CHAPITRE 1
Julien ferme les yeux. Il repousse le moment où il devra les ouvrir à nouveau. Puis il le fait. Que penseraient les gens, sinon ? Un jeune homme, perdu dans les ténèbres de ses paupières closes et de ses pensées.
Ridicule.
Ses cils papillonnent pour s'habituer à la lumière soudaine qui déchire la salle. Les fauteuils rouges se désertifient, peu à peu. Sur l'écran géant défilent les noms d'inconnus qui ont contribué au moment d'évasion qu'il vient de vivre. C'était un de ces films qui lui donnaient l'impression que la vie n'était qu'une blague, et que la vérité se trouvait au cinéma.
Lorsque les conversations reprennent autour de lui, criant déjà leur joie ou leur déception, Julien jette des regards furtifs autour de lui. Rassuré, il laisse ses pensées vagabonder. Il ne reste plus qu'une ou deux personnes dans sa rangée, qui ne passeront sûrement pas par son côté. Il est tranquille pour quelques instants, juste assez pour graver les images qu'il a vues au fond de son esprit, avant de repartir dans le vaste Monde.
— Excusez-moi ?
Sursaut. Julien tourne la tête. Une femme, l'air pressé, un peu agacé. Le jeune homme se redresse, se colle contre son siège pour la laisser passer. Elle lui adresse un sourire, et un geste de la main.
Et elle part.
Julien s'adosse à son siège. Il souffle. Détaille les coutures du fauteuil devant lui, la moquette qui couvre le sol. Il contemple les fines plaquettes qui couvrent les dossiers, avec les inscriptions notées dessus. Il observe la sienne, encore.
A6
Julien sort son téléphone et prend les symboles en photo, puis il le range dans sa poche. Il se détourne et fait quelques pas, profitant de ce calme étrange. Cette atmosphère l'exalte, il aurait presque envie de dire un mot, juste pour avoir le plaisir de voir s'il résonne. Mais quelqu'un pourrait entrer. Un jeune homme qui parle tout seul ?
Ridicule.
Alors il ne le fait pas. Il inspire, apprécie l'odeur de pop-corn qui flotte, mélangée à celle des caramels. Il embrasse une dernière fois la salle du regard et un détail le saisit. Là-bas, sur le siège A13, un éclat argenté. Julien s'approche, intrigué. Ce n'est qu'un petit portefeuille dont la couleur s'efface, abandonné sur le tissu rouge. Il hésite. Ses doigts glissent sur le siège pour le saisir.
Il l'ouvre avec précaution, prenant garde de ne rien froisser, de ne rien déranger. Une place de cinéma, un bout de papier, et une carte d'identité. Julien l'examine sous toutes ses coutures. Elle semble appartenir à Aurore Le Bars, née à Saint-Briac-sur-mer, vingt ans, et la photo ressemble à s'y méprendre à la femme qui lui a parlé il y a à peine deux minutes de cela.
Que devait-il faire ? Rendre le portefeuille à l'accueil du cinéma en espérant qu'elle vienne le chercher ? Ou chercher à la rattraper, puisqu'elle n'était pas partie depuis longtemps ?
Il jette un œil à sa montre.
Il a une chance de la retrouver. Il cherche la sortie du regard, et descend les marches. Le bruit de ses petits pas rapides est étouffé par la moquette. Julien pousse la porte. Les bourrasques de vent brûlant à peine rafraichi par l'air marin ébouriffent ses cheveux roux. Il en regrette la climatisation nauséabonde du cinéma. Aux aguets, il tourne sa tête en tous sens pour repérer la femme.
Sur ce paysage de front de mer qui s'étale à perte de vue, la foule des beaux jours se bouscule. Des enfants dévorant leurs glaces, des couples marchant sur la digue, des vieillards profitant du paysage. Il cherche désespérément la robe à fleurs de la fameuse Aurore parmi ces corps qui se croisent.
Elle est là-bas, accoudée à la barrière, face à la mer.
Julien s'approche prudemment. Il observe son visage brun qui scrute l'océan, ses yeux perdus dans les récifs, l'air d'avoir un peu le vague à l'âme. Ses sourcils sont froncés, et elle semble plongée dans des réflexions intimes qu'il ne voudrait pas interrompre.
Elle est plutôt jolie, avec ses cheveux noirs brillants qui frisent jusqu'à la base de sa nuque. Il aime bien sa peau, aussi. Ce n'est pas tant sa couleur café au lait que la manière dont les reflets du soleil la parent. Elle s'irise de nuances subtiles qui l'hypnotisent. Ses yeux luisent d'assurance et d'intelligence. En d'autres occasions, dans un endroit qu'il connaît mieux, ou avec des personnes qu'il apprécie, il aurait sûrement essayé de faire connaissance avec elle.
Alors il attend là, accoudé à la barrière, face à la mer.
Les minutes passent, et Julien ne peut se résoudre à aller lui parler. Il ne voudrait pas la déranger, après tout. Le temps se fait de plus en plus froid, et les familles commencent à remballer leurs affaires. Ils plient les serviettes sous les cris énervés des gamins déçus. Puis ils s'en vont, et bientôt la plage est déserte. Il ne reste plus que lui, elle, et une vieille dame assise sur un banc.
Le soleil commence à rougir d'être en si petit comité, et décide de partir, lui aussi. Et en même temps que l'étoile, Aurore s'en va. Julien reste là. Il se trouve bête, beaucoup. Il ne l'aurait pas dérangée, c'était juste pour lui rendre son portefeuille. Peut-être qu'elle avait besoin de sa carte d'identité, parce qu'elle partait vers un pays inconnu. Et lui, égoïste, n'avait pas osé.
Il se retourne et s'en va dans la nuit lourde. Il lui semble que les réverbères le regardent passer d'un œil accusateur. Il a même l'impression que celui-ci, à sa droite, grésille pour se moquer de lui. Il hausse les épaules comme pour chasser ces sombres réflexions, avec dans la poche le portefeuille qui semble peser bien trop lourd.
Julien traverse les rues de ce Dinard nocturne, regardant défiler les enseignes déjà éteintes. Il lui reste toute une nuit à tourner en rond. Il ne veut pas rentrer, pour se tourner et se retourner dans son sommeil. Il ne veut pas encombrer son cousin, qui lui a gracieusement offert de l'héberger.
Au lieu de se débattre avec ses insomnies, il errera dans cette petite ville de la côte d'Emeraude, en attendant le jour.
Il soupire. Une fois de plus, il attend l'Aurore.
Julien ferme les yeux. Il repousse le moment où il devra les ouvrir à nouveau. Puis il le fait. Que penseraient les gens, sinon ? Un jeune homme, perdu dans les ténèbres de ses paupières closes et de ses pensées.
Ridicule.
Bienvenue, chers lecteurs, sur cette histoire ! J'espère de tout coeur qu'elle saura vous enthousiasmer. Je tiens à prévenir que les publications ne seront sans doute pas très régulières.
L'image de couverture a été réalisée par le très talentueux Gabrielraguer ! Merci encore à lui, c'est fantastique.
Après une brève dépublication et queqlues jours de doutes et de stress à propos de cette histoire, j'ai décidé de la publier à nouveau, et advienne que pourra, plaira ou plaira pas, et toutes ces expressions un peu vieillotes. Juste pour dire: "bon, c'est un test."
J'adore cette histoire et j'espère que vous l'aimerez autant que moi.
A très vite pour le prochain chapitre,
Lusi.
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