CHAPITRE 2

La porte claque. Julien entre sur la pointe des pieds. Le parquet baigné par la nuit craque sous ses pas. La maison est calme, et le calme est froid. L'atmosphère s'emplit d'une hostilité particulière lorsque les multiples bougies sont éteintes et que la télé cesse de débiter débilités et publicités.

Cette maison est horrible quand elle est vide. Le vent s'infiltre par les bordures de la fenêtre et ricane de son souffle mesquin le long des étagères branlantes. Les ombres des livres par centaines s'agglutinent sur les murs pour former des monstres de ténèbres. Ce silence oppresse.

Julien s'approche du canapé et s'affale de tout son long sur les coussins. Il soupire. Le jeune homme doit lutter pour garder les yeux ouverts. Il sent déjà le poids de cette nouvelle nuit blanche dans les poches sous ses yeux.

Il est si heures, et l'astre solaire commence son ascension.

Soudain, le plafonnier grésille.

Le jeune homme saute sur ses pieds et se retourne.

— C'est à cette heure-là que tu rentres ? commente son cousin en baillant bruyamment.

Son peignoir trop long traine sur le sol. La fourrure synthétique est agrémentée de taches multicolores. Rouge, jaune, vert, violet, et un peu de café. La peinture part mal au lavage.

— Oui, je suis désolé Arnaud, s'incline Julien.

— Il va vraiment falloir que tu perdes cette habitude de t'excuser tout le temps si tu veux pas que je te foute à la porte, toi, se moque Arnaud.

— Oui, pardon.

L'endormi lève les yeux au ciel. Il avance vers la cuisine d'un pas lourd. Il ouvre le frigo et fixe l'intérieur avec circonspection. Son regard se vide de plus en plus à chaque seconde. Julien examine son cousin sans oser bouger tandis que celui-ci frotte sa touffe désordonnée d'un air embêté.

— Tu as besoin de quelque chose ? ose l'insomniaque.

L'intéressé se retourne avec lenteur.

— À moins que tu n'aies eu l'excellente idée de mettre ton temps cette nuit à profit pour acheter de la nourriture, je crois bien qu'on va devoir se passer de petit déjeuner ce matin.

— Excuse-moi, je n'y ai pas pensé.

Arnaud le dévisage pendant quelques secondes.

—Waouh. Je pense que je vais te faire payer une taxe de deux euros à chaque fois que tu prononces un synonyme du mot excuse, au bout de trois jours on se paye un restau' étoilé, sourit Arnaud.

Julien baisse légèrement la tête, ne sachant que répondre.

— Allez, je vais prendre des croissants à la boulangerie d'à côté, ne fais pas de bêtise !

Arnaud se dirige vers la porte, ragaillardi par l'idée d'un petit déjeuner.

— Pardon mais... Tu devrais peut-être te changer avant, non ? suggère son cousin.

Le propriétaire des lieux baisse les yeux vers sa tenue. Il saisit un pantalon et un t-shirt au hasard sur la montagne de vêtements près de la porte et entreprend d'enlever son peignoir. Julien se détourne poliment. Il ne comprend pas bien comment son cousin accepte de se changer devant lui, mais il ne tient pas particulièrement à assister à ce spectacle.

La porte se referme derrière lui.

Désœuvré, Julien tourne en rond dans le salon. Maintenant que la lumière est allumée, le désordre qui règne dans la pièce est plus chaleureux. Les objets en tous genres s'accumulent. Deux monts de textiles se partagent l'espace avec une mer de papiers et une grande table croulant sous les accessoires de peinture et autres livres ésotériques et érotiques.

Les tubes de gouache fuient sur les grands titres des journaux et feuilles d'impôts. L'immense écran de l'ordinateur est posé dans le coin, accompagné de sa panoplie de fils en tous genres qui tournicotent dans un immense nœud sur le sol. Le clavier et la souris sont noyés sous une pile de recettes de cuisine.

Si Julien devait choisir un nom pour qualifier Arnaud, ce serait sans doute touche-à-tout. Comme lui, il a hérité d'un héritage conséquent lui permettant de ne travailler qu'à mi-temps et de se consacrer à toutes les nouvelles choses qui ne manquent jamais de l'intéresser. Si l'on ajoute à cela ses toiles qui se vendent comme des petits pains et ses autres activités, il pourrait ne jamais se soucier de son argent, si seulement toutes ses passions ne lui coutaient pas autant.

Si Julien pense que son manque d'organisation y est aussi pour beaucoup, il n'en dit rien, bien entendu. Il peine à prendre ses marques dans cet environnement désordonné, bien loin de son paisible appartement parisien.

Julien ouvre un de ses cartons, qui trône près du canapé, et entreprend de fouiller à l'intérieur. Avec précaution, il sort un étui en cuir. La marque de l'appareil photo scintille sur le fond noir. Le jeune homme sort le boitier et le contemple avec affection. Ses doigts caressent la surface rugueuse. Il le prend dans ses mains et fait défiler les photos.

Des cartons, du scotch, sous tous les angles possibles.

La nostalgie s'infiltre en lui, à mesure que les clichés de son ancien chez-lui passent devant ses yeux. Il regrette déjà sa vie parisienne. Cette décision prise sur un coup de tête de quitter la capitale n'était peut-être pas une si bonne idée que ça. Il sort sur la petite terrasse envahie par la végétation. Les nuages se chevauchent et forment un voile opaque au-dessus de la petite ville. Le ciel est différent dans cet endroit.

L'horizon bouché et terne de Paris est bien loin, les dernières étoiles s'évanouissent sur un lever de soleil aux couleurs chatoyantes. Une palette délicate d'abricot et de rose chasse la nuit claire.

Julien saisit son appareil photo. Le diaphragme s'ouvre puis se referme en un claquement bref. Julien fait des réglages, et recommence. Il ne se lasse jamais de ce mécanisme, différent à chaque fois. Il change l'angle, et sublime l'image qu'il voit pour qu'elle ne s'échappe pas de sa mémoire.

C'est ce moment que choisit son Arnaud pour surgir derrière lui.

— Ah, j'avais oublié que ton truc c'était la photo ! Tu me montreras ce que tu fais ?

Il lui tend un croissant et commence à manger le sien, adossé au mur. Julien acquiesce.

— Oui bien sûr, si tu veux.

— Parfait ! Aujourd'hui je suis un peu occupé, on fera ça ce soir. Surtout si t'as besoin de quelque chose hésite pas, poursuit Arnaud.

Son cousin marque une pause. Il hésite. Il ne voudrait pas déranger, après tout.

— Je me demandais, tu connais une Aurore Le Bars ? demande Julien.

Arnaud réfléchit. Il semble faire l'inventaire de toutes les personnes qu'il connait, feuilletant un annuaire invisible. Il finit par hocher la tête.

— Oui, elle travaille au café sur le port. Elle est plutôt jolie, pas vrai ? dit Arnaud d'un air malicieux.

— Hein ? C'est juste pour lui rendre son portefeuille, proteste Julien en rougissant.

— Oui oui...

Arnaud hausse les ép aules.

— J'espère que tu vas vite te faire à ta nouvelle vie de campagnard, ça va te changer.

Julien l'espère aussi. Plus que tout.

Peut-être que ce changement suffira à le perdre, pour mieux se retrouver. Peut-être que changer d'air fera s'évaporer ses angoisses et ses doutes.

Peut-être qu'un peu de rêverie et d'imprévu lui fera du bien. 

J'espère que ce chapitre vous plaira, n'hésitez pas à laisser vos impressions en commentaire, cela m'aidera à m'améliorer pour la suite. 

Merci de votre lecture et à très vite pour la suite !

Lusi

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