10. Fumée
- Alors, qu'avez-vous pensé de la famille royale ? demanda Océana lorsque les trois amis montèrent se coucher.
- Ils sont très... souriants, dit Violette en esquissant un léger rire nerveux.
- Les plats sont délicieusement délicieux ! ajouta Clément en guise de réponse.
Ils arrivaient sur le palier de l'escalier. Océana hocha la tête.
- Je ne sais pas vous, mais moi, je suis épuisée. Bonne nuit.
Elle entra dans sa chambre et avança vers son lit, pour s'y laisser tomber. Elle lança à ses amis, qui s'éloignaient :
- Demain, on ira examiner le dragon de mon père.
Après un petit déjeuner copieux, le petit groupe sortit de la gigantesque demeure, pour se rendre dans les box extérieurs du château. Ils admirèrent le vaste jardin, aussi splendide que le palais, et arrivèrent devant un immense voile translucide - un sortilège qui servait de volière.
Violette tenait une mallette de soins et suivait de près Océana. Celle-ci traversa le voile après avoir marmonné une incantation.
- Quelqu'un sait qui est "Fumée", là-dedans ? demanda Clément en fronçant les sourcils.
Il y avait là une vingtaine de dragons majestueux, qui déambulaient en jetant des regards interloqués aux jeunes soigneurs.
- Il n'est pas ici, intervint une voix aigüe.
Ils se retournèrent et reconnurent Nivetta.
- Nous l'avons déplacé, pour ne pas qu'il contamine les autres. Il se trouve dans les box privés, vos dragons aussi, d'ailleurs. Je peux vous y conduire.
Elle leur sourit, attendant leur approbation. Tous hochèrent la tête et se rendirent quelques dizaines de mètres plus loin.
Le bâtiment semblait plus moderne que les autres, et cela se confirma lorsqu'ils y entrèrent : comparé au château, celui-ci paraissait futuriste. Le matériel posé sur les étagères d'acier était sophistiqué, mais on n'apercevait pas d'or ou de matériaux précieux.
- Laciata ! cria Violette dès qu'elle reconnut son dragon. Tu m'as manqué !
Elle se précipita vers un box duquel dépassait la tête de sa dragonne, en ouvrant les bras. Clément laissa échapper un soupir moqueur.
- Bon, où se trouve Fumée ? demanda-t-il.
Il se retourna. Nivetta avait déjà disparu. Le personnel ne devait pas être autorisé à sympathiser.
- Je crois que c'est ce box-ci, dit Océana en avançant d'un pas lent.
Le dragon était terriblement blafard, pour un feollet du sud, et sa respiration était saccadée. Il restait recroquevillé sur lui-même, l'air à moitié mort. Océana s'agenouilla et lui tendit doucement la main. Elle la posa sur la croupe du dragon, qui frissonna discrètement. Sa température était très basse, et l'inquiétude gagna vite la jeune soigneuse. Clément s'accroupit à son tour, pour observer le malade sous tous les angles.
- Ça ressemble à une pneumonie, fit-il remarquer.
- Sauf que ce n'en ai pas une, assura Océana en secouant la tête.
Violette vint les rejoindre.
- Alors, c'est grave ? s'enquit-elle.
Aucun des deux soigneurs ne répondit. Il n'y avait plus aucun bruit dans la salle, excepté quelques bruissements que faisaient les autres dragons en remuant.
- Ce qui est sûr c'est qu'il va falloir faire des analyses plus approfondies, marmonna Océana, brisant le silence.
- ...mais ils n'ont pas de salle d'examen comme à SOS dragons, argua Clément.
Violette entortilla une mèche de ses cheveux autour de son index.
- C'est vrai... murmura-t-elle, en jetant un regard triste au dragon, Mais je suis sûre que la famille royale trouvera une solution à ce problème, n'est-ce pas, Océana ?
- Oui, affirma l'intéressée, non sans un semblant de moquerie, il a assez d'argent pour se procurer les meilleurs matériels médicinaux du royaume en moins de quelques heures.
- J'irai faire des recherches dans l'après-midi, promit Clément.
- Moi aussi, répondirent Violette et Océana d'une même voix.
Ils examinèrent encore un moment le dragon allongé lassement à leurs pieds et prirent quelques notes, avant de rentrer au château.
Sur le chemin, la jeune soigneuse repensa à son bonhomme de neige. Elle laissa ses amis continuer leur chemin et prit la direction inverse.
Arrivée derrière le bâtiment central, une boule d'émotions indéchiffrables se lova au creux de sa gorge. Un mélange entre stupéfaction, reconnaissance et nostalgie. Son père avait conservé son bonhomme de neige. Elle eut l'impression de replonger dans son enfance, à l'époque où les seuls dragons qu'elle était autorisée à approcher étaient ses peluches. Elle resta de longues minutes à contempler ce fragment de son passé, qui n'avait pas changé le moins du monde, malgré le temps écoulé. Elle s'approcha davantage et effleura la neige du bout de ses doigts. Elle était gelée et Océana retira sa main d'un geste brusque. Elle gratifia son ami au manteau blanc d'un sourire timide. Les cailloux qui lui servaient d'yeux semblaient avoir conservé l'âme d'enfant qu'elle avait laissé s'envoler.
La jeune soigneuse pensa au métier qu'elle exerçait chaque jour avec sérieux, aux problèmes qu'elle passait ses journées à tenter de résoudre, à toutes les fois où elle avait dû se comporter en adulte... Elle se rendit compte que cet enfant, en elle, avait péri au fil des années. Face à son bonhomme de neige qui la regardait avec son immense sourire, elle se sentit coupable. Que devait-elle faire pour retrouver son âme d'enfant ? Méritait-elle seulement de la retrouver, alors qu'elle l'avait abandonnée ?
Elle fit demi-tour pour rejoindre ses amis. Elle marchait d'un pas lent, la tête vers le ciel. Elle se surprit à observer les nuages pour y chercher des formes familières. Elle ferma les yeux et esquissa un sourire. Non, l'enfant en elle ne l'avait pas quitté. Il somnolait simplement, mais se plaisait à surgir aux moments où Océana s'y attendait le moins.
À peine la jeune princesse se fut-elle rassurée qu'un cri lointain mit violemment fin à ses songes :
- Océanaaa !
Elle reconnut la voix de Clément. Elle serra les poings et accéléra le pas. On ne lui laissait décidément aucun répit !
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