien grogne et se lève d'un coup sec. L'étagère derrière les coussins s'affaisse. Une pile de livre tombe. Cri de surprise. Le jeune homme frotte son épaule meurtrie, une grimace déformant son visage. Arnaud se précipite vers lui.
— Ça va ?
Julien soupire.
— Oui, oui.
— Tu es vraiment blasé de tout.
Il jette un regard méfiant au meuble branlant responsable de l'accident.
— On y va ? demande Julien.
— Attends une seconde, je vais regarder un peu ton épaule pour éviter que tu aies un bleu.
Résigné, Julien obtempère et s'assied, baissant un peu le col de son t-shirt trop large pour permettre à son nouveau colocataire de l'examiner. Ce dernier fait passer ses doigts sur la blessure. Malgré la délicatesse du geste,Julien frémit sous la brûlure. Arnaud se penche un peu plus. Ses yeux sont fixés sur les petites égratignures et traces rouges. Il passe sa main au-dessus des éraflures.
Le temps se suspend, une énergie étrange circule. Un froid surréel prend Julien, qui se dégage vivement. La douleur a cessé. Cette sensation qui vient de l'ébranler lui est familière. Elle remonte à une époque dont le souvenir est chaque fois plus lancinant.
— C'est Mamie-Jo qui m'avait appris à faire ça, dit Arnaud.
Sa voix se brise. Julien acquiesce. C'était avant que tout ne change. Avant l'adolescence. Avant qu'elle ne les laisse ici, seuls, deux utopistes dans ce monde qui ne rêve pas assez. Sans même les prévenir que sa disparition les détruirait. Sans même les prévenir qu'elle était ce qui comptait, un soutien, un point d'ancrage. Sans même prévenir qu'aussi loin qu'elle puisse être dans l'arbre généalogique, elle était leurs familles toutes entières, et que tout éclaterait en millions de petits morceaux quand elle partirait. Sans même les prévenir que les méchants n'étaient pas toujours les autres.
Sans même les prévenir que la mort prend, et qu'elle ne rend jamais.
Arnaud se redresse avec lenteur, toute énergie l'ayant soudainement déserté. Julien le suit. Ils traversent la pièce et claquent la porte. Ils laissent là le porte-manteau chouette et les souvenirs, oublient même d'emporter un peu d'espoir pour leur promenade nocturne. Julien, l'appareil photo à la main, Arnaud, emmitouflé dans sa veste, et ils partent dans les ténèbres.
Julien se recroqueville un peu plus sur lui-même. Ses jambes contre son torse, il pense. Arnaud se promène au loin, pieds nus dans le sable frais de cette soirée de juillet.
Il doute. Mais aujourd'hui, nul envie d'immortaliser ces reflets argentés. La lune elle-même n'est pas assez lumineuse dans cette nuit pour éloigner les regrets. Les mots qu'il a trop dit, ceux qu'il aurait dû crier, ceux qu'il n'a pas su entendre, ceux qu'il aurait dû ignorer. Julien voudrait que les mots ne soient pas si tranchant, si durs.
Il aimerait tant que les souvenirs partent, qu'ils s'évaporent. Il voudrait perdre la mémoire. Julien n'aime pas se rappeler, ressasser, repenser. Ou plutôt, il aimerait que ça suffise. Il adorerait si être désolé pouvait effacer ses erreurs. Si cela pouvait l'aider à se regarder dans un miroir, il graverait des « pardons » sur tous les murs de Paris.
Egoïste, ridicule.
Même si les années passent et que les plaies se referment, reste toujours la cicatrice brûlante. Si seulement Arnaud pouvait souffler dessus et tout guérir, comme Mamie-Jo avant.
Julien ferme les yeux.
— Tu veux rentrer ?
Le jeune homme sursaute, déstabilisé. Il hoche la tête. Ses jambes suivent son cousin sans qu'il n'y fasse attention, l'esprit embrumé par trop de nuits d'insomnie. Dans un état de somnolence, il traverse la ville. Au hasard d'une rue de bars et de restaurants, un visage connu dans la foule l'interpelle.
Son regard croise celui d'Aurore. Il se détourne, baisse les yeux vers le sol. La jeune femme l'observe pendant de longues secondes, la curiosité se lisant au fond de ses prunelles. Elle quitte le comptoir où elle était accoudée et se dirige vers lui.
— Tiens, l'homme au portefeuille ! s'exclame-t-elle.
— Bonsoir, la salue Arnaud.
Aurore plisse les yeux.
— Je t'ai déjà croisé une fois toi, non ?
— Aïe, mon amour propre, soupire Arnaud.
Elle hausse les épaules.
— Alors Julien, tu dis pas bonjour à la personne la plus fabuleuse detoute la ville ? enchaine-t-elle.
L'intéressé ne prononce pas un mot, toujours concentré sur le trottoir sale, où s'empilent les mégots. Il ne sait que dire, que faire, comment secomporter. Il finit par répondre :
— Bonjour.
Aurore paraît satisfaite, puisqu'elle se détourne à moitié.
— Bon, je dois y retourner, à bientôt !
Elle part retrouver ses amis et Julien la suit des yeux. Les lumières orangéeslui apparaissent comme le coucher de soleil dont il avait besoin pour trouver le sommeil. Ses craintes s'apaisent peu à peu, tandis qu'il sombre dans une torpeur réparatrice, bercé par les paroles de son cousin.
Julien soupire.
— C'est vraiment un monde à dormir debout ici, murmure-t-il.
Bonjour à tous chers lecteurs,
Me voilà de retour sur cette histoire, et avec moi la régularité au niveau de mes posts, puisque j'en ai terminé avec mes autres projets.
Je compte poster au moins une fois toutes les semaines ou deux semaines au moins, on verra si ça se réalise ou non :)
N'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé du chapitre d'aujourd'hui et à bientôt,
Lusi.
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