Chapitre Io.

[Dimanche Matin]

11h.

Ses yeux sont rouges et ils piquent affreusement. Le bout de ses doigts colle. Il a une haleine d'alcool plus très frais qui empeste.

Eliot n'a jamais su boire.

D'ailleurs, il n'a pratiquement pas bu à la soirée de la veille, chez Amanda.

C'est en rentrant chez lui, totalement clean en passant devant sa mère et son frère, qu'il a empoigné une bouteille de liqueur amère. Secrètement, il a beaucoup pleuré. De temps en temps, il coupait ses pleurs en buvant une gorgée, puis ça repartait de plus belles.

Eliot n'allait pas bien.

Il ne pouvait pas s'enlever de la tête ce regard plein de haine à son égard,

Ce majeur qui lui était adressé...

Il imaginait le visage de ce gars qui se décomposait en découvrant son identité.

Ce n'était pas une belle image.

Comment serait sa vie à présent ? Dallas était mort.

L'autre abruti ferait certainement savoir qu'il était gay.

Et ses amis... Comment réagiraient-ils ?

Cette vie là n'avait rien pour plaire. Personne n'en voudrait.

Eliot était persuadé que même s'il vendait son âme au diable, celui-ci n'en voudrait pas.

C'était une bien trop grande responsabilité. Lui-même n'arrivait pas à l'assumer.

Eliot voyait un peu flou mais sa vision redevenait claire progressivement. Il avait une horrible migraine et un goût acre restait figé contre son palais. Il eut un haut-le-cœur lorsqu'il se redressa.

- Plus jamais d'alcool... Souffla-t-il en tirant ses cheveux vers l'arrière.

Il bailla et retira son t-shirt dans lequel il se sentait trop à l'étroit. De plus, il puait...

Était-ce vraiment une odeur de vomis qu'il sentait ? Oh non...

Le lycéen n'osa même pas regarder ses vêtements.

- Putain... Déguelasse... Grogna-t-il à voix basse, un air de dégout marquant son visage.

Une infime trace de bave verdâtre ou, peut-être était-ce seulement un résidu de remontée acide, trônait à quelques centimètres du col de son t-shirt. Comment cette si petite et insignifiante tâche pouvait avoir une telle odeur de cadavre de raton-laveur en décomposition ?

Il bailla à nouveau et son regard se posa sur son ordinateur, abandonné sur sa commode depuis quelques jours.

Eliot eut comme un bug. Pendant un moment, il avait complètement oublié ce qu'il s'était passé en partant de chez Amanda. Il soupira.

Il était peut-être temps de vérifier si tout allait bien du côté de son blog.

En s'étirant, il fit quelques pas maladroits et alluma son pc.

Aussitôt, il se connecta, et fût surprit d'avoir si peu de notifications en attente. Il était habitué à mieux. Tant pis... L'adolescent répondit, le plus optimistement possible aux quelques commentaires d'encouragement qu'il avait reçu et, au moment de refermer son écran, une sonnerie le fit sursauter.

- C'est juste un SMS, reprends-toi, garçon... Se dit-il à lui-même.

A l'aveugle, ses mains tâtèrent sa couette, son oreiller, son sac, son propre corps, à la recherche de son téléphone.

Rien.

C'est seulement lorsque son tas de vêtements sales glissa qu'il put mettre la main sur celui-ci.

- Je savais que j'avais pas rêvé ce bruit.

Et, à peine avait-il allumé son cellulaire, qu'il eut un mouvement de recul. Comme-ci cela pouvait le sauver de quoi que ce soit.

Son cœur battait la chamade et ses doigts tremblaient. Sa température corporelle venait de grimper de 3 ou 40°c...

Il avait un message...

Il avait un message de Lui.

Mister-Blue : «Tu me paies combien ?» 11:08

Eliot fronça les sourcils. L'incompréhension émanait de tout son être.

Eliot : «Pour ? T'as dû te tromper de personne.» 11:11

La réponse ne se fit pas attendre.

Mister-Blue : «Garder le silence.» 11:11.

Eliot prit une grande aspiration la bouche ouverte. Nier ? Affronter ?

Et puis, de quoi il parlait cet abruti ?

Il sentit même une goutte de transpiration qui roula sous son aisselle.

Eliot : «Comment ça ?» 11:13.

Mister-Blue : «Sinon je dévoile tes petits secrets à tout le monde. Et tu ne peux pas me faire de chantage, n'essaie même pas, tu n'as rien pour prouver qui je suis, et tu ne sais pas qui je suis.» 11:16.

Surpris par lui-même, l'adolescent tapa son message à une allure hallucinante et l'envoya en un éclair !

Eliot : «Je t'ai vu sur le banc.» 11:17.

Ce message, à coup sûr, allait avoir l'effet d'une bombe.

D'ailleurs, de toute la journée, pas la moindre trace d'une réponse...

[Lundi Matin]

Aujourd'hui, Eliot était affreusement stressé.

L'idée d'aller au lycée et de croiser son regard était terrifiante, mais au moins, c'était lui qui avait eu le dernier mot, donc tout devrait bien se passer.

Il avait le contrôle.

Oui, la balle était dans son camp ! Pourtant, il était quand même pétrifié à l'idée de mourir sur place lorsqu'il l'apercevrait, même de loin. Au fond, l'adolescent avait même pensé à faire semblant d'être malade, malgré qu'il soit un très mauvais comédien.

Mais c'était une mauvaise idée pour deux raisons :

1- C'était une mauvaise idée.

2- Il ne voulait pas passer pour un lâche et rester enfermé dans sa chambre jusqu'à la fin de sa vie et plus encore.

C'est tout.

Sur le chemin de l'arrêt de bus, les mains fermement agrippées à ses bretelles de sac à dos, il marchait en traînant les pieds, le regard profondément ancré dans le vide.

- Eliot ! Eliot ! S'écria une voix masculine pacifique derrière lui.

On aurait presque dit celle d'Andy.

Le châtain s'arrêta pour laisser l'autre gars venir à sa hauteur. C'était le nouveau.

Une chevelure auburn ornée d'une mèche blanche s'agita et un visage familier lui adressa un sourire. Il avait squatté avec sa bande pendant la soirée.

- Oh, c'est toi... Dit Eliot en souriant, le visage crispé de malaise.

- On fait le chemin ensemble !? Annonça le type dont on avait oublié le prénom.

« J'ai le choix ?» Pensa Eliot. Il n'aimait pas les gens collants. Et trop heureux.

Collants et trop heureux...

L'auburn avait sa carte de bus dans la main et la faisait rebondir entre ses phalanges.

Sauvagement, Eliot en profita pour épier le prénom qui se trouvait en face de la photo.

Art... Artaban !

Il s'en souvenait, c'était Artaban.

Ils marchèrent quelques temps, au son de la vie trépidante d'Artaban, qu'il racontait avec passion. Rien de passionnant dans le fait que sa grand-mère ait acheté un Teckel.

Ces chiens ressemblent juste à des saucisses avec des pattes... Mais ça, Eliot s'est gardé de le dire, il se contentait d'hocher la tête en souriant.

Une fois dans le bus, l'adolescent châtain eut le plus sincère sentiment de déception au monde quand il chercha la petite tignasse noire d'Andy, en vain.

Il avait l'impression de ne pas l'avoir vu depuis une éternité. En plus, il devait supporter l'auburn, sans musique, histoire de rester en apparence poli.

Soudain, il reçu un SMS.

Le châtain s'empressa de regarder.

Mister-Blue : «Puisque tu n'as pas voulu payer, tu paieras autrement.» 07:48.

Son visage devint pâle, presque blanc, presque transparent. Il l'ignora et marcha jusqu'au portail du lycée, Artaban n'étant plus qu'un bruit de fond. Le temps était couvert, il n'y avait donc personne dehors et cette ambiance post-apocalyptique était plus qu'angoissante.

Andy : «Tu devrais vérifier tes réseaux sociaux» 07:51.

Puis aussitôt, un second SMS, accompagné d'un lien, qui laissa Eliot tout tremblant.

Andy : «URGENT !!!» 07:53.

A quelques mètres de la porte qui le mènerait au hall du lycée où tous les élèves s'abritaient de la pluie... Il ouvrit le lien.

Ça menait à une page Facebook sous le nom d'Eliot Ray, qui ne lui appartenait pas. On voyait son visage comme photo de profil, et une jupe en photo de couverture.

Il comprit.

- Oh putain... Soupira-t-il.

Artaban posa une main sur son épaule :

- Et t'as pas regardé la suite... Dit-il en faisant glisser la page sur son propre téléphone pour assurer ses dires.

- Mais, tu l'as aussi ? S'inquiéta Eliot, les yeux ronds et effrayés.

L'auburn hocha la tête.

- J'ai juste reçu ce lien d'un numéro inconnu... Il marqua une pause. Lit les textes, ça fait peur !

Ne sachant plus par où commencer, Eliot scrolla la page. Il y avait des captures d'écran de son blog, bien que tout soit anonyme sur celui-ci. On y voyait ses textes et des photos adroitement truquées, avec des citations qu'il n'avait pas dites.

Il n'avait jamais publié de choses du genre : «Comment pourrais-je me libérer du fait d'être gay ? Mon lycée va me maudire. Je serais comme une gangrène à exterminer pour mes amis.»

C'était du harcèlement !

- Ce n'est pas moi... Lança-t-il à Artaban.

Quel piètre menteur il faisait.

Ils s'aventurèrent dans l'enceinte du lycée et traversèrent une allée vide de casiers.

- Ils n'ont besoin d'aucune preuve pour être sur que c'est moi... Ils croient tout. S'affola-t-il.

- Attends, t'es sûr de rien, peut-être que personne n'a reçu le message. Le rassura l'auburn.

Sans un mot, ils arrivèrent jusqu'au hall.

Plus un son. Pas même un pas ou des respirations.

Les regards étaient rivés sur eux. Un silence de mort vint hanter l'atmosphère habituellement si bruyante. Eliot rougit au plus haut point. Ils savaient... Tous.

- Tu rougis Ray. Tiens-toi droit, sois fier, sois un guerrier. Conseilla Artaban, avant de disparaitre dans la foule, tapant amicalement sur l'épaule du châtain bouclé en signe de soutien.

Tremblant, il espéra faire demi-tour, à la recherche de Finn, Andy, Liam, Amanda, un surveillant, un prof, un agent d'entretien ou n'importe qui pouvant le sortir de cette situation.

Mais il n'y avait personne. Puis un petit cercle d'élève de seconde se referma, l'empêchant de revenir sur ses pas.

Il ne pouvait qu'aller de l'avant. Il n'avait plus le choix. Puis, il se rappela qu'il ne pouvait pas passer pour un lâche, sinon il serait une victime plus facile encore, et cela certifierait que ces mensonges sur son homosexualité et son blog étaient vrais. Hors de question.

Il prit son courage à deux mains, souffla un coup et s'avança de quelques mètres.

Le brouhaha reprit un peu, sous la forme de chuchotements, de messes basses et de ragots fraichement inventés.

Puis, au loin, une silhouette se dégageât. C'était le mec de la soirée.

Il semblait regarder par ici. Seul au monde, Eliot le scruta. Il portait des bracelets brésiliens. Il souriait.

Oui, c'était lui.

Oui, c'était Mister-Blue.

Ses deux yeux bleus azur croisèrent le regard d'Eliot.

Il soutint son regard.

Ça ne pouvait pas être possible.

Ça ne pouvait pas être lui.

Pourtant c'était le cas...

Eliot avait devant lui, à même pas dix mètres, Mister-Blue.

De son vrai nom... Sergeï Ivanov.

Meilleur ami du défunt Dallas, et excellent ami de l'impitoyable Travis.

La sonnerie retentit et tout le monde disparu alors, se pressant les uns contre les autres à travers les couloirs.

Eliot arriva, désorienté, devant sa classe où il croisa enfin Finn.

- Je n'ai pas envie de m'attarder là-dessus, c'est juste le gars de la soirée qui a pété un câble. Lança sèchement Eliot en posant lourdement son fessier sur sa chaise.

Finn acquiesça, et s'assied sans un mot.

- J'irai le voir.

- Non, surtout pas ! Laisse, je vais gérer ça ! Se défendit Ray.

Finn leva son pouce sans lui prêter attention, ce qui signifiait généralement «Je m'en moque, je le ferai quand même. »

Puis, Corset souffla...

- Ça fera pour Amanda...

Avant que le cours ne commence, Eliot adressa un message à Mister-Blue :

Eliot : «Connard.» 08:03.

Aussitôt...

Mister-Blue : «Tu vas me détester.» 08:03.

Eliot : «C'est déjà le cas.» 08:04.

Mister-Blue : « :'( » 08:04.

Eliot serra les dents.

Eliot : «Enculé.» 08:04.

Mister-Blue : «Non, actif.» 08:06.

Le bouclé prit un air ahuri et rangea son téléphone, énervé, trahi.

Il sortit sa trousse avec rage, sous le regard interloqué et protecteur de Finn... Prêt à passer à l'action.

A dix heures, Andy était toujours absent. Impossible de remettre la main sur Artaban et Finn s'était retrouvé chez le proviseur pour le reste de la journée, car il s'est battu avec Travis. Ils étaient juste présents au mauvais moment, au mauvais endroit.

Donc, officiellement, Eliot était seul jusqu'à ce que les cours se terminent.

Pour la pause déjeuner, le châtain osa s'aventurer dans les couloirs, jusqu'à l'allée de casiers des Premières. Il chercha le sien, faisant mine d'ignorer les regards qui pesaient sur lui et les lourds sourires en coin.

Lorsqu'il s'approcha de son casier, il eut la surprise de voir que celui-ci avait été...

Vandalisé.

Au marqueur, partout, étaient inscrits des extraits de ses textes, et de ceux inventés.

Il y avait aussi, lamentablement dessinés, des travestis, et une jupe.

HA. HA. Tellement drôle.

Il entendit quelques rires et des élèves qui pouffaient. Le sort avait le don de s'acharner contre lui. L'adolescent déverrouilla et ouvrit son casier.

A cet instant, un bout de tissu épais en glissa et lui tomba sur les pieds.

Ses joues s'empourpraient déjà lorsqu'il se baissa pour le ramasser...

Une jupe de petite fille...

Un éclat de rire à l'unisson prit tous les élèves présents.

Honteux, mais avec l'air le plus neutre possible, il prit juste ses écouteurs, ne referma même pas son casier et s'en alla sur un banc, dehors, sous la pluie. Au moins, la météo empêchait la venue de tous ces cons.

Cette fois-ci, Eliot n'aurait plus le courage. Il n'aurait plus la force de se battre, toujours, obstinément, contre tout le monde et personne à la fois. Qu'est-ce que ça pouvait leur foutre, à eux ? A Sergeï ? Ils compensaient leur complexe d'infériorité ainsi ?

Se rongeant les ongles, Ray éclata en sanglot.

Pourtant, n'importe qui le connaissant un minimum aurait sût à quel point il avait lutté.

Mais, parfois, certains sentiments sont plus forts, et ils nous emportent.

La pluie glaçante s'écrasait sur son visage, se mêlant aux larmes qui perlait sur ses joues, et dissimulant ainsi son mal-être.

Pour une fois, une seule fois dans sa vie, ne pouvait-on pas le laisser en paix ?

Il retourna en cours, le ventre creux.

Dès qu'il s'assied, il reçut simultanément un nouveau SMS :

Mister-Blue : «50€ et je ne révèle à personne que tu draguais un garçon sur ton blog.» 13:07

Eliot : «C'était pas le cas. Puis, les gens sauront que c'est toi, puisque les photos viendraient de ton compte. La vérité se sait toujours, Sergeï.» 13:08.

Il se défendait tant bien que mal. Encaissant les coups, frappant à son tour.

Mister-Blue : « C'était pas le cas ? Pourtant les messages que tu avais à mon égard disent autre chose, Ray. » 14:02.

A la fin du cours, ignorant cette réponse, Eliot se faufila pour rentrer chez lui le plus vite possible. Comme à son habitude, il marchait en fixant ses Van's.

En se dirigeant vers la sortie du hall, il leva les yeux.

De très près, il frôla le Russe, et, au moment où leurs corps faillirent se toucher, il lui glissa à l'oreille :

- Demain matin, dernier délais.

Quand Eliot se retourna, les poings serrés, Sergeï le regardait, presque amusé, marchant à reculons le regard planté dans celui de Ray. Le blondinet haussa les épaules et lui sourit.

Il n'avait pas un sourire diabolique. Il n'avait l'air méchant pour rien au monde. Pourtant, ce gars était vraisemblablement un des pires connards de ce lycée.

En guise de réponse, Eliot se surprit à lui rendre le doigt d'honneur que ce jeune homme lui avait adressé quelques jours auparavant...

Tout se compliquait dès à présent...

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